Pour assurer à leurs pays les subsides du fonds de relance européen et pour peser sur l’agenda de l’Union européenne en matière de migration, les premiers ministres hongrois et polonais, Viktor Orban et Mateusz Morawiecki, et le leader italien de la Ligue Matteo Salvini, ont lancé jeudi à Budapest une opération de réorganisation de la droite de la droite sur le Vieux continent. Cela pourrait aboutir à une unification des groupes ultraconservateurs au Parlement européen.
L’extrême droite européenne travaille à s’unir, au-delà des frontières. Viktor Orban, le premier ministre hongrois, a rencontré jeudi à Budapest son homologue polonais, Mateusz Morawiecki et le leader italien de la Ligue, Matteo Salvini, pour jeter les bases d’une nouvelle alliance à l’échelle du continent. Cette réunion est, selon l’ultraconservateur magyar, « le premier pas d’une longue route en commun ». Une nouvelle rencontre est d’ores et déjà programmée en mai, à Varsovie ou à Rome. Le lieu sera choisi en fonction de l’évolution de la pandémie. L’objectif est selon Mateusz Morawiecki de prôner une « intégration européenne (…) qui respecte la souveraineté nationale, la famille, la chrétienté ». À cette liste, on pourrait ajouter le respect du droit d’asile, pourfendu par les trois partis que sont la Ligue italienne, le Fidesz hongrois et Droit et justice (PiS) polonais. Pour Matteo Salvini, cette union doit leur permettre d’être « les premiers en Europe ».
Sous quelle forme ? Pour l’heure rien n’est défini. Ce pourrait être la création d’un parti européen, ou d’une union des deux groupes de la droite de la droite qui siègent à Strasbourg : Identité et démocratie (ID), sur les bancs desquels on trouve la Ligue, mais aussi les élus du Rassemblement national (RN) français ; et les Conservateurs et réformistes européens (ECR), sur les bancs desquels on trouve les membres du PiS.
Obtenir des postes au Parlement européen
Si ID et ECR venaient à s’unir, en étant rejoints par les douze élus du Fidesz, ils pourraient constituer la deuxième force du Parlement européen, damant le pion aux Socialistes et démocrates (S & D), et renforcer leur influence. En effet, en fin d’année, le Parlement va être réorganisé, et avec un poids accru, l’extrême droite pourrait arracher davantage de présidences de commission, voire de vice-présidences.
Cette initiative intervient alors que ces trois forces sont à un moment décisif de leur histoire. Le 31 mars, la Commission européenne a renvoyé la Pologne, plus grand pays gouverné par la droite réactionnaire dans l’UE, pour non-respect de l’état de droit, après une réforme contestée du système judiciaire. Or, l’accès au fonds de relance européen créé à l’occasion du covid est soumis à certains critères de respect de l’état de droit. La Hongrie de Viktor Orban se sert les coudes avec la Pologne de Mateusz Morawiecki sur ce dossier, car elle aussi pourrait être elle aussi, à terme, affectée par cette évolution politique.
Une initiative qui répond à des préoccupations nationales
Le Fidesz de Viktor Orban, lui, vient de quitter le mois dernier le Parti populaire européen, dont il était l’une des composantes principales. Au sein du premier groupe au sein du Parlement européen, sa dérive autoritaire et ses atteintes à l’indépendance de la justice ou des médias étaient régulièrement critiquées, et l’exclusion du Fidesz était portée par certains partis d’Europe du Nord. Le Fidesz cherche donc un port d’attache pour ses députés, pour l’heure non inscrits.
La Ligue italienne est également en recherche d’un port d’attache. Elle est, selon les sondages, le premier parti du pays. Pour exercer le leadership de la coalition de droite, elle cherche à modérer son image, après des années marquées par des campagnes contre les immigrés et la monnaie unique. Son entrée dans le gouvernement d’union nationale de l’ancien banquier central Mario Draghi est présentée comme un symbole de la conversion à « l’européisme » de la Ligue. Mais en Italie, pour rendre cette conversion crédible, la Ligue est sommée de quitter le groupe ID.
Une extrême droite divisée
Reste à voir si, dans les prochaines semaines, le groupe parvient à s’élargir. À plusieurs reprises, par le passé, des tentatives d’union de la droite de la droite en Europe se sont soldées par un échec. Car hormis la lutte contre l’immigration, les fractures sont profondes. Viktor Orban renforce ses relations avec la Russie et encaisse les rapports du Département d’État des États-Unis contre sa politique autoritaire, tandis que Mateusz Morawiecki a parlé jeudi de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord comme d’un « niveau de sécurité de base » de l’Europe. Un groupe unique signifierait pour le Fidesz de siéger avec l’Alternative pour l’Allemagne, ennemi juré de la CDU de la chancelière Angela Merkel. Or, Budapest cherche à conserver de bonnes relations avec Berlin, car de nombreuses entreprises allemandes sont présentes sur le territoire hongrois. Par ailleurs, le Rassemblement national, héritier du pétainisme, est vu comme un repoussoir par certaines forces, notamment le PiS de Morawiecki. Enfin, parfois il faudra faire coexister deux forces d’extrême droite. Frères d’Italie, en concurrence avec la Ligue, voit d’un mauvais œil l’idée de siéger dans le même groupe que celle-ci. Si toutes les forces ne parvenaient pas à s’allier, l’opération pourrait se solder par la formation d’un troisième groupe à Bruxelles et Strasbourg. Dans les prochaines semaines, l’extrême droite va découvrir que ses frontières internes lui compliquent la tâche.
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