Gauche : reconquérir les classes populaires

Dans les campagnes populaires, où elle fait face à l’extrême droite, mais aussi dans les banlieues, où l’abstention bat souvent des records, la Nupes est à la peine. Un sujet de débat en son sein, au moment où se tiennent les universités d’été des différentes formations de gauche.

Mathieu Dréan

Retour en juin 2022, deux jours après le second tour des élections législatives, les députés des différents partis de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) font leur entrée à l’Assemblée nationale. La plupart sont tout sourires. La gauche sort renforcée de la séquence des législatives. Pour les insoumis, c’est même une entrée en force. Ils se trouvent quatre fois plus nombreux que lors de la mandature précédente. L’un d’entre eux affiche toutefois une mine un peu plus grave. Il s’agit du député de la Somme, François Ruffin, qui l’a pourtant emporté haut la main. « Je suis élu dans une région qui a envoyé huit députés du RN siéger à l’Assemblée nationale, nous explique-t-il sans détour. Il va donc falloir reprendre la bagarre, et pas seulement dans l’hémicycle. Nous devons être la voix la plus forte sur les questions économiques et sociales auprès des classes populaires. » Sur les plateaux de télévision, le député insoumis enfonce le clou : « Ça fait quarante ans que ces France périphériques ont été mises à sac par la mondialisation. Ça a été un choc immense pour les classes populaires de mon coin. Si on ne comprend pas ce besoin de protection face à la mondialisation, on n’y arrivera pas. » Depuis, la question continue d’animer les formations de la Nupes, qui entament ces jours-ci leur rentrée avec la tenue de leurs universités d’été.

De fait, dans nombre des territoires que l’on regroupe sous l’appellation de « France périphérique », ou « rurale », ou encore « France des sous-préfectures », la gauche n’est pas au mieux de sa forme. Le RN lui dame le pion dans de nombreux départements sinistrés. Le vote des électeurs y est erratique : en fonction des scrutins, la couleur politique passe de la gauche à l’extrême droite, sur fond d’une abstention record aux élections locales. Ainsi, la circonscription de Denain, dans le Nord, compte un député du RN, un maire socialiste, et des conseillers départementaux communistes… Les militants, tous partis confondus, y sont peu nombreux, voire totalement absents. Pour la gauche, si elle souhaite rassembler une majorité, c’est un véritable défi.

Au-delà des grandes métropoles

Pour autant, tout le monde n’est pas forcément d’accord sur le constat. Chez les insoumis notamment. « Ce n’est pas noir ou blanc », répond en effet le député FI de l’Essonne Antoine Léaument. Il rappelle ainsi que, dans la Haute-Vienne, qu’il range dans les « campagnes populaires », la Nupes a remporté les trois circonscriptions. Ensuite, plutôt qu’une question de « France périphérique » – une expression qui prend sa source dans les travaux très discutés du géographe Christophe Guilluy –, l’élu avance d’autres éléments sociologiques pour expliquer les difficultés de la gauche. « Le vote est aussi une question d’âge. La population des zones rurales est plus âgée en moyenne, et exprime un vote et des valeurs plus conservatrices », assure Antoine Léaument. Il met également en cause le discours médiatique « à fond les ballons » sur l’immigration. « Quand on voit le haut niveau du vote RN dans certaines zones qui comptent très peu d’immigrés, on mesure qu’il s’agit bien d’une construction médiatique de la réalité. »

Ailleurs à gauche, ce point de vue ne fait pas l’unanimité ; on partage plutôt les inquiétudes de François Ruffin. Le porte-parole du PCF, Ian Brossat, rappelle que « Fabien Roussel a fait la même analyse pour sa campagne de la présidentielle. Et elle est largement accréditée par un certain nombre d’études : plus la commune est petite, plus le vote RN est important. Plus elle est grande, et plus c’est la gauche qui monte. Dans les zones rurales, la gauche sous-performe clairement ». « C’est le grand défi des prochaines années : la gauche ne peut pas gagner si elle est uniquement la gauche des grandes métropoles », en conclut le dirigeant communiste. Au Parti socialiste également, on s’inquiète de cette situation. « Je suis élu d’un territoire rural, rappelle Boris Vallaud. Dans ces zones, le RN a doublé son score en cinq ans. »

Les services publics, un enjeu partagé

Au-delà de ce débat qui traverse la Nupes, ses différents partis partagent tout de même la volonté de reconquérir ces territoires populaires éloignés des grandes métropoles. « Plutôt que d’opposer les quartiers populaires urbains et les zones rurales, il vaut mieux travailler sur ce qu’il y a de commun entre les deux », nuance Antoine Léaument. « Comment faire en sorte de parler à ces territoires ? s’interroge Ian Brossat. Non pas en divisant ou en montant les populations les unes contre les autres, ou en jouant les quartiers populaires contre la France dite périphérique, mais en menant des combats communs, sur la question des services publics par exemple. »

Reste à savoir comment convaincre les électeurs de ces zones de l’existence de ces points communs. Les responsables politiques estiment que la gauche peut s’appuyer sur les parlementaires élus en juin dernier pour réinvestir le terrain. Y compris dans les circonscriptions et les départements voisins de celles des élus. « Il faut aller au-delà de notre façon de faire habituelle », invite notamment Boris Vallaud. « Dans ma circonscription, il existe des réseaux d’éducation populaire denses », assure le député des Landes, qui pointe la nécessité d’accentuer les efforts militants là où la vie associative et politique est beaucoup moins forte. « Le PS a déjà commencé à travailler. Nous lancerons un chantier à l’automne, avec un objectif : écouter ceux qui n’ont que leur force de travail, parler aux classes populaires », promet le socialiste. Pour le PS, cette position marque une rupture avec les préconisations du rapport de la fondation Terra Nova qui proclamait en 2011 la fin de la « coalition ouvrière », et le basculement des classes populaires à droite.

Davantage dans la continuité, pour Ian Brossat, il s’agit de poursuivre ce qui a été entrepris par sa formation. « Le PCF doit être le parti qui s’adresse aux milieux populaires quels que soient leurs lieux de vie », insiste-t-il. Nombre de ses députés ont été élus ou réélus dans ces zones compliquées pour la gauche. C’est le cas d’André Chassaigne dans le Puy-de-Dôme, de Fabien Roussel dans le Nord, mais aussi de Jean-Marc Tellier, qui a su prendre une circonscription au RN dans le Pas-de-Calais voisin. La reconquête est possible.


En savoir plus sur Moissac Au Coeur

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Donnez votre avis

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.