Après une première vie dans le cinéma, Christophe Bourseiller est revenu à ses amours de jeunesse : collectionnant les tracts et les bulletins des mouvements extrémistes depuis longtemps, il en a fait sa spécialité. Mais il « hante » toujours le paysage audiovisuel : en janvier, il a intégré l’équipe des chroniqueurs du « Masque et la plume », sur France Inter.
On se souvient de sa bonne bouille de lycéen « motivé » dans « Un éléphant, ça trompe énormément ». Mais Christophe Bourseiller, c’est aussi 25 films, 43 livres, des émissions de radio, des chroniques, un doctorat en histoire… Et ce n’est pas fini ! Un homme occupé qui nous a fixé rendez-vous dans un café de Saint-Germain-des-Prés, son quartier depuis une vingtaine d’années, et parle (avec les mains) de ses passions, de ses obsessions, qui se recoupent et se complètent.
Quand on est quadragénaire ou quinquagénaire, on a l’impression d’avoir toujours été accompagné par Christophe Bourseiller. Comment l’expliquez-vous ?
Je hante le paysage : apparitions, disparitions, réapparitions…
Depuis « la Guerre des boutons », on vous a vu dans les films d’Yves Robert, de Jean-Luc Godard…
Merci, parce que personne ne me parle jamais de Godard ! Tous ceux que vous citez sont des amis de la famille.
On vous a vu aussi chez Pierre Jolivet, dans « À l’heure où les fauves vont boire »… Vous auriez pu faire une grande carrière ?
Pour moi, le meilleur que j’ai fait avec lui c’est « Simple Mortel », avec le regretté Philippe Volter. Dans le film, je meurs. J’y ai vécu ma mort à plusieurs reprises pendant le tournage : c’est une expérience tout à fait particulière.
Quel rapport entretenez-vous avec le cinéma ?
J’ai eu la chance de grandir dans ce milieu : j’avais pour marraine l’actrice Danièle Delorme (« le Capitan », « Gigi », « Voici le temps des assassins ») et pour parrain Jean-Luc Godard. C’est parce que je suis un enfant de la balle que j’ai pu faire ces 25 films. Quand j’ai joué dans « la Guerre des boutons », à 4 ans (il y interprète Gaston), je n’ai pas choisi. Pas plus que pour « Un éléphant, ça trompe énormément » : à l’époque, j’étais un jeune gauchiste sentencieux qui lisait Guy Debord, un peu déconnecté, et j’ai fait ce film de façon expérimentale. Mais voilà qu’il a eu un succès mondial (2,8 millions d’entrées, une nomination aux Golden Globes 1978 – NDLR) et a complètement bouleversé ma vie !
Le personnage de Lucien n’était pas un rôle de composition ?
C’était moi. Un type très inhibé et pompeux. Ça m’a d’ailleurs un peu libéré de faire du cinéma. Les journalistes qui m’interrogeaient à l’époque souffraient à cause de mon manque total d’ouverture aux autres.
Vous êtes pourtant l’héritier d’un milieu culturel ouvert.
J’ai eu la chance de voir passer chez nous Louis Aragon, qui m’a offert des livres, Jean Genêt, Eugène Ionesco. Je voyais bien que les gens que mes parents fréquentaient comptaient.
Parmi tous ceux-là, il y avait votre beau-père, Antoine Bourseiller, dont vous avez pris le nom. Quel impact a-t-il eu sur le jeune Christophe?
Mon nom de naissance est Gintzburger. Mon père, André, était un militant communiste « de choc », producteur de théâtre d’avant-garde. Un défricheur très pointu. Mais, à l’âge de 4 ans, Antoine Bourseiller entre dans ma vie en épousant ma mère, la comédienne Chantal Darget (« Zone frontière », « l’Italien des roses »). Il m’a élevé dans ce joyeux bordel qu’était notre vie. Lorsque Yves Robert m’a fait tourner, je trouvais mon nom imprononçable. J’avais pris comme pseudonyme Christophe Bruce, en hommage à Bruce Lee, dont je voulais m’inspirer pour mon jeu. C’est ma mère qui m’a conseillé plutôt de prendre Bourseiller.
On aurait aimé vous rencontrer hors actualité, mais cela s’avère impossible. Sous vos airs nonchalants, vous êtes un hyperactif ?
Je suis un paresseux contrarié. Si je ne travaille pas, je m’ennuie. J’ai une grande curiosité pour énormément de domaines.
Vous venez de publier « la France en colère », c’est un précipité de tout ce que vous avez observé dans les mouvements que vous suivez de longue date. C’est la première fois que vous mettez en rapport dans le même livre ces mouvements (anticapitalistes, nationalistes, gilets jaunes…) que vous avez toujours analysés séparément.
Je les étudie depuis de nombreuses années, même si je ne suis devenu un monsieur respectable que récemment (il est docteur en histoire depuis 2019 – NDLR). Dans ce livre, j’observe que les extrémismes du XXIe siècle ne sont pas ceux du siècle précédent : il y a moins de pensée et plus d’affect. On veut tout détruire mais sans savoir ce qu’on met à la place.
L’activisme, c’était mieux avant ?
Comparons Mai-68 et les gilets jaunes : quand les soixante-huitards s’emparaient d’un ministère, ils créaient un comité d’action, mettaient un drapeau noir ou rouge au fronton, et pondaient des manifestes « pour une réforme de la justice populaire », etc. En 2019, quand les gilets jaunes entrent avec fracas dans le ministère des Relations avec le Parlement, que font-ils ? Ils tournent en rond dans la cour et ils ressortent. C’est l’absence de perspective révolutionnaire qui caractérise aujourd’hui la plupart des révoltes. Les groupes extrémistes, quelles que soient leurs opinions, simplifient leur programme à l’extrême. Avant, il y avait un cadre théorique, des formations, dans les écoles comme celles du Parti communiste (que je ne place pas à l’extrême gauche, mais à la gauche de la gauche). Le problème de ces mouvements, c’est qu’ils abordent le XXIe siècle sans avoir trouvé le langage qui convient.
Vous avancez le concept de « révolutions minuscules ». Elles produisent tout de même des effets…
Certaines sont intéressantes, sur le plan local ou pendant une courte période. Mais, en général, la lutte des classes a laissé place à celle de petits groupes d’intérêts, de lobbies, de minorités. Si c’est le progrès, je le déplore… J’aimerais qu’on redonne du sens à des révoltes qui n’en ont plus.
Jusqu’où êtes-vous éclectique ? Vous avez travaillé pour Radio Nova, France Inter, mais aussi écrit la préface du livre de Maxime Brunerie (condamné pour avoir tenté d’assassiner Jacques Chirac, le 14 juillet 2002)…
J’ai fait quinze préfaces et on n’en retient qu’une. C’était en 2003, à la demande du patron des éditions Denoël, Olivier Rubinstein, puisque j’écrivais sur les mouvements d’extrême droite. Je ne connaissais pas Maxime Brunerie et je n’ai aucune sympathie pour l’extrême droite, même si, étant voltairien, je considère qu’elle a le droit de s’exprimer.
Vous êtes souvent où on ne vous attend pas. Sauter d’un projet, d’un support à l’autre, ça ne vous déphase pas ?
Mon activité principale, c’est l’écriture. C’est ce qui me motive, mais ça ne paie pas suffisamment. Comme il faut bien manger, j’ai fait de la radio, de la télé (« Tous les coups sont permis », sur RTL, « Ce soir ou jamais », sur France 2)… J’ai toujours été un peu déphasé. Dans « l’Élite artiste », la sociologue Nathalie Heinich écrit que les gens de spectacle se promènent dans la société de façon transversale : ils parcourent le monde en transcendant les classes. Mes parents étaient des gens de théâtre qui souvent tiraient le diable par la queue. Mais ils avaient cette capacité d’attirer à eux des mécènes qui les aimaient bien et nous invitaient, l’été, dans leur maison sur la Côte. On passait d’un monde à l’autre, et j’aime toujours ça.
Vous parliez du « joyeux bordel » qu’était votre vie au début. Ça conditionne la suite ?
Sans doute. Entre ma naissance et ma scolarisation en CP, on a dû déménager douze fois. On couchait dans des chambres de bonne, chez des amis, dans un château… On s’est embourgeoisés plus tard : grâce à André Malraux, mon beau-père est devenu directeur d’un centre dramatique national et il a eu un salaire. De 10 à 19 ans, j’étais plus bourgeois que bohème, et après j’ai quitté ma famille parce que je me suis mis à gagner beaucoup d’argent. Quand vous faites une dizaine de films en cinq ans, que vous êtes payé 5 000 francs par jour de tournage… Je ne me rendais pas compte que les vaches maigres arriveraient. Dans ma tête, j’étais riche à vie.
Qu’est-ce qui explique que vous n’ayez pas fait une grande carrière ?
Je manquais d’investissement. Je ne me destinais pas à cela et les comédiens de l’époque, qui étaient tous passés par le Conservatoire, me faisaient sentir que je n’appartenais pas au milieu. Je n’étais pas très heureux, et parfois je voyais que ce qu’on me demandait n’était pas bon, que le film allait être mauvais. Alors je me détachais et ça se voyait. L’intérêt du cinéma pour ma personne s’est progressivement calmé. À 27 ans, j’avais le choix entre devenir intermittent du spectacle ou revenir à mes passions, l’écriture, la politique, l’histoire, le journalisme… J’ai pensé un temps faire les deux, mais c’était difficile dans la France conservatrice des années 1980.
C’est pour éviter une étiquette que vous avez voulu les avoir toutes ?
Ma devise c’est : « L’un n’exclut pas l’autre » (phrase qu’aurait prononcée le plasticien Gil Joseph Wolman quand Guy Debord l’a exclu de l’Internationale lettriste – NDLR). Pendant que je tournais pour Godard, que je jouais avec Debra Winger (« French Postcards », de Willard Huyck), je continuais d’archiver les tracts et les bulletins révolutionnaires. Dans les villes où on tournait, je cherchais la librairie alternative locale pour me fournir.
Et même maintenant que vous avez fait don de votre fonds, vous continuez ?
J’ai créé à Valenciennes un Observatoire des extrémismes et des signes émergents, l’OESE. Je continue à le faire pour la recherche universitaire, en étudiant les mouvements minoritaires et en gardant sur eux un regard factuel et dépassionné.
Ce n’est heureusement pas celui que vous portez depuis quelques semaines dans « le Masque et la Plume ». C’est une sorte de panthéon où là aussi vous ferez entrer votre fantaisie ?
La radio (« Ce monde me rend fou », le week-end sur France Culture) est une déclinaison du théâtre et un prolongement de mon travail d’écriture. L’émission « le Masque et la Plume » réveille en moi le Christophe d’antan, cette appartenance atavique au cinéma. J’ai une légitimité, je crois. J’en parle avec dureté parfois, mais je connais ce monde de l’intérieur.
C’est ce regard, exigeant, que vous allez porter au « Masque et la Plume » ?
Je vais essayer de le défricher pour l’auditeur. Ce film vaut-il la peine d’être vu ? Est-ce une escroquerie, comme « Priscilla », ou apporte-t-il quelque chose, comme « l’Innocence » ? Je vais rester dissident, je vais rester moi-même.
En savoir plus sur Moissac Au Coeur
Subscribe to get the latest posts sent to your email.