Violences sexuelles : la gauche doit « faire mieux »
Sexisme Les réactions de soutien à Adrien Quatennens, qui a admis des violences conjugales, ont provoqué la naissance du mouvement #relèveféministe. Il pointe les limites des partis face à ce type de cas.
«Plus aucun agresseur ne doit occuper de poste de pouvoir au sein des partis politiques. » Voilà la requête qui anime le mouvement #relèveféministe, né le 18 septembre sur les réseaux sociaux à la suite de l’affaire Adrien Quatennens. Le coordinateur national de la France insoumise a avoué, dimanche, des faits de violences conjugales envers son ex-conjointe qui avait déposé une main courante, et annoncé par conséquent se mettre en retrait de cette fonction. Le #relèveféministe réclame sa démission de son mandat de député du Nord. Mais, au-delà de ce communiqué, c’est la réaction de nombreux insoumis, et celle du premier d’entre eux, Jean-Luc Mélenchon, qui a déclenché sa colère.
Sans un mot pour la victime présumée, le fondateur de la FI a salué la « dignité » et le « courage » d’Adrien Quatennens, préférant dénoncer « la malveillance policière » et « le voyeurisme médiatique » (l’affaire ayant d’abord fuité dans le Canard enchaîné), plutôt que les faits qui sont reprochés au député. Avant, face au tollé, d’assurer, trois heures plus tard, qu’il n’était pas « indifférent » à ce que peut vivre l’ex-conjointe de ce dernier. Une réaction symptomatique du manque de prise au sérieux des violences sexistes et sexuelles (VSS), pour les féministes. « Les femmes victimes de violences se sont senties trahies, a fortiori celles qui sont encartées dans un parti portant des mesures contre les VSS, lâche Fabienne El Khoury, d’Osez le féminisme. Le féminisme est instrumentalisé dès que ça sert un agenda politique pour atteindre un adversaire. Quand c’est un proche qui est visé, on retourne aux vieux réflexes de solidarité masculine, où on a plus de sympathie pour l’agresseur que pour la victime. »
Julien Bayou se met en retrait
Dans les rangs de la FI, le tweet de Jean-Luc Mélenchon a fait grincer des dents. « Ce sont ses mots, pas les miens ! » lâche la députée Clémentine Autain. Le 19 septembre, sa collègue Pascale Martin a, elle, dénoncé ses propos : « Ils minimisent les violences conjugales » et « constituent une violence de plus pour les victimes ». « C’est en effet une double violence. Non seulement l’agresseur reste en poste, car Adrien Quatennens est toujours député. Mais la victime est invisibilisée, on voit que le souci premier, c’est de protéger le parti avec une com de crise », complète Yuna Miralles, du collectif #NousToutes.
Dans le sillage de l’affaire Adrien Quatennens, des militantes féministes ont aussi fait ressurgir un autre cas, révélé au début de l’été mais resté en dessous des radars. Le 7 juillet dernier, le Figaro dévoilait que Julien Bayou, secrétaire national d’EELV, faisait l’objet d’un signalement auprès de la cellule dédiée aux VSS du parti Vert. Son ex-compagne en est à l’origine pour des motifs inconnus. « Il s’agit malheureusement d’une histoire qui se termine dans la souffrance et d’une rupture qui s’accompagne de menaces à peine voilées à mon endroit et d’une forme d’instrumentalisation que je ne peux que déplorer », avait, à l’époque, répondu Julien Bayou, qui ne s’est mis en retrait de sa fonction de président du groupe EELV que mardi soir. Il reste secrétaire national du parti jusqu’au congrès.
Une absence de sanctions qui a poussé les féministes à massivement interpeller EELV sur Twitter : « Comment s’assurer que les militantes soient en sécurité ? Aucune mesure ne semble avoir été prise, pourquoi ? » Avant que Sandrine Rousseau, députée EELV, n’accuse, sur France 5, Julien Bayou de « comportements de nature à briser la santé morale des femmes ». Elle raconte avoir « longuement » reçu son ex-compagne, qui « était très mal » au point de « (faire) une tentative de suicide quelques semaines après ». Si, pour l’heure, aucun élément ne vient étayer ces propos, les différentes affaires remettent au cœur du débat une épineuse question : la gestion par les partis politiques des VSS.
« Il faut saluer l’existence de cellules d’écoute au sein de partis de gauche, rappelle Fiona Texeire, cofondatrice de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique. Mais elles ne suffisent pas. Il est toujours compliqué de laver son linge sale en famille. » Chez EELV, la cellule, créée en 2016 à la suite de l’affaire Denis Baupin, a pour mission d’enquêter sur de potentielles violences, d’auditionner les victimes et agresseurs présumés, puis de rédiger un rapport proposant ou non des sanctions. « Seuls ses dix membres connaissent le contenu du dossier et c’est normal pour protéger tout le monde », justifie Hélène Hardy, membre du bureau exécutif. Concernant le cas de Julien Bayou, pour qui la cellule n’a demandé aucune mesure conservatoire, la responsable de la commission féminisme d’EELV, Charlotte Minvielle, dit « comprendre les demandes des féministes » qui souhaitent davantage de rapidité, mais « cela prend du temps », plaide-t-elle, de recueillir la parole. « Lorsqu’elles seront portées à sa connaissance, EELV suivra les recommandations de la cellule », assure le parti dans un communiqué.
« Les partis doivent se poser la question de faire appel à des structures externes pour régler ce genre de problème et éviter le s oupçon d’étouffement des affaires », juge Yuna Miralles, de #NousToutes, pointant aussi les insuffisances de formation . « Nous avons besoin d’une politique publique globale, avec un système indépendant et transpartisan, abonde Fiona Texeire. Ce pourrait être une réforme de la Haute Autorité de la transparence, pour élargir ses pouvoirs à la question des violences sexistes et sexuelles. Si on ne fait rien pour permettre aux femmes d’exercer des fonctions dans les mêmes conditions que les hommes, on ne fera que les écœurer de la politique, c’est une question de démocratie. » Le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, appelle, lui, « à ce que l’on puisse y réfléchir collectivement, à créer un cadre avec, peut-être, une justice spécialisée, adaptée pour tenir compte de cette libération de la parole ». Mais un règlement en externe, au-delà des éventuelles procédures judiciaires, soulève aussi des questions. À l’Humanité, Clémentine Autain (FI) s’interrogeait, en juillet : « Quelle instance qui serait complètement extérieure pourrait gérer des règles qui régissent notre mouvement ? Une entité extérieure peut-elle décider des candidats que nous choisissons de présenter ou non, des militants dont nous acceptons l’adhésion ou non ? » Les propositions sont sur la table. À la gauche de s’en saisir. Urgemment, pressent les féministes.
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