N’en déplaise à Platon, notre planète n’est pas bien ronde… Pour ce nouveau « regard de cartographe », Nicolas Lambert, ingénieur de recherche au CNRS en sciences de l’information géographique, revisite les calculs anciens, compare la Terre à une patate et nous dit pourquoi le volcan Chimborazo (Équateur) pourrait détrôner l’Everest comme toit du monde.
« Tu peux courir à l’infini
À la poursuite du bonheur,
La Terre est ronde,
Autant l’attendre ici ! »
(Orelsan, 2011)
Contrairement à ce qui est parfois affirmé, l’Humanité sait depuis longtemps que la Terre n’est pas plate. Platon disait qu’elle était ronde puisque le Monde parfait devait forcément être d’une forme parfaite. Aristote tenta même d’en calculer la circonférence, mais en se trompant beaucoup. Par contre, le savant grec Eratosthène, lui, avec un peu de géométrie et beaucoup d’ingéniosité réussit à déterminer la circonférence de la Terre avec une erreur d’à peine 2 % il y de cela plus de 2000 ans.
La fusée V2 et la bille bleue
Aujourd’hui, cette question ne fait évidemment plus débat. Avec la mise en place de ballons stratosphériques à partir des années 1930 qui permirent d’observer la courbure de la Terre, les photos prises depuis la première fusée V2 tirée par les États-Unis à 100km d’altitude ou la fameuse photographie intitulée « Blue Marble » (la bille bleue) prise le 7 décembre 1972 par l’équipage d’Apollo 17, nous avons aujourd’hui des preuves visuelles et intangibles de la sphéricité de notre planète que seuls quelques illuminés « platistes » continuent encore de nier.
Ce qui n’était donc au départ qu’une intuition basées sur des observations partielles (les navires au large qui se perdent sous l’horizon, les trajectoires circulaires des étoiles) et petit à petit été démontré de façon irréfutable.
L’effet de la force centrifuge sur le géoïde
Mais la terre est-elle vraiment ronde ? En fait non. Si on considère la surface de la terre sans ses reliefs, comme si elle n’était recouverte que d’eau – on nomme cette surface le géoïde -, on obtient une sphère imparfaite. Du fait de sa rotation, elle se déforme légèrement. Elle s’aplatit aux pôles et boursoufle un peu au niveau de l’équateur. A cause de la force centrifuge, elle s’étire davantage là où elle tourne plus vite. Ce phénomène est d’ailleurs valable pour tous les astres à partir d’une certaine taille.
De plus, le géoïde est également déformé par tous les astres qui opèrent de l’attraction sur lui, en particulier la Lune et le Soleil. Pensez aux marées. Enfin, il est déformé par les reliefs massifs. On estime par exemple qu’un relief de l’ordre du kilomètre provoque une déformation du géoïde d’environ un mètre. Au final, le géoïde définit une surface imparfaite, bosselée de toute part, qui ressemblerait plutôt à une patate. Et tant pis pour l’idéalisme de Platon.
Ça tourne plus vite au sommet du Chimobrazo !
C’est à partir du geoïde qu’on va mesurer les altitudes. Autrement dit, en fonction du niveau de la mer. Ainsi, on a tous appris que le sommet le plus haut du monde était le Mont Everest, situé à 8 849 m d’altitude au dessus du niveau de la mer. Le toit du Monde en somme.
Ce fait n’est pas discutable n’est-ce pas ? Et bien si ! Revenons à notre géoïde. Nous avons-vu que celui-ci n’est pas une sphère parfaite. En effet, le rayon de la Terre est environ 21 km plus important à l’équateur qu’aux pôles. Ainsi, si on considère l’altitude non pas comme une élévation par rapport niveau de la mer mais comme le point le plus éloigné du centre de la Terre, alors le mont Everest est détrôné par le volcan Chimborazo situé en Équateur (et proche de l’équateur). Question de définition, donc.
Selon les mesures effectuées par une mission franco-équatorienne de l’Institut de recherche pour le développement, le sommet du Chimborazo se trouverait ainsi à 6 384 kilomètres du centre de la Terre, l’Everest étant quant à lui distant de 6 382 kilomètres « seulement ». C’est aussi le point de la Terre susceptible d’être le plus près du soleil. Au passage, nous savons que la terre tourne sur elle même en 24 heures. Mais la vitesse n’est pas la même partout. En France métropolitaine, on tourne à 1250 km/h (30 000 km par jour). Le sommet du Chimobrazo tourne quant à lui à 1670 km/h (40 000 km par jour). Alors accrochez-vous bien si jamais un jour vous avez la chance de grimper tout là haut…
Pour en savoir plus
Launay, Michaël. Le théorème du parapluie. Flammarion, 2019.
Alain Riazuela. Pourquoi la Terre est ronde. Humensciences, 2019.
Nicolas Lambert est ingénieur de recherche au CNRS en sciences de l’information géographique au RIATE : https://riate.cnrs.fr. Il est militant communiste et membre du réseau Migreurop. Il anime également un blog , « carnet neocartographique », et est très actif sur les réseaux sociaux sous le pseudo de « cartographe encarté » @nico_lambert . Chaque mois, il nous présente une ou plusieurs cartes accompagnées d’un commentaire pour nous aider à comprendre et à appréhender autrement une information, une question de société ou un débat. Nicolas Lambert a participé à la réalisation de plusieurs ouvrages comme l’Atlas de l’Europe dans le monde (2008), l’Atlas des migrants en Europe (2009 , 2012, 2017), le Manuel de Cartographie (2016, publié en anglais en 2020) et Mad Maps (2019). Il enseigne la cartographie à l’université de Paris.
Retrouvez ici l’ensemble des cartes interactives qu’il a réalisées pour l’Humanité.
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