Métallurgie. L’État regarde la filière automobile partir en morceaux

Les salariés de la SAM étaient réunis en assemblée générale, hier à Viviez, après l’annonce de l’abandon du site par Renault. Valentine Chapuis/AFP

L’abandon par Renault de la fonderie SAM illustre le laisser-faire du gouvernement en matière de politique industrielle, à mille lieues des déclarations volontaristes d’Emmanuel Macron.

Il aura suffi d’un communiqué de presse lapidaire, envoyé dans la soirée, pour enterrer un projet de reprise concernant 350 salariés. Et semer la consternation sur tout un territoire. La direction de Renault a annoncé son intention, ce mardi, de ne pas soutenir le plan de sauvetage de la SAM (Société aveyronnaise de métallurgie), fonderie automobile, située dans l’Aveyron, en recherche désespérée d’un repreneur depuis des mois. Une offre de rachat avait bien été mise sur la table par un ancien dirigeant de la fonderie, mais elle supposait que le constructeur tricolore, principal donneur d’ordres, s’engage sur un volume de production. Ce qu’il n’a pas fait, arguant de la fragilité – bien réelle – de la proposition de reprise. Dans la foulée, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a jeté une dernière pelletée de terre sur le cercueil, non sans sermonner au passage l’industriel : « Ce que j’attends de Renault comme actionnaire (l’État est présent à hauteur de 15 % du capital – NDLR), c’est un comportement exemplaire vis-à-vis des salariés, parce que, pour le bassin d’emploi de Decazeville, c’est dur, pour les salariés de la SAM, c’est extrêmement dur. Ça veut dire des reclassements, de l’accompagnement, de la formation. »

Une multinationale qui baisse le rideau et un État actionnaire qui valide la casse, tout en l’appelant à la responsabilité : si la scène semble familière, c’est qu’elle s’est jouée un nombre incalculable de fois ces dernières années, au point de résumer presque à elle seule la politique industrielle des dirigeants français – ou plutôt son absence. Une scène qui rappelle aussi la trahison des promesses de réindustrialisation, dans la lignée de l’abandon à haute valeur symbolique de l’aciérie de Florange par François Hollande. Dans l’automobile, le résultat est patent : 100 000 emplois se sont volatilisés en treize ans, à coups de plans de suppressions de postes. Pourtant, la fin de quinquennat d’Emmanuel Macron devait tracer une nouvelle route pour l’auto. Le 12 octobre dernier, il déclarait : « Soyons lucides sur nous-mêmes, les trente dernières années ont été cruelles pour l’industrie automobile française. (…) C’est le fruit de stratégies non coopératives entre les acteurs de l’industrie eux-mêmes. Ils ont une énorme responsabilité dans cette situation. Quand les acteurs décident de ne pas coopérer, eux-mêmes délocalisent, et vous avez à peu près le résultat de l’industrie automobile française qui a détruit beaucoup d’emplois durant les dernières décennies. »

Des aides publiques destinées à financer des licenciements

On ne saurait mieux dire ! Le problème, c’est que, pour l’instant, les belles paroles n’ont pas été traduites en actes. « Cela fait vingt-cinq ans qu’on entend dire que les constructeurs doivent être solidaires de leurs sous-traitants, soupire un expert du secteur. Même avant la crise de 2008, tout le monde voyait bien que la brutalité dont font preuve les donneurs d’ordres vis-à-vis de la filière est délétère. À force d’écraser les tarifs, ils érodent les marges des équipementiers qui se retrouvent exsangues. Lors des états généraux de l’automobile, en 2008-2009, les constructeurs ont signé des chartes de bonne conduite… Avant de poursuivre la même politiqu e. »

L’appel à la « coopération » lancé par Emmanuel Macron ne semble pas avoir plus d’effet, ce qui ne l’empêche pas de maintenir ouvert le robinet des aides publiques. Dans le cadre du plan France 2030, le gouvernement devrait signer très prochainement un nouveau chèque au secteur, destiné à subventionner sa transition vers des technologies moins polluantes. Certaines sources évoquent le chiffre de 2,5 milliards d’euros ( Challenges du 27 octobre), ce qui met en rogne les syndicats. « Cet argent va servir, encore une fois, à financer des licenciements, s’agace Laurent Giblot, de la CGT Renault. On ne peut pas clamer qu’il faut réindustrialiser le pays et liquider les équipementiers auto pour aller s’approvisionner ailleurs ! Demain, il faudra toujours produire de la fonte, même si les besoins des voitures vont diminuer en raison, notamment, du passage à l’électrique et de l’allègement des véhicules pour consommer moins de carburant. Cette fonte, Renault ira la chercher ailleurs. »

C’est aussi la crainte des salariés de la métallurgie, qui redoutent de voir les fonderies fermer les unes après les autres, avec de probables délocalisations. « Renault mise sur l’Espagne, la Slovénie et les pays du Maghreb, assure Frédéric Sanchez, secrétaire général de la CGT métallurgie. Avec toujours cette même obsession de réaliser des gains à court terme. Dans ces pays, les conditions de travail et les salaires sont évidemment beaucoup moins favorables. »

Dans le dossier de la SAM, toutefois, une « coïncidence » chiffonne les syndicalistes. Ce mardi, Renault a annoncé deux décisions opposées : au moment où il renonce à venir en aide à la fonderie de l’Aveyron, il affirme sa volonté de soutenir le projet de reprise d’une autre fonderie, celle d’Alvance Aluminium Wheels, dans l’Indre. Cette dernière, qui produit des jantes en aluminium, pourrait ainsi bénéficier d’un volume de commandes annuel de 500 000 roues. « C’est une très bonne chose pour les salariés de l’Indre, affirme Frédéric Sanchez. Mais on a l’impression d’un “deal” passé entre le gouvernement et le constructeur, qui acterait la fermeture d’une fonderie contre le sauvetage d’une autre. Nous n’avons pas de preuve formelle, mais nous comptons en avoir le cœur net. »


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