Économie. Pouvoir d’achat, chômage… foire aux intox en Macronie

Pour préparer la campagne présidentielle, Emmanuel Macron et ses lieutenants vantent leur bilan économique et social, quitte à faire mentir les chiffres et à travestir les faits.

Assurer le service après-vente du quinquennat. Telle est désormais la priorité des marcheurs, à moins de six mois du premier tour de la présidentielle. Avec plusieurs mots d’ordre à imprimer dans tous les esprits qu’Emmanuel Macron lui-même a commencé à marteler lors de son allocution du 9 novembre  : « Depuis quatre ans, le travail paie mieux. » Le président aurait également fait reculer le chômage dans des proportions inégalées depuis quinze ans et relancé la machine économique grâce à son plan de relance, malgré la pandémie mondiale. Désintox.

1. Macron, « champion » du pouvoir d’achat ?

À en croire le premier ministre, le chef de l’État est bel et bien « le président du pouvoir d’achat », et non celui des riches, comme on l’a prétendu. Las, les chiffres disent le contraire : la pluie d’argent public déversée pendant le quinquennat a surtout « ruisselé » sur les premiers de cordée. De nombreux Français n’en ont vu que des gouttes et les plus démunis y ont même perdu. Selon une récente étude de l’Institut des politiques publiques (IPP), les grands gagnants des baisses d’impôts consenties (28 milliards d’euros au total) restent les plus riches : le 1 % des contribuables les plus fortunés (10 000 euros de revenu par mois) ont vu leur niveau de vie augmenter de 2,8 % quand, à l’autre bout de la pyramide, les 5 % les plus pauvres ont perdu en niveau de vie, jusqu’à – 0,5 %. Dans le détail, en fin de quinquennat, le 1 % des plus riches gagne 3 500 euros de plus par an que s’il n’y avait pas eu de réformes. Ce grand écart s’explique facilement : les plus fortunés ont profité à plein de la transformation de l’ISF et de l’allègement de la fiscalité sur le capital (5 milliards d’euros de baisse de recettes fiscales), alors que les Français les plus modestes, c’est-à-dire ceux gagnant moins de 800 euros par mois, ont été frappés par la hausse de la fiscalité sur l’énergie et le tabac. Soit, en moyenne, 150 euros de revenu en moins sur une année pour les 1 % les plus pauvres.

2. Le chômage « au plus bas depuis près de quinze ans » ?

Emmanuel Macron ne manque jamais une occasion de s’enorgueillir de son bilan sur le front de l’emploi. Les résultats ne sont pourtant pas brillants. Dans sa note de conjoncture d’octobre 2021, l’Insee fait certes état d’une reprise « déjà sous tension », avec un chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) qui représenterait 8 % de la population active au deuxième trimestre et 7,6 % aux troisième et quatrième. Mais sans remonter quinze ans en arrière, en 2008, le taux de chômage en moyenne annuelle était de 7,4 %. La déclaration du chef de l’État n’est pas plus convaincante si l’on regarde les chiffres de Pôle emploi. « Entre 2006 et 2020 : il y a 2,5 millions d’inscrits en plus en catégories A, B et C », souligne Pierre Garnodier, secrétaire général de la CGT chômeurs.

Le diable se cache aussi dans les détails. Si les statistiques du troisième trimestre 2021 publiées par la Dares font apparaître un nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A (n’ayant pas travaillé) en baisse de 5,8 % sur la période et de 10 % sur un an, la précarité, elle, ne diminue pas. Les catégories B et C, incluant les privés d’emploi avec une activité réduite, ont respectivement augmenté de 3,3 % et de 9,5 % sur un an. Le jeu de vases communicants des chômeurs (pour faire dégonfler les premières catégories) est encore plus flagrant quand il s’agit de les envoyer en formation. Ils sont 25,6 % de plus en catégorie D cette année. Au total, 6,34 millions de personnes sont inscrites à Pôle emploi. Pas de quoi pavoiser, selon Pierre Garnodier : « Il faut que le gouvernement arrête de faire croire que tout va bien et que le chômage résulte d’une inadéquation entre les demandeurs d’emploi et les offres proposées. À Paris, il y a un CDI temps plein disponible pour 55 chômeurs. »

3. la France, « meilleure élève » d’Europe ?

« C’est le plan de relance le plus massif annoncé à ce jour parmi les pays européens », affirmait sans sourciller Jean Castex, en septembre 2020. Annoncé en pleine pandémie, ce plan représente certes une enveloppe de 100 milliards d’euros (soutien à l’industrie, baisse des impôts de production, rénovation thermique, etc.), mais il n’a rien d’extraordinaire au vu de ce qu’ont fait les autres pays européens. La France y a consacré 4,1 % de son PIB, soit un peu plus que le Royaume-Uni (3,9 %) et l’Allemagne (3,7 %), mais moins que l’Espagne (5,6 %) et beaucoup moins que l’Italie (12,4 %).

Reste à se demander quels effets économiques a produits ce plan. L’Élysée se gargarise de l’envol de la croissance du PIB, autour de 6,8 % cette année. Mais au-delà du fait qu’il ne s’agit que d’un rattrapage – très rapide il est vrai – après l’effondrement sans précédent du PIB en 2020 (- 7,9 %), rien ne permet de l’attribuer, pour l’heure, aux 100 milliards d’euros. « Il semble difficile d’établir un lien direct entre ce rétablissement rapide de la situation macroéconomique et la mise en œuvre de France relance, même si le plan y a certainement contribué », avance prudemment France Stratégie dans un rapport publié en octobre.

Le « rebond » français est malgré tout plus rapide que le rebond allemand (2,6 % de croissance attendue cette année), souligne l’économiste Éric Heyer (OFCE), qui rappelle qu’en période de pandémie, les performances économiques d’un pays sont liées à quatre facteurs : les mesures sanitaires ; le degré d’ouverture économique (l’Allemagne, par exemple, est plus exposée au ralentissement du commerce mondial) ; les crises sectorielles ; et les mesures de compensation décidées par l’État. « La politique du “quoi qu’il en coûte” a été similaire partout, souligne-t-il  : activité partielle, prêts garantis, etc. En réalité, c’est probablement surtout en matière de mesures sanitaires qu’on se distingue de l’Allemagne. Nous avons pris des mesures de confinement plus drastiques en 2019, mais nous avons fait le choix inverse en 2020 (maintien des écoles ouvertes, notamment), ce qui explique pour l’essentiel notre rebond plus rapide. »

4. Une industrie « moderne » et « écologique » ?

La politique économique du pouvoir vise à la fois à « redresser » le pays et à « préparer la France de demain », selon les éléments de langage gouvernementaux. Le bilan dressé par France Stratégie est moins flamboyant. Le rapport décortique les deux dispositifs destinés à moderniser notre appareil productif : le volet « soutien à l’investissement et à la modernisation de l’industrie » et celui sur l’« industrie du futur ». Soit 2,4 milliards d’euros de subventions déjà distribuées aux entreprises fin septembre, après appels à projets. France Stratégie note tout d’abord que si cette manne a sensiblement modifié la politique d’investissement des petites entreprises et des start-up, elle n’a en revanche pas bouleversé la feuille de route des PME et des grands groupes, qui avaient de toute façon déjà prévu d’investir. « L’obtention d’aides pourrait avoir constitué pour certaines entreprises (PME, ETI, grands groupes) un effet d’aubaine », met en garde le rapport.

Pour ce qui est de faire entrer la France « dans l’industrie de demain », nous n’y sommes pas encore, une majorité des crédits ayant surtout servi à « financer la modernisation de chaînes de production vieillissantes ». Quant au volet écolo, c’est encore pire : « Si l’impact environnemental faisait bien partie des grilles d’évaluation, il n’apparaissait pas comme un critère déterminant dans la sélection des projets », note le rapport, qui donne quelques exemples : 30 % seulement des projets automobiles soutenus mentionnaient « explicitement l’adaptation de leur production aux véhicules électriques ou à l’hydrogène » et « 3 % des projets financés dans l’aéronautique participaient à la transformation du secteur vers l’avion à hydrogène ou électrique ».


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