La mort de Sempé, dessinateur du « Petit Nicolas »

Après René Goscinny, le « Petit Nicolas » perd son deuxième papa: le dessinateur français Jean-Jacques Sempé, connu également pour ses dessins de presse humoristiques, notamment dans le prestigieux magazine New Yorker, est décédé jeudi à l’âge de 89 ans.

 

Grand maître français de l’humour et de la poésie, mélange de dérision et de modestie, Sempé a tracé depuis les années 1950 jusqu’à aujourd’hui une oeuvre pleine de bonhomie: des dessins pour le New Yorker, Paris Match ou L’Express aux albums du « Petit Nicolas ».

Sempé a été l’un des artistes les plus sollicités par le New Yorker avec une centaine de couvertures dessinées de sa main. Débutée en 1978, sa collaboration avec le célèbre magazine américain s’est poursuivie jusqu’en 2019.

L’annonce de sa disparition a provoqué de nombreux hommages et réactions, dans les sphères politiques, économiques, médiatiques et artistiques, aussi bien en France qu’à l’étranger.

« La tendre ironie, la délicatesse de l’intelligence, le jazz: nous ne pourrons pas oublier Jean-Jacques Sempé. Son regard et son crayon vont cruellement nous manquer. Du Petit Nicolas en passant par Monsieur Lambert, jusqu’aux promeneurs de Saint-Germain-des-Prés, il avait l’élégance de toujours rester léger sans que rien ne lui échappe », a écrit le président Emmanuel Macron dans un message sur Instagram, accompagné du dernier dessin publié de l’artiste.

« Sempé, c’était le dessin, c’était le texte. C’était le sourire et la poésie. C’était parfois la larme à l’oeil de rire, ce soir, elle est d’émotion. Mes pensées vont à sa famille et à ses proches », a pour sa part réagi la Première ministre Elisabeth Borne, sur son compte Twitter, à l’unisson de plusieurs membres du gouvernement.

« Sempé n’est plus là, mais ses dessins resteront intemporels. Ils m’ont accompagnée à Beyrouth, à Paris, à New York », a tweeté la ministre française de la Culture, Rima Abdul Malak. « Avec tendresse, poésie et malice, un humour qui se déplie à l’infini et une liberté absolue, il nous a appris à regarder le monde avec un regard d’enfant. »

Quant à Joann Sfar, l’auteur du « Chat du Rabbin », c’est en dessin qu’il a rendu hommage à l’un des maîtres du genre: « Sempé est mort. C’est la première fois que j’ai la certitude qu’un Dieu est au ciel », a-t-il écrit.

Enfant battu

Né en 1932 à Pessac, près de Bordeaux, le dessinateur a publié une cinquantaine d’albums dans sa carrière, « Saint Tropez », « Tout se complique » et surtout le « Petit Nicolas », vendu aujourd’hui à quelque 15 millions d’exemplaires.

Enfant naturel, battu et bègue, Sempé n’a pas vraiment eu l’enfance de son héros Nicolas qu’il fait grandir avec Goscinny dans une France idéalisée des années 1950.

Il vend ses premières planches en 1950 à Sud Ouest qu’il signe « DRO » (de « to draw », dessiner en anglais).

Depuis le « Petit Nicolas » qu’il a créé en 1959 avec René Goscinny (disparu en 1977), Jean-Jacques Sempé a publié quasiment un album par an et signé une centaine de Unes dans la presse.

Un autobus sur un pont traversant la Seine de nuit, des musiciens, des cyclistes, un cracheur de feu, des scènes à Central Park ou au Jardin du Luxembourg… Dans chacune de ses oeuvres, on retrouve ses thèmes de prédilection: la petitesse de l’homme dans la nature, sa solitude dans la ville, ses disputes, ses ridicules et ses ambitions démesurées, les limites de l’esprit d’équipe.

Dans son dernier dessin, paru dans le numéro du 4 août de Paris Match et qui croque un peintre en plein exercice dans un décor champêtre, Sempé avait écrit: « Pense à ne pas m’oublier ». Une oeuvre ultime aux allures d’adieux prémonitoires. (AFP).

Sempé: il n’y a pas que le Petit Nicolas

Maître du dessin humoristique, le Français Jean-Jacques Sempé a publié quasiment un livre par an à partir des années 60. En plus du Petit Nicolas, voici cinq autres albums emblématiques:

– Monsieur Lambert (1965)-

Fort du succès du « Petit Nicolas », Sempé crée Monsieur Lambert, un employé de bureau qui échappe par le rêve à sa médiocre condition. Tous les jours, il déjeune « Chez Picard », discute football, politique et sexe avec ses collègues. Monsieur tout le monde affligé d’un crâne dégarni et d’un grand nez, il se raconte en playboy allumant de torrides passions.

Cet archétype, l’un des préférés de Sempé, est croqué sans méchanceté: « C’est l’absurdité des gens, les pauvres, un peu démunis à tous points de vue. Des braves gens qui, grâce à Monsieur Lambert, réussissent à se mentir à eux-mêmes, à s’inventer des histoires d’amour merveilleuses et à le faire croire aux autres », confiait-il au Monde. Il écrit une suite en 1975, « L’ascension de Monsieur Lambert ».

– Saint Tropez (1968) –

Inutile de lire Bourdieu ou « Les Caractères » de La Bruyère, si l’on feuillette « Saint Tropez » (1968) et sa suite « Saint Tropez forever » (2010).

Saint Tropez: la fête, l’alcool, les lunettes noires et le Café Sénequier. Sempé y saisit un microcosme de vaniteux désoeuvrés autour d’une piscine ou à bord d’un yacht. « On parle beaucoup de la joie de vivre là-bas, mais j’en montre peu dans mes dessins. C’est la nature qui est heureuse à Saint Tropez », expliquait-il dans Le Figaro, affirmant avoir eu « le tiers de ses idées sur la ville avant même d’y avoir mis les pieds ».

– The New Yorker (à partir de 1978) –

Embauché en 1978 au New Yorker, Sempé signe sa première Une en dessinant un employé de bureau prêt à s’envoler depuis la fenêtre de sa tour. Au fil d’une centaine de Unes, il trace son bonheur de vivre dans cette mégalopole, avec ses chats indolents, ses humains minuscules, sa frénésie, ses jazzmen et ses jardins cachés. L’éditeur Denoël rassemble tous ces dessins dans l’album « Sempé à New York » (2009).

– Les Musiciens (1980) –

Emerveillé par Duke Ellington, le petit Sempé rêvait d’apprendre le piano. Mais, à l’époque, il était « plus facile de trouver un crayon et du papier qu’un piano », narrait-il dans le Monde.

Ce qui l’inspire le plus, ce sont les musiciens. Pourtant, il mettra sept ans à finir cet album éponyme. Son plaisir est d’y saisir le bonheur des musiciens du dimanche: un pianiste blanc, chauve, tout heureux de jouer du ragtime à Harlem; un quatuor de petites dames violonistes qui attendent leur train dans une gare immense ou encore un moustachu portant noeud papillon qui agite avec contentement des maracas … « Ne boudons pas le bonheur des gens », disait-il.

– Raoul Taburin (1995) –

Sempé acquiert son premier vélo à 16 ans alors qu’il travaille comme livreur de vin à Bordeaux. De cette découverte tardive du bonheur de pédaler, il va tirer plusieurs albums (« Simple question d’équilibre », 1977) et un nouvel héros modeste qu’il prénomme Raoul Taburin.

Dans une petite commune imaginaire de Saint-Céron, ce marchand de bicyclettes cache un lourd secret: il ne sait pas monter à vélo. Un film en 2019 avec Benoît Poelvoorde et Edouard Baer reproduit la poésie tendre et absurde de ce personnage gentiment fantasque.


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