Les crises qui agitent le monde réactualisent le besoin de communisme. Dans un hors-série spécial, « l’Humanité » défriche les chemins de l’avenir d’une idée. En 1920, au sortir de la guerre, le mouvement socialiste connaît de vifs débats. Le choix des délégués du congrès de Tours d’adhérer à l’Internationale communiste marquera l’histoire. Récit.
C’est un peu comme si la planète avait voulu rappeler l’urgence de rompre avec le système actuel. Un siècle après la révolution d’Octobre, qui a essaimé l’espoir révolutionnaire partout dans le monde, la crise écologique est venue s’ajouter à une crise sociale permanente à laquelle le capitalisme est incapable de répondre. Celle liée au Covid-19 ne faisant que le confirmer encore. Un constat qui amène un nouveau « besoin de communisme », comme l’affirme le hors-série publié par « l’Humanité » à l’occasion des 100 ans du congrès de Tours.
Une force agissante
« La banquise et les glaciers fondent, le climat s’emballe, les rivières et les océans sont souillés, des espèces vivantes sont épuisées et périssent, tandis que près d’un quart de l’humanité vit sans eau courante », décrit le philosophe Bernard Vasseur. Dans ce monde gouverné par « une finance agressive qui se gave de dividendes, ce qui conduit à la stagnation de l’investissement, au recul désastreux du travail et à la précarisation de la vie des salariés (…), l’humanité va dans le mur, et cela devient visible pour tous », conclut-il. Un appel à des changements profonds mais aussi un terreau idéal pour la montée des nationalismes, obscurantismes et réponses autoritaires. Après 100 ans, dont les 30 dernières années débarrassées de tout système concurrent, le capitalisme est (toujours) en échec.
« Le communisme est toujours à l’ordre du jour, parce que, sans lui comme force agissante, rien ne se passe », souligne le philosophe Étienne Balibar. Les jeunes aussi posent un regard critique sur le système qu’on leur vend pourtant comme indépassable. 58 % (1) des 18-30 ans jugent le capitalisme responsable du dérèglement climatique, l’une de leurs premières préoccupations. De même, pour 83 % d’entre eux, la lutte des classes est toujours une réalité. 78 % pensent que « des secteurs comme la santé, l’éducation ou le logement ne devraient pas être soumis à la concurrence et à la compétition économique » ou encore 75 %, que « les salariés, les travailleurs devraient pouvoir décider des choix de leur entreprise ». Des objectifs et des valeurs partagées avec les communistes. Pourtant, le terme « communisme » lui-même est jugé négativement par 65 % des jeunes. « Voici un mot qui porte indûment une lourde et négative charge historique. Un mot galvaudé, piétiné, détourné, dénaturé. Un mot “profession de foi” qu’il faudra pourtant bien défricher et repenser pour affronter les temps présents », souligne Patrick Le Hyaric, directeur de « l’Humanité ».
Un ensemble de combats
Pour Étienne Balibar, explorer de nouveaux chemins consiste à « travailler à un programme “socialiste” pour l’humanité du XXIe siècle, dans lequel se rejoindraient des régulations économiques et environnementales planétaires, des insurrections populaires et des utopies concrètes, expérimentant à petite ou grande échelle de nouveaux modes de vie en commun », et de préciser : « L’insurrection est le terme clé dont tout dépend. S’il n’y a pas d’insurrection contre l’ordre existant, rien ne peut évoluer, sinon vers le pire. »
Selon Bernard Vasseur, le communisme, « ce n’est pas d’abord un résultat (une société), c’est l’ensemble des combats qui peuvent y mener ». Une définition comme un écho à la phrase de Marx, qui y voit « le mouvement réel qui abolit l’état de choses existant ».
Pour Étienne Balibar « les déterminations qu’il (Marx – NDLR) a ajoutées ensuite, qu’il s’agisse de substituer le commun à la propriété privée, d’étendre la démocratie au-delà des formes bourgeoises de la délégation de pouvoir, de surmonter la division du travail manuel et intellectuel, enfin et surtout de promouvoir l’internationalisme (donc l’antimilitarisme et l’antiracisme), ont à la fois pour effet de traduire l’idée du communisme en objectifs politiques et de lui conférer une signification anthropologique ».
L’ensemble de ces combats articule changement de mode de production et luttes émancipatrices contre le racisme ou le patriarcat. Ne pas omettre ces dernières, comme ça a pu être le cas par le passé, mais sans exonérer le système d’exploitation comme le font certaines critiques du libéralisme. « On le sait de source sûre, établir une redistribution étatique des richesses sans toucher à leur mode de production, c’est laisser en place ceux qui vont annuler vos efforts et revenir au pouvoir peu après » ! rappelle Bernard Vasseur.
des désirs populaires
Le siècle passé a déjà apporté des embryons de communisme « déjà là » : la Sécurité sociale, les formes de propriété alternatives (Scop…) ou encore des pratiques politiques locales comme la gestion publique de l’eau ou le développement des services publics. D’autres idées communistes émergent pour se débarrasser des affres du capitalisme : sécurité d’emploi et de formation pour en finir avec le chômage et la précarité, salaire à vie contre la marchandisation du travail ou encore sécurité sociale de l’alimentation.
Des réalisations possibles dans une République refondée : « Aujourd’hui encore, le principe d’égalité et le droit au bonheur concentrent une telle charge révolutionnaire qu’ils exaltent l’aspiration à l’universelle émancipation de toute l’humanité », rappelle l’historien Jean-Paul Scot. C’est naturellement que Fabien Roussel veut faire prospérer ce lien entre République et communisme. « Le peuple doit disposer de nouvelles institutions, d’une nouvelle République afin de prendre véritablement la main », propose l’actuel secrétaire national du PCF. Un parti qui, pour ses 100 ans, cherche le meilleur moyen d’incarner l’espoir révolutionnaire aux yeux du plus grand nombre. « Si le communisme a un avenir en tant que mouvement politique, c’est en s’inscrivant dans les espaces de vie, de travail des classes populaires et en s’opposant à la diversité des dominations », pense pour sa part le sociologue Julian Mischi. Le champ intellectuel et politique reste vaste pour faire avancer le mouvement communiste. « Quelles sont les conditions contemporaines de la lutte des classes ? Comment fédérer les forces sociales, porteuses de projets émancipateurs qui ne sont pas spontanément les mêmes ? Comment affronter la question de l’État sans être piégé par l’électoralisme à courte vue ? Comment réorganiser le travail et repenser une planification démocratique ? » s’interroge la philosophe Isabelle Garo. Pour Bernard Vasseur, « cela commence par s’employer à faire naître des désirs populaires d’émancipation, de maîtrise dans son travail, de liberté dans sa vie afin qu’il n’y ait plus à la “gagner” mais à la vivre pleinement ». Un début de réponse au « besoin de communisme ». Le regretté philosophe Lucien Sève, dont « l’Humanité » publie un texte inédit, parlait même d’« urgence de communisme ».
Le 25 décembre 1920, quand les délégués.du 18e congrès de la SFIO (parti socialiste) pénètrent dans la salle du Manège, à Tours, ils ont conscience que la décision de l’adhésion à l’Internationale communiste est jouée. Les fédérations départementales se sont prononcées massivement pour cette IIIe Internationale. Pourtant, l’intensité du moment se lit sur les rares photographies dont nous disposons encore (1). La séparation ne sera pas joyeuse, il est toujours difficile de rompre politiquement avec l’ami, le camarade avec lequel on a milité pendant des années. La fin de l’unité des socialistes, qui fut difficilement acquise en 1905, ne se fait pas sans conscience de la gravité du moment.
des voix contre la guerre
La décision majoritaire de Tours n’est pas un accident mais un événement, et, comme tout événement, ses causes sont à chercher dans le temps long de l’histoire du mouvement ouvrier français, du socialisme international et dans cette sorte d’accélération de l’histoire que furent la Première Guerre mondiale et les conséquences des révolutions russes de 1917. Comme tout événement, le congrès de Tours est inscrit dans une conjoncture, celle de l’après-guerre, de la vague révolutionnaire, de l’agitation sociale en Europe et de la recomposition des impérialismes. Comme tout événement, la décision de Tours n’avait rien d’inéluctable, il y avait d’autres possibles, ou n’aurait pu être comme dans d’autres pays que le fait d’une minorité. Mais là encore, comme pour tout événement, le rôle de femmes et d’hommes fut essentiel.
Après l’assassinat de Jean Jaurès, quand la guerre est déclenchée, l’écrasante majorité du socialisme et du syndicalisme rejoint l’union nationale. Il en va pareillement dans pratiquement tous les autres pays belligérants. Comme si, au-delà des proclamations françaises sur la légitimité de cette guerre du droit contre l’Empire autoritaire allemand, la logique nationaliste s’imposait partout. La durée des combats, le déferlement de haine contre l’ennemi, l’exacerbation des sentiments nationalistes pouvaient emporter l’idée socialiste de fraternité par-delà les frontières. Mais quelques voix s’élevèrent pour critiquer les buts de guerre impérialistes, puis la guerre elle-même. Au niveau international, des rencontres entre militants socialistes, syndicalistes, libertaires reprirent, comme lors des conférences de Zimmerwald et de Kiental. Un comité pour la reprise des relations internationales, qui deviendra par la suite comité pour la IIIe Internationale, s’organise. Mais c’est aussi du cœur du parti socialiste, et notamment autour de Jean Longuet, qu’émergea la critique. Cette minorité de guerre gagna en influence au sein du parti socialiste, jusqu’à en prendre la direction dans le courant de l’année 1918.
La fin de la guerre, le retour des combattants, le deuil interdirent au sein du parti socialiste l’oubli des quatre années terribles. Il y eut même l’espoir d’une revanche politique immédiate. Le parti socialiste uni autour du programme rédigé par Léon Blum crut en une victoire retentissante aux élections législatives de novembre 1919. Mais, malgré un progrès en voix, il perdit plusieurs dizaines de députés par rapport à 1914. Les partisans à la CGT d’une radicalisation gagnaient aussi en influence. Ils misaient sur les grèves, qui avaient repris depuis 1917, voire sur la grève générale comme moyen de reprendre en main leur destin. Si les grèves furent massives et conduisirent le gouvernement à concéder la journée de huit heures, elles échouèrent à aller au-delà et se terminèrent dans une répression généralisée et coordonnée de l’État et du patronat.
Face à ces échecs, il apparut à l’ancienne minorité de guerre devenue majorité que la révolution d’Octobre 1917, qui avait su en finir avec la guerre, qui avait semble-t-il donné le pouvoir aux travailleurs dans les soviets, devenait une perspective concrète. Du côté du Parti communiste russe, on pensait alors que la révolution n’avait d’avenir que si elle devenait véritablement mondiale et que pour cela il fallait un outil en rupture avec l’ancienne Internationale socialiste, qui avait trahi. L’Internationale communiste fut ainsi créée à l’été 1919. La direction de la SFIO, qui souhaitait la reconstruction d’une véritable Internationale, décida d’envoyer Cachin et Frossard en Russie lors de son second congrès. Les deux représentants annoncèrent alors leur adhésion personnelle à celle-ci et proposèrent que la SFIO y adhère. Frossard et Cachin symbolisaient le retournement qui s’était opéré au cœur du parti socialiste et en cela représentaient une pièce maîtresse des bolcheviks, qui ne voulaient pas s’appuyer, au moins dans un premier temps, seulement sur la gauche la plus radicale du parti, conduite par Loriot et Souvarine. L’enjeu était justement d’emmener une majorité à l’Internationale communiste.
divisé en trois motions
Les militants socialistes durent donc choisir entre trois motions. La motion de Frossard, Cachin, Loriot et Souvarine, qui proposait un ralliement à l’Internationale tout en évitant un vote formel sur les 21 conditions. La motion portée par Longuet, qui souhaitait une adhésion avec conditions et qui ne renonçait pas en même temps à la reconstruction d’une Internationale unitaire des partis socialiste et communiste, ce dont ne voulaient absolument pas les bolcheviks. La motion de Léon Blum, qui combattait toute adhésion au nom de la tradition socialiste et de la conception démocratique du parti. La force de la première motion, qui allait être majoritaire, était de s’ancrer dans la réalité vécue des militants en commençant par la référence aux quatre années de massacre mondial. Les deux autres, et notamment celle de Blum, très générales et abstraites, et à certains égards prémonitoires, étaient sans prise sur la réalité concrète d’une France et d’un mouvement ouvrier bouleversés par la guerre. Le congrès accentua l’opposition des protagonistes, car l’Internationale, par la voix de Clara Zetkin et le télégramme de Zinoviev, répétera son veto au maintien de Longuet dans le nouveau parti. Les délégués, dans leur immense majorité, suivirent l’injonction et confirmèrent le vote des fédérations ; toutes les tentatives de compromis furent balayées.
La division de la gauche partisane était réalisée et allait structurer dorénavant le paysage politique français. Le nouveau parti, qui s’appelait au sortir du congrès parti socialiste-Section française de l’Internationale communiste, allait devoir encore se transformer, lever certaines ambiguïtés autour de l’interprétation et de l’application des conditions, dont son rapport au syndicalisme. Il allait devoir revoir son mode de fonctionnement, s’engager dans de nouvelles pratiques politiques anti-impérialistes, antimilitaristes, féministes, transformer la composition de son encadrement pour devenir un véritable parti ouvrier. Mais devaient peser sur ces évolutions le poids de son rapport à l’URSS et la stalinisation que nombre de ses fondateurs refuseront. Le parti socialiste maintenu allait devoir penser l’articulation entre ses proclamations révolutionnaires, sa pratique réformiste, voire de collaboration de classe.
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