« La révolution cubaine est la démonstration qu’un petit peuple peut s’émanciper » : rencontre avec André Chassaigne, un ancien député toujours hyperactif + Video

L’heure de la retraite n’a pas encore sonné pour André Chassaigne. Quand il n’envoie pas un conteneur de matériel médical à Cuba, l’ancien député PCF bataille pour la sécurité alimentaire dans les outre-mer ou prend la plume pour raconter l’église de son village.

 

À 75 ans, André Chassaigne a mis fin à ses activités de député et de président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) à l’Assemblée nationale le 31 mars dernier. Il est redevenu simple militant. Toutes les semaines, il fait office d’assistant parlementaire bénévole de celui qui lui a succédé, en assurant la permanence dans son village de Saint-Amant-Roche-Savine (Puy-de-Dôme). Il dédie son temps aux causes qui lui sont chères : Cuba et la rénovation de l’église de son village.

À peine retraité, vous travaillez à l’envoi de matériel médical à Cuba. Un conteneur partira ce mois-ci…

Je ne me sens pas en retraite. Quand j’ai transmis mon mandat de député, tout avait été préparé et réfléchi, si bien que je n’ai aucun sentiment de rupture. En prévision de ce qui devait être la retraite, j’avais mis en chantier plusieurs choses. Au final, je ne suis en retraite que de la charge mentale de député, à savoir préparer des interventions, être en lien avec la population, animer une équipe…

Cuba occupe donc une partie de votre temps.

Je participe à l’animation de la campagne sur Cuba, lancée lors du 39e congrès du Parti communiste français. Nous envoyons ce mois-ci un conteneur de 65 mètres cubes, avec du matériel d’hôpital, des lits médicalisés, des médicaments. Tout cela a été collecté dans les fédérations du parti. Le conteneur partira du Havre pour La Havane, où il sera livré au comité central du Parti communiste de Cuba. Lorsque j’ai quitté mon mandat, notre secrétaire national m’a demandé de prendre la responsabilité de notre campagne de solidarité avec Cuba.

Je tiens aussi des conférences autour de mon livre Cuba, cette étoile dans la nuit. C’est un outil qui nourrit cette campagne. Ces dernières semaines, je suis ainsi intervenu à Sète, à Vitry ou lors de la Fête du travailleur catalan. Ce combat, je le mène avec des associations de solidarité : Association Cuba coopération, France Cuba, le Secours populaire français et Cuba Sì France, dans laquelle je suis fortement engagé. Nous faisons partir un conteneur avec de la poudre de lait et de l’huile végétale, que j’ai moi-même négociées avec les producteurs.

Vous êtes engagé de longue date à ce sujet. D’où cela vous vient-il ?

Comme beaucoup, j’avais un poster de Che Guevara dans ma chambre d’adolescent. Mon engagement réel pour la cause cubaine date d’une vingtaine d’années, après être devenu député. Comme président du groupe d’amitié France-Cuba à l’Assemblée, j’ai conduit deux missions parlementaires et participé au déplacement du président François Hollande en 2015.

J’y suis aussi allé plusieurs fois avec mes amis de Cuba Si France ou à titre personnel, notamment pour m’imprégner de l’ambiance et écrire mon livre. Le 1er mai de cette année, le président de la République cubaine, Miguel Diaz-Canel, m’a décerné la médaille de l’Amitié entre les peuples.

Que représente Cuba ?

Pour moi, Cuba n’est pas qu’une question de solidarité. Il faut expliquer les causes du blocus et de l’acharnement des États-Unis, mais aussi la puissance de la résistance d’un peuple soumis au blocus depuis plus de soixante ans. L’objectif de Washington est d’asphyxier « la grande île de la révolution », de faire en sorte que le peuple se révolte contre ses dirigeants. Ils mènent une forme de guerre hybride sur le plan économique mais aussi sur le plan médiatique, finançant les opposants pour organiser des manifestations contre la situation de grande précarité engendrée par leur blocus, conduisant le pouvoir cubain à prendre les mesures liberticides d’un pays agressé par une puissance extérieure.

Nous nous devons aussi d’expliquer que l’avenir de Cuba ne concerne pas que Cuba.  Pour de nombreux peuples du monde, la révolution cubaine est une étoile dans la nuit de l’affaiblissement des valeurs humanistes. Son échec serait un coup porté à la dimension emblématique que représente la construction d’une société socialiste.  Nelson Mandela avait compris que la révolution cubaine était un apport pour l’ensemble de l’humanité. Pas étonnant qu’il lui ait consacré son premier voyage à sa sortie de prison. Cette expérience est la démonstration qu’un petit peuple, même pauvre, peut s’émanciper. La démonstration qu’un peuple courageux peut résister à la plus grande puissance du monde.

Vous avez présidé le groupe des députés de la Gauche démocrate et républicaine. Aussi avez-vous été très sensible à la situation des pays d’outre-mer. Qu’avez-vous découvert alors ?

En travaillant avec les députés des pays dits d’outre-mer, j’ai pris conscience qu’il y avait autant de problématiques que de territoires et de peuples. La situation est particulière dans les Antilles et en Guyane, où existe un véritable problème de sécurité alimentaire. La souveraineté en matière d’alimentation n’est que de 10 à 20 %. Nous nous devons d’accompagner le développement d’une agriculture diversifiée sur ces territoires, trop dépendants de la monoculture, que ce soit celle de la canne à sucre ou de la banane. C’est pour cela que j’avais sollicité une mission sur la sécurité alimentaire dans l’espace des Caraïbes, qui vient de m’être confiée par les ministères des Outre-mer et de l’Agriculture.

Cette mission répond à un engagement que j’avais pris auprès des députés d’outre-mer : continuer à travailler avec eux. Elle touche à mes deux domaines de compétence : les pays d’outre-mer et l’agriculture. Je joindrai à cela l’intérêt que j’ai pour Cuba et son agriculture, au cœur de l’espace caribéen.  L’objectif est de faire émerger des solutions et propositions concrètes. L’une des réponses est bien sûr de développer les productions locales. Mais il s’agit également de promouvoir des coopérations de proximité. Il n’est pas pensable que des produits achetés à proximité de nos pays d’outre-mer doivent passer par l’Hexagone pour y revenir.

Quel regard portez-vous sur cette législature ?

Il faut beaucoup de détermination et de vigilance pour tenir sa place de député. Les circonstances sont exceptionnelles, entraînant une multiplication de propositions de loi de portée secondaire, qui sont chronophages et pas à la hauteur des enjeux auxquels la France doit répondre. D’autres lois auront de graves conséquences dans les domaines environnemental et agricole. Quant à l’attaque contre l’audiovisuel public, elle est loin d’être écartée.

Du fait d’une motion de rejet préalable, ou faute d’avoir le temps d’examiner tous les amendements, des textes partent vers le Sénat sans même avoir été examinés par l’Assemblée. La place centrale prise par la Chambre haute, tenue par la droite dure, vous inquiète-t-elle ?

En effet, il faut être attentif à ne pas alimenter ce mécanisme. Quand on fait des tunnels d’amendements, ces derniers sont ensuite instrumentalisés par la majorité actuelle pour que le texte ne soit pas entièrement étudié à l’Assemblée et file en l’état au Sénat. Un Sénat dominé par une majorité conservatrice, qui, de facto, tient désormais les manettes. Créer les conditions pour que l’emporte la politique du pire a des conséquences catastrophiques pour la population et nos territoires.

Après votre départ de l’Assemblée nationale, vous vous êtes replongé dans les responsabilités locales…

J’ai été élu adjoint au maire de mon village de Saint-Amant-Roche-Savine, et j’étais chargé notamment du patrimoine historique. L’église est classée et doit être rénovée. Depuis trois mois, j’ai fait venir des responsables du patrimoine pour faire un état des lieux et voir quels sont les travaux à effectuer. Je me suis aussi lancé dans l’écriture d’une notice historique sur l’église et le village, qui me prend beaucoup de temps, bien davantage que ce que j’avais imaginé. Entre les documents que j’avais amassés, ceux que je consulte, les anecdotes qui me reviennent sur mon travail d’élu en lien avec l’église, mon rapport à la religion, la simple brochure se métamorphose en un ouvrage qui mêle approche historique et histoire personnelle.

Quelle relation avez-vous à la religion ?

Je ne suis pas croyant mais très intéressé par le fait religieux et les œuvres qu’il a engendrées. Dans le livre, je fais notamment une description très fouillée d’une toile de l’église en lien avec le discours biblique, « le Repas chez Simon », que j’avais fait rénover alors que j’étais maire (avant 2010 – NDRL). J’explique aussi mon goût pour les paraboles dont j’use beaucoup dans mes interventions. À partir de récits sur la vie, on peut démontrer beaucoup de choses.

Je ne me contente pas d’un récit descriptif. Par exemple, nous avons une pietà en bois polychrome, faite par un artiste inconnu. Je livre mes appréciations sur l’art populaire, en opposition à l’art des élites. J’ai appris que les cloches ont été cachées par la population pendant la Révolution pour qu’elles ne soient pas fondues. J’aborde donc le temps de la Révolution dans notre village, et singulièrement sur le rôle de l’Auvergnat Georges Couthon (proche de Robespierre – NDLR). Je fais aussi du Peppone et du Don Camillo, moustache et soutane, en livrant des anecdotes avec l’ancien curé du village.

L’actuel curé de votre village avait d’ailleurs salué de manière particulière votre départ de l’Assemblée nationale…

Oui. Il m’avait félicité pour ma stricte application du droit canon (rires) ! À 75 ans, on peut rester prêtre, mais sans avoir la charge d’une cure. À 75 ans, je reste militant, même si je n’ai plus la charge du groupe parlementaire et de la circonscription.

Comment répondre à la déconnexion entre la gauche et la population sur votre territoire ?

Ce que fait mon successeur Julien Brugerolles : le tour de toutes les communes. Il est très actif sur le terrain. Dans les villages, les habitants viennent échanger en nombre avec lui. Confronter nos idées, c’est ce qu’il nous a été impossible de faire lors de la dernière campagne des élections législatives, qui n’a duré que deux semaines.  Nous devons redonner à la politique ses lettres de noblesse.

La réponse à cette déconnexion est dans le contact direct avec les gens. Il faut arriver à convaincre de l’utilité d’un député communiste.  Par exemple, nous avons eu des retours très positifs sur un article de notre journal de section concernant la loi sur la gratuité des soins afférents au traitement du cancer du sein. Elle était portée par Fabien Roussel puis le député Yannick Monnet. Nous devons être attentifs à l’utilité de ce que l’on arrache. Toute victoire est intéressante. Il faut les valoriser.

Mais il faut aussi le discours politique pour dire que le repli sur soi, la xénophobie, le racisme ne sont pas la solution. Mais on ne peut pas en rester là. On aura du mal à convaincre avec un discours purement idéologique. Nous devons privilégier une forme d’éducation active. L’éducation active, c’est par le concret, les actes, s’occuper des gens et les accompagner. C’est aussi relayer dans le travail parlementaire les problématiques qui sont celles du territoire et des habitants.

Cela exige que l’action de l’élu soit accompagnée d’une activité militante. J’observe avec scepticisme les actions de sommet fortement médiatisées mais déconnectées des attentes populaires du moment. Bien évidemment se pose la question du changement par un rassemblement de la gauche et des forces progressistes. Mais soyons attentifs à ne pas lâcher la proie pour l’ombre, les combats du quotidien.



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