Chez Chronodrive, une bien étrange mise à pied pour un tweet

Toulouse, le 12 février. Rozenn Kevel prend la parole lors d'un rassemblement de soutien, place du Capitole. © Hector Passat

Toulouse, le 12 février. Rozenn Kevel prend la parole lors d’un rassemblement de soutien, place du Capitole. © Hector Passat

Rozenn, une étudiante toulousaine, risque d’être licenciée après avoir dévoilé sur Twitter les mauvaises pratiques en matière de gaspillage alimentaire dans cette enseigne appartenant au groupe Auchan. Mais pour cette syndiquée CGT, cette affaire en cache une autre, liée à sa dénonciation du sexisme au sein de l’entreprise.

Quand Rozenn Kevel, employée au magasin Chronodrive de Basso-Cambo, à Toulouse (Haute-Garonne), est convoquée le 6 mars, elle tombe de haut. Son directeur de magasin lui annonce sa mise à pied à titre conservatoire en vue d’un potentiel licenciement. « Il m’a dit que ce n’était pas dû à la qualité de mon travail mais à des faits dans ma vie personnelle », raconte à l’Humanité l’étudiante de 19 ans.

Les objets non conformes sont détruits

L’objet du délit ? Un tweet daté du 25 février où l’étudiante dénonce le gaspillage alimentaire de l’enseigne de grande distribution en ligne. Répondant à une publication de Chronodrive vantant leurs emballages écologiques, elle écrit : « Mdr ça va les mitos ? Je travaille à #Chronodrive, je vous dis même pas combien d’aliments on nous force à jeter simplement parce que l’emballage est un peu abîmé. Et on peut même pas les récupérer sinon on est accusé de vol… Très écolo Chronodrive dit donc. »

Les magasins Chronodrive valorisent leurs invendus auprès d’associations, comme la Banque alimentaire. Mais Rozenn l’affirme, les produits non conformes sont bien détruits : « On jette des litres de lessive parce que le bouchon est cassé ou l’étiquette déchirée, de la viande en quantité… » Un gâchis, alors que 70 % des employés sont des étudiants, parfois en grande difficulté financière. Beaucoup peinent à s’acheter les denrées qu’ils doivent mettre à la benne, et ne sont pas autorisés à les récupérer.

Tout a commencé par un sit-in

Pour Rozenn, sa mise à pied s’expliquerait surtout par ses engagements syndicaux, plus particulièrement contre le sexisme au sein de l’entreprise. Tout a commencé par un sit-in, il y a deux mois, où Rozenn prend la parole pour dénoncer une ambiance misogyne, des injures, mains aux fesses, questions vulgaires… Elle est alors contactée par d’autres victimes.

Icon QuoteOn a offert aux travailleuses un cadre dans lequel elles pouvaient libérer leur parole, notamment à travers le hashtag #TuNesPasSeule. À partir de ce moment-là, la direction a commencé à nous répondre. Rozenn

« Avec la section CGT Chronodrive, j’ai défendu deux salariées, l’une qui subissait du harcèlement sexuel depuis trois ans, l’autre du harcèlement moral, raconte la jeune femme. On a offert aux travailleuses un cadre dans lequel elles pouvaient libérer leur parole, notamment à travers le hashtag #TuNesPasSeule. À partir de ce moment-là, la direction a commencé à nous répondre. » Elle explique avoir pu entamer des discussions pour accorder une rupture conventionnelle pour la première salariée, ce qu’elle réclamait depuis le début.

L’enquête interne n’a débouché sur rien

D’après Rozenn, l’enquête interne concernant son cas n’a débouché sur rien. Sa mise à pied a été prolongée le 15 mars, lors d’un entretien où se sont invités le directeur régional et un représentant du siège. À partir de cette date, le groupe dispose de trente jours pour lui annoncer sa sanction, qui peut aller jusqu’au licenciement pour faute grave ou lourde.

Contacté par l’Humanité, Chronodrive n’a pas donné suite à nos questions. La direction dénonce dans le Parisien une « atteinte à l’image commerciale », qui « constitue une violation de l’obligation contractuelle de loyauté vis-à-vis de son employeur ». « On m’a même reproché d’avoir utilisé le terme de “mythomane”, qui sous-entendrait que leurs emballages ne sont pas biodégradables… » s’étonne Rozenn. De son côté, l’enseigne affirme que sa décision n’a aucun lien avec les prises de position de la jeune femme.

L’affaire s’emballe sur les réseaux sociaux

En attendant, Rozenn ne touche plus de salaire, elle qui travaille normalement à mi-temps pour financer sa première année de fac. « Je suis en train de me battre pour toucher 400 euros par mois, explique l’étudiante, amère. D’ici la fin du mois, je vais me poser la question de comment payer mon loyer. »

Mais, depuis qu’elle a posté une vidéo sur les réseaux sociaux pour médiatiser l’affaire, tout s’est emballé. Retweetée par le député FI François Ruffin, soutenue par la comédienne Corinne Masiero, qui a signé une pétition en sa défense, aux côtés de près de 20 000 personnes, un appel à la grève lancé pour le 27 mars…

« Je n’arrive pas trop à calculer l’ampleur du phénomène, admet Rozenn. Depuis mon petit appartement, je reçois du soutien tous les jours, de gens qui relayent ma vidéo, qui m’envoient des messages. J’espère que ce rapport de forces fera que je ne serai pas licenciée. Cette mobilisation montre aussi que les jeunes ont décidé de ne plus se laisser faire face au sexisme, à nos conditions de travail et à la précarité. »


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