« NDLR de MAC: Seulement affirmer que votre serviteur est un fan absolu de Dune est un euphémisme! »
L’adaptation de Denis Villeneuve débarque au cinéma ce mercredi 15 septembre. Preuve que, cinquante-six ans après la parution du premier tome, la saga de Frank Herbert continue de fasciner tant elle « dit » notre monde. Plongée dans un monument de la science-fiction.
On l’attendait en novembre 2020, puis à Noël, mais un certain virus en a décidé autrement. Cette fois, c’est la bonne : après un passage remarqué à la Mostra de Venise, la nouvelle adaptation de « Dune », signée Denis Villeneuve et produite par la Warner, arrive sur grand écran mercredi 15 septembre.
On ne saurait que trop conseiller de la voir en salle (lire notre critique en fin d’article). Le réalisateur québécois s’est d’ailleurs emporté contre le studio, qui a décidé de sortir le film simultanément sur les écrans et sa plateforme HBO Max aux États-Unis.
C’est peu dire que ce « Dune » est attendu au tournant. D’abord, par les distributeurs et les exploitants de salles de cinéma qui, dans un contexte sanitaire encore compliqué pour le box-office (seuls neuf films ont dépassé le million d’entrées en France en 2021), espèrent trouver là le carton de la rentrée. Par les fans du cycle de Frank Herbert ensuite, refroidis par l’adaptation ratée de David Lynch, qui ne désespèrent pas de voir un film à la hauteur de la saga. Par les cinéphiles de tout poil enfin, curieux de découvrir le nouveau long métrage de l’étonnant Denis Villeneuve, transfuge du cinéma d’art et d’essai devenu, à l’instar de Christopher Nolan, un nouveau messie du blockbuster d’auteur.
Une œuvre-monde
Mais, au-delà de la réussite du film, le retour de « Dune » sur le devant de la scène est l’occasion de se perdre dans les sables de cette œuvre-monde à l’incroyable densité. Soit sept tomes écrits entre 1965 et 1985 par l’Américain Frank Herbert (1920-1986) pour le cycle principal, auxquels il faut ajouter, pour les fans les plus assidus, seize autres volumes signés par son fils Brian Herbert et Kevin J. Anderson.
Pour notre part, on conseillera avant tout le cycle du père, à commencer par le premier tome, best-seller international vendu à plus de 12 millions d’exemplaires, et auréolé du prestigieux prix Hugo. Cela tombe bien, celui-ci bénéficie d’une nouvelle traduction chez Robert Laffont depuis octobre 2020.
Il était une fois, en l’an 10191…
Mais, au fait, cela raconte quoi, « Dune » ? Il nous faut faire un sacré bond dans le temps : bienvenue en l’an 10191. L’humanité a repoussé les limites de l’Univers connu et colonisé des milliers de mondes grâce à l’Épice, une mystérieuse drogue sans laquelle les voyages interstellaires sont impossibles. Nous suivons Paul, héritier de la maison des Atréides, une des puissantes familles de l’aristocratie intergalactique.
Paul Atréides (Thimothée Chalamet).
Un jour, l’Empereur somme le duc Leto, père de Paul, de quitter son monde de Caladan pour partir administrer la planète désertique Arrakis, aussi appelée Dune. Un cadeau en réalité empoisonné : Arrakis est la planète la plus convoitée de l’Empire, car c’est en moissonnant ses sables qu’on récolte l’Épice sur laquelle repose l’équilibre de l’Univers. De plus, son contrôle échouait précédemment à la cruelle famille Harkonnen, rivale ancestrale des Atréides, qui n’escompte pas lâcher la rente de l’Épice sans répliquer. Et, pour ne rien gâter, des vers géants pouvant mesurer jusqu’à un kilomètre de long sillonnent les mers de sable.
Un grand récit de space fantasy
Pour ne pas finir enseveli sous les dunes et les intrigues de ses ennemis, Paul Atréides va devoir comprendre ce monde nouveau et se rapprocher du peuple indigène des Fremen, seuls à même de survivre dans le désert. Il devra aussi décoder le sens des visions du futur qui l’assaillent, et lui promettent un destin aussi messianique que tragique.
C’est là sans doute la grande leçon du livre : méfiez-vous des prophètes comme des sauveurs suprêmes.
« Dune », c’est donc un grand récit de space fantasy (ce genre qui reprend les codes chevaleresques de l’héroic fantasy transbordés dans un univers futuriste), structuré autour d’une quête initiatique, celle de Paul.
Mais, à la différence de Luke Skywalker dans « Star Wars », qui choisit de tourner le dos à la voie obscure tracée par son père, Paul n’a guère le choix, piégé par son propre pouvoir de prescience et ses visions autoréalisatrices. C’est là sans doute la grande leçon du livre : méfiez-vous des prophètes comme des sauveurs suprêmes. Une alerte qui vaut à toute époque.
Un livre plus intelligent que son auteur
« Les leaders charismatiques devraient chacun porter un avertissement sur le front : peut être dangereux pour votre santé », écrivait Frank Herbert, en 1980. Très conservateur, homophobe et proche du Parti républicain, l’auteur a pourtant été, comme de nombreux artistes de l’époque, marqué par le bourbier vietnamien. De très mauvaise foi, il en tenait pour responsable John Fitzgerald Kennedy, que le pays aurait suivi tête baissée du fait de sa trop grande popularité. À l’inverse, il appréciait l’administration véreuse de Nixon, qui avait le mérite de mettre en lumière le fait qu’on ne peut jamais faire confiance à un gouvernement.
Les super-héros sont désastreux pour le genre humain.
Frank Herbert
Tout cela peut paraître caricatural, mais c’est là la clé de la longévité de « Dune » : l’œuvre est plus intelligente que son auteur. Aussi, le livre comme le film s’affirment comme l’exact négatif des films de super-héros qu’Hollywood produit désormais à la chaîne, et qui exaltent le mythe de l’homme providentiel.
« Les super-héros sont désastreux pour le genre humain », pensait, pour sa part, Frank Herbert. Paul Atréides le prouvera dès le second volume, lorsqu’il s’élèvera au rang de Dieu, répondant au nom d’Usul ou Muad’Dib, et jetant la Galaxie en pâture à un cycle sans fin de guerres saintes menées en son nom.
Délires transhumanistes
Herbert s’intéresse aussi à la question de l’eugénisme, qui résonne aujourd’hui avec les délires transhumanistes qui agitent la société libérale. Ainsi, dans « Dune », l’humanité a pour obsession d’augmenter ses performances mentales, après qu’une violente guerre l’a conduite à anéantir définitivement les intelligences artificielles.
Aussi, l’ordre matriarcal du Bene Gesserit, allié à l’Empereur en apparence, travaille en coulisses à un plan de manipulation des lignées génétiques sur plusieurs siècles, afin de faire advenir le Kwisatz Haderach, un être suprême qui aurait accès à des milliards de consciences.
Pour ce faire, les « sorcières » du Bene Gesserit, peut-être les personnes les plus influentes de la Galaxie, jouent les entremetteuses entre les grandes familles, n’hésitent pas à faire tomber des dynasties ou à répandre des superstitions qui finiront après des siècles par devenir des cultes au service de leurs desseins.
Une véritable fresque écologique
Enfin, et c’est sans doute son aspect le plus actuel, « Dune » constitue une véritable fresque écologique. « Le texte de Frank Herbert s’avère étonnamment prophétique : il nous invite à porter sur l’eau, source de vie convoitée et menacée, et sur les équilibres planétaires un regard attentif, respectueux, presque sacré », écrit le romancier Pierre Bordage dans le livre d’analyse « Dune, le Mook » (l’Atalante & Leha).
Dans la fournaise d’Arrakis, l’eau et les forces de la nature ont un statut religieux. Elle est si rare et si précieuse que les habitants s’équipent pour survivre d’un distille, combinaison qui permet de recycler sueur et larmes pour « ne pas perdre plus d’un dé à coudre d’eau par jour ». Pour les Fremen, le plus grand don que peut faire un homme est d’offrir son eau à l’autre : cracher aux pieds de quelqu’un devient alors la plus profonde des marques de respect.
Si la dépendance de l’Empire à l’Épice renvoie à celle de la société de consommation au pétrole, le thème de l’eau anticipe les futurs conflits militaires liés à l’or bleu, que ce soit en mer d’Aral ou dans le Golan. Preuve qu’à l’image de Paul, « Dune » a su prédire avec acuité l’avenir.
En savoir plus
Livres
- « Dune », tomes 1 à 6, de Frank Herbert, traduction Michel Demuth pour les tomes 1 à 3, Guy Abadia pour les tomes 4 à 6. Pocket. Les nombreux cycles développés par Brian Herbert, fils de Frank, et Kevin J. Anderson – « Dune, la genèse », « Avant Dune », « Après Dune »… – sont complètement dispensables.
- « Tout sur Dune », sous la direction de Lloyd Chéry. Éditions l’Atalante, 2020.
Cinéma
- « Dune », de David Lynch, 1984.
- « Jodorowsky’s Dune », de Frank Pavich, 2013. Documentaire qui revient sur le projet d’adaptation, qui ne verra jamais le jour, d’Alejandro Jodorowsky au milieu des années 1970.
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« Dune ». Notre critique du film : Villeneuve au sommet
Adapter l’inadaptable, un monument de la SF sur lequel Alejandro Jodorowsky puis David Lynch se sont cassé les dents. Voilà la montagne à laquelle s’est attaqué Denis Villeneuve en acceptant de tourner « Dune ». Pas de quoi refroidir le cinéaste québécois qui avait déjà réussi, avec « Blade Runner 2049 », à offrir au chef-d’œuvre de Ridley Scott une suite digne de son nom. Mission à nouveau accomplie. Là où le film de Lynch (1984) finit par sombrer, surtout après avoir pris un sérieux coup de pelle, dans le nanar cosmique, l’opus de Villeneuve s’assume comme une dense aventure shakespearienne aux tentacules galactiques. A contrario des blockbusters qui sortent chaque mois du ventre d’Hollywood et finissent par tous se ressembler, le film s’avance comme sûr de son ambiance, libéré des diktats de la petite réplique cool imposés par Marvel.
Plastiquement sublime
La critique reconnaît volontiers à Denis Villeneuve son statut de formaliste prodige, moins celui d’auteur. Il déploie pourtant ici non seulement un space opera plastiquement sublime (l’oscarisé Roger Deakins est à la photographie), mais aussi riche des thèmes chers au réalisateur : l’autre, la communication par-delà les frontières, la fatalité. Villeneuve colle globalement au texte de Frank Herbert, même si le cinéaste a décidé d’abandonner les joutes à la lisière du mentalisme, qui font la sève du livre, pour livrer un film assez peu bavard. C’est par la mise en scène qu’il restitue ce sentiment de tragédie souterraine qui pèse sur les héros, et menace de sourdre à tout instant.
Denis Villeneuve sur le tournage de « Dune ». © Chia Bella James
Cerise sur le gâteau, Timothée Chalamet, qu’on était curieux (et inquiets) de découvrir dans un rôle aussi « casse-gueule », convainc en Paul Atréides, appelé à endosser malgré lui un costume de messie, pour le meilleur et pour l’Empire. Son odyssée appelle à être vécue sur grand écran, car ses couleurs collent longtemps à la rétine, tout comme la musique opératique d’Hans Zimmer continue de vibrer après la séance. Le public devrait être au rendez-vous. C’est en tout cas tout le mal qu’on souhaite aux salles de cinéma.
« Dune », de Denis Villeneuve, États-Unis, 2 h 35.
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