Irlande du Nord. Victoire pour le Sinn Féin, Titanic pour les unionistes

Le dépouillement est toujours en cours dans l’enclave britannique sur l’île d’Émeraude. Mais les républicains irlandais sont assurés d’arriver en tête des élections pour le parlement nord-irlandais. Du jamais vu dans un pays modelé il y a un siècle précisément pour les empêcher de prendre le pouvoir à Belfast. Présidente du Sinn Féin, Mary Lou McDonald appelle à « préparer » le référendum d’autodétermination sur la réunification.

Au centre, Michelle O'Neill, députée et cheffe du Sinn Féin en Irlande du Nord, après l'annonce des premiers résultats des élections locales. © Paul Faith - AFP

Au centre, Michelle O’Neill, députée et cheffe du Sinn Féin en Irlande du Nord, après l’annonce des premiers résultats des élections locales. © Paul Faith – AFP

Dans la capitale de ce qui reste, jusqu’à nouvel ordre, une province du Royaume-Uni, encore suturée dans ses périphéries par les « murs de la paix » qui empêchent les adolescents loyalistes protestants et républicains catholiques de rejouer les « Troubles », un peu à l’écart du centre-ville, quelques immeubles de bureaux dans un désert de terrains vagues, l’endroit parfait pour un naufrage. Il y a une dizaine d’années, le quartier des docks a été rebaptisé « Titanic ». Avec la manne britannique, on y a bâti le musée éponyme qui, avec son architecture spectaculaire, relate la construction du fameux paquebot par 15 000 ouvriers sur les chantiers navals de Belfast… sans trop s’étendre sur sa mise à l’eau fatale. Des hôtels Titanic, des restaurants et des cafés Titanic. Puis ce sont aussi les studios Titanic où quelques scènes de la série Games of Thrones ont été tournés. Et depuis vendredi matin, au lendemain des élections pour l’assemblée législative nord-irlandaise, c’est dans l’immense chapiteau du centre des expositions Titanic que se pressent scrutateurs, candidats et journalistes pour assister au dépouillement des bulletins de vote pour six circonscriptions de la ville et de ses faubourgs (soit 30 postes de députés sur un total de 90).

Le Sinn Féin, en faveur de la réunification de l’ïle

L’endroit est parfait, disait-on, pour un naufrage… Mais aussi pour une victoire. Les Irlandais qui aiment emprunter à Mark Twain, dont un ancêtre avait été chasseur de sorcières en chef à Belfast, une de ses citations – « Si vous n’aimez pas le temps qu’il fait, attendez quelques minutes » – pourraient en choisir une autre, ces jours-ci : « ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. » Malgré un système électoral extrêmement complexe, avec préférences et transferts de voix – ce qui explique que les résultats définitifs ne devraient être connus que ce samedi soir -, une chose est sûre déjà : le Sinn Féin, partisan de la réunification et donc de la sortie de l’Irlande du Nord du Royaume-Uni, est, pour la première fois depuis la création de toutes pièces par les forces impériales de leur enclave majoritairement protestante sur l’île d’Émeraude, arrivé en tête, devançant ses adversaires ultra-conservateurs, loyalistes et unionistes, qui entendent, eux, rester à l’ombre de la couronne de la monarchie britannique.

Michelle O’Neill, future première ministre nord-irlandaise

Le score est net, sans appel ni bavure : le parti républicain, présidé de l’autre côté de la frontière, à Dublin, par Mary Lou McDonald, a recueilli 29 % des « premières préférences », contre 21,3 % pour le Democratic Unionist Party (DUP) de Jeffrey Donaldson qui, après avoir pris l’ascendant dans le camp loyaliste après les accords de paix de 1998, était systématiquement le premier parti en Irlande du Nord. Après avoir été vice-première ministre d’Irlande du Nord – un poste dévolu au second parti – en coalition forcée avec les unionistes hégémoniques jusqu’ici, Michelle O’Neill qui est également vice-présidente du Sinn Féin, devrait changer de casquette et, majoritaires en voix mais également en sièges dans la prochaine assemblée, devenir la première ministre nord-irlandaise. Un changement à la portée limitée sur le papier des accords de paix qui assurent une forme de cohabitation entre les deux camps issus du passé. Mais surtout un symbole proprement inouï qui ne peut que changer la donne dans les prochaines années.

« Un grand moment d’égalité »

À quelques dizaines de mètres de ces chantiers navals qui, devenus après le Titanic et ensuite, la partition de l’Irlande, un bastion du pouvoir colonial – les Britanniques y ont, pendant des décennies, réservé les emplois aux protestants unionistes, servant les uns pour discriminer les autres -, Mary Lou McDonald savoure résolument : « Souvenez-vous bien que ce territoire a été imaginé il y a un siècle, juste pour s’assurer qu’aucune Michelle O’Neill n’occupe jamais la fonction de première ministre, lance-t-elle. C’est un grand moment pour l’égalité. » Après une campagne sérieuse et rassembleuse, menée sur les grandes urgences sociales – coût de la vie, logement, système de santé, etc. -, qui a ringardisé les unionistes plus repliés que jamais et vent debout contre le protocole nord-irlandais instaurant une barrière douanière en mer, entre leur territoire et la Grande-Bretagne (lire notre entretien avec la chercheuse Agnès Maillot dans l’Humanité du 5 mai), la présidente du Sinn Féin qui fait un tabac en république d’Irlande et est plus que jamais en lice pour en devenir la prochaine première ministre à son tour lors des législatives de 2025, pousse son avantage. « Je crois qu’il est possible de tenir un référendum (sur la réunification de l’Irlande) dans les cinq prochaines années, encourage Mary Lou McDonald. Sa préparation doit être ordonnée, pacifique et démocratique, et le plus important, c’est de la commencer dès maintenant. »

Dépasser les clivages du passé et de la guerre civile

Alors que le DUP menace de continuer de paralyser l’exécutif, rien n’est totalement joué à ce stade. Mais forts de leur victoire éclatante – ils étaient donnés en tête dans les sondages, mais du simple fait de l’effondrement de leurs adversaires unionistes, alors qu’au bout du compte, ils ont amélioré de près de 2 % leur meilleur score jusqu’à présent en Irlande du nord -, les nationalistes irlandais peuvent être confiants. Ils pourront sans doute d’appuyer sur la troisième force qui émerge dans ces élections, les centristes « non-alignés » de l’Alliance qui, avec une partie de la jeunesse, cherchent, tout comme le Sinn Féin à sa manière, à dépasser les clivages du passé et de la guerre civile. «  Tiocfaidh ár lá », ont toujours dit, en gaélique, les ancêtres des vainqueurs de ces jours à Belfast. Cela signifie : « Notre jour viendra. » La promesse avait sans doute quelque chose de messianique, mais cette fois, c’était vrai. Le jour des républicains irlandais est là, ou il est vraiment très proche maintenant.

Bio express Michelle O’Neill, première première ministre pour le Sinn Féin

Tout comme Gerry Adams, le leader emblématique du Sinn Féin pendant des décennies, qui a passé la main à la tête du parti à Mary Lou McDonald, Martin McGuinness, l’ex-commandant de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) décédé depuis lors, a, au nord de l’île, organisé une transition réussie avec Michelle O’Neill. À chaque élection en Irlande du Nord, cette quadragénaire qui s’apprête à devenir la première républicaine désignée première ministre d’Irlande du Nord a réussi à faire monter le score du Sinn Féin. Pour ses adversaires, difficile de la renvoyer personnellement à la période de la guerre civile et des « Troubles ». Certes, elle compte, comme il se doit, dans sa famille des anciens membres de l’IRA. Mais elle avait une petite vingtaine d’années en 1998, lors de la signature des accords de paix… Déjà mère de sa première fille, elle s’engage alors dans le parti au sein duquel elle grimpe tous les échelons jusqu’à devenir sa vice-présidente depuis 2017.


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