l’extrême droite attaque l’État de droit et la démocratie

En s’attaquant à l’indépendance de la justice, l’extrême droite rappelle sa nature profonde. C’est pourtant elle qui multiplie les atteintes à la démocratie en détournant de l’argent public et en remettant en cause l’impartialité des juges.

 

Gloire au détournement d’argent public ! C’est par un tonnerre d’applaudissements que les députés du Rassemblement national ont accueilli, debout, l’arrivée de Marine Le Pen à l’Assemblée nationale, lors d’une réunion du groupe RN, mardi 1er avril dans la matinée. Un triomphe rare pour quelqu’un qui vient d’être reconnu coupable d’avoir mis au point un système de détournement de fonds publics, pour un préjudice total de 4,1 millions d’euros. En réalité, cette malversation caractérisée leur importe peu, seule compte l’impossibilité (en attente d’une décision en appel qui pourrait intervenir dès l’été 2026, selon le parquet général de la Cour d’appel de Paris) de participer à la course à l’Élysée.

Le discours trumpiste clés en main sur le « gouvernement des juges » et une extrême droite « persécutée » bat donc son plein sur les plateaux de télévision et de radio, où le RN a micro ouvert depuis lundi midi, sans contradiction ou presque.

Ce mardi, la patronne a tenu à galvaniser ses troupes, tout en distillant quelques éléments de langage : « Le système a sorti la bombe nucléaire parce que nous sommes sur le point de gagner, prétend-elle. On ne se laissera pas faire et nous défendrons le droit des Français de voter pour qui ils souhaitent. » Le président du RN, Jordan Bardella, qui parle de « tyrannie des juges », a annoncé qu’une « manifestation de soutien » se tiendra dimanche après-midi, place Vauban à Paris.

L’extrême droite refuse de reconnaître une décision de justice

Le successeur désigné de Marine Le Pen assure aussi, sur CNews, ne pas penser à sa probable candidature pour 2027 : « Tant que nous n’aurons pas combattu cette injustice, je refuserai de me mettre dans ce scénario. » L’heure est au combat contre une décision de justice. « C’est mal connaître Marine Le Pen que de penser qu’elle allait se soumettre », a soutenu la députée RN Laure Lavalette sur CNews.

Or, c’est bien de cela qu’il s’agit : l’extrême droite refuse de se soumettre à une décision de justice, et donc de la reconnaître. Une attaque en règle contre l’État de droit. L’extrême droite en est coutumière. Le RN, dans ses programmes de 2017 et de 2022, souhaite supprimer le juge constitutionnel ou encore accorder un droit de regard aux policiers sur les décisions de justice, par exemple, comme ses alliés en Hongrie, en Russie ou aux États-Unis, qui se sont empressés de soutenir Marine Le Pen lundi.

Le principe d’État de droit suppose la prééminence, dans un État, du droit sur le pouvoir politique, soit précisément ce qui a été appliqué par le tribunal correctionnel, lundi. Car, il faut sans cesse le rappeler, les juges se sont basés sur un article du Code pénal, dix ans d’enquête et deux mois de procès. Mais aussi sur une jurisprudence qui a assorti de manière régulière des peines d’inéligibilité à de l’exécution provisoire, à l’image des sanctions prononcées contre l’ancien président de la Polynésie française Gaston Flosse ou l’ex-maire de Toulon Hubert Falco.

Un procès en appel accéléré « au détriment d’autres justiciables » ?

« Si Marine Le Pen estime que les droits de la défense n’ont pas été respectés, il y a des recours possibles dans le cadre du processus juridictionnel, précisément grâce à l’État de droit, c’est-à-dire à l’égalité de toutes et tous devant la loi et l’application par un tribunal indépendant et impartial de textes votés par la représentation nationale », rappelle Judith Allenbach, présidente du Syndicat de la magistrature (SM).

Mais à entendre les représentants de l’extrême droite, comme des « Républicains » et d’une partie de la Macronie, le problème n’est pas tant la culpabilité de Marine Le Pen. Bien que n’ayant jamais été très attachés à la transparence dans la vie politique (ses députés se sont abstenus sur les textes portant sur la probité des élus depuis 2014, quand Marion Maréchal a voté contre la loi Sapin 2), les élus RN se sont considérablement éloignés de la proposition de leur cheffe, en 2013, de rendre inéligibles à vie des responsables politiques condamnés pour les mêmes infractions.

Leur discours consiste plutôt à considérer que la triple candidate à la présidentielle aurait dû échapper à l’exécution provisoire car, dans son cas, la conséquence serait que « 13 millions de nos compatriotes (soient) éliminés de la vie politique », avance le député Julien Odoul. Or en aucun cas, le parti, ses idées et son courant politique ne sont interdits de participer à l’élection. Surtout, dénoncer l’exécution provisoire au nom du statut de favorite à la présidentielle de Marine Le Pen revient à exiger un traitement de faveur.

Respect des principes démocratiques

Le garde des Sceaux Gérald Darmanin est prêt à lui accorder. Dans l’Hémicycle mardi, en réponse à la croisade de Jean-Philippe Tanguy contre « des juges tyrans qui font taire les opposants en exécutant l’État de droit », le ministre de la Justice a émis le souhait que le procès en appel soit organisé dans le délai « le plus raisonnable possible ». « On dit aujourd’hui que Marine Le Pen pourrait bénéficier d’un audiencement rapide de son procès en appel. Mais si c’était le cas, ce serait au détriment d’autres justiciables », s’inquiète Catherine Vandier, trésorière de l’Union syndicale des magistrats (USM).

Plus que l’État de droit, l’extrême droite estime que c’est la « démocratie » qui a été « exécutée », pour reprendre les mots de Jordan Bardella. « Ce sont les électeurs qui dans une démocratie décident », a clamé Marine Le Pen au JT de 20 heures de TF1 lundi. Mais la démocratie ne se réduit pas à la compétition électorale et « contester la légitimité des juges à appliquer la loi votée par le législateur, c’est plutôt ça le déni de démocratie », restitue Judith Allenbach, du SM.

Par ailleurs, c’est justement au nom du respect des principes démocratiques que les ex-eurodéputés FN concernés par l’affaire ont été condamnés à l’inéligibilité. La présidente du tribunal correctionnel, Bénédicte de Perthuis, a précisé que ce détournement des fonds publics européens « constitue un contournement démocratique qui réside dans une double tromperie, aux dépens du Parlement européen et des électeurs », et a provoqué « une rupture d’égalité, favorisant ainsi leurs candidats et leur parti politique, au détriment des autres ».

La présidente du tribunal menacée

À ces atteintes à la démocratie s’ajoutent les menaces subies depuis lundi midi par les juges du tribunal correctionnel, la présidente Bénédicte de Perthuis en tête, aujourd’hui sous protection policière. Des médias comme CNews et Frontières ont rendu public sur les réseaux sociaux l’arrondissement parisien où elle réside. Frontières a aussi reproché à la magistrate d’avoir exprimé son admiration pour Eva Joly, ancienne eurodéputée écologiste mais surtout magistrate reconnue. Suffisant, selon le média d’extrême droite, pour considérer que Bénédicte de Perthuis « incarne ainsi une justice financière empreinte d’une certaine partialité ».

« Ce qui est inacceptable, c’est la mise en cause directe de magistrats. Le visage de la présidente de la 11e chambre a été montré au 20 heures de TF1, elle est menacée sur les réseaux sociaux, doit aujourd’hui bénéficier de mesures de protection. Cet opprobre jeté sur elle, et avant sur ses collègues du parquet, est inadmissible », s’insurge Catherine Vandier, de l’USM.

Mardi, Marine Le Pen a déclaré qu’il était « scandaleux que des magistrats fassent l’objet de menaces », tout en comparant aussitôt ces attaques à la décision des juges : « Quand le Syndicat de la magistrature dit qu’il faut empêcher le RN d’arriver au pouvoir, c’est aussi une menace à l’égard de nos électeurs. » Car c’est la trouvaille du jour de l’extrême droite : puisque le SM – dont n’est pas membre Bénédicte de Perthuis – a appelé en juin dernier à faire barrage au RN – en raison de ses atteintes à l’État de droit, notamment –, le tribunal correctionnel aurait agi en service commandé.

« Jamais un magistrat ou une formation de jugement, individuellement ou collectivement, ne saurait être tenu comptable des prises de position d’une organisation syndicale. Les magistrats sont indépendants du politique, ils appliquent les lois, qui sont votées par les élus de la nation », rappelle la présidente de l’organisation. Encore une fois, c’est l’extrême droite qui, en s’en prenant à la justice et en remettant en question son indépendance, attaque la démocratie et l’État de droit.


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