Beau-frère de la militante de l’ANC assassinée à Paris en 1988, l’octogénaire se bat pour que la justice française rouvre l’enquête sur ce crime toujours inexpliqué. Une audience avait lieu à Paris, mercredi.
Randolph Arendse n’aurait raté ce moment pour rien au monde. Ce psychologue et éducateur à la retraite, né en Afrique du Sud mais exilé en Suisse depuis le milieu des années 1960, fait partie de la famille de Dulcie September, cette militante anti-apartheid, représentante en France du Congrès national africain (ANC), assassinée froidement, à Paris, le 29 mars 1988, à l’âge de 52 ans, de cinq balles dans la tête. Un crime qui suscite toujours autant d’interrogations, trente-quatre ans après les faits : qui a appuyé sur la gâchette ? Pour le compte de qui ? Et, surtout, pourquoi ? Les investigations que menait la militante sur la violation par la France (et bien d’autres pays) de l’embargo imposé au régime sud-africain d’apartheid sont-elles à l’origine de cet assassinat ? La justice française a-t-elle vraiment tout fait pour éclairer cette sombre histoire ? Une histoire où l’on croise, pêle-mêle, les sbires du mercenaire Bob Denard, un ministre de l’Intérieur nommé Charles Pasqua, des marchands d’armes par dizaines et au moins autant d’agents secrets, mais aussi une famille désormais pleinement mobilisée pour obtenir la vérité, et des militants qui, depuis Arcueil (Val-de-Marne), notamment, où Dulcie September avait trouvé refuge, défendent cette cause inlassablement…
La vérité, Randolph Arendse, 83 ans, beau-frère de la militante de l’ANC, espérait sans doute s’en rapprocher, ce mercredi 16 novembre, au tribunal de Paris. Pour la première fois, en effet, une audience publique était consacrée à cette affaire, qui n’avait suscité jusqu’ici que non-lieu, refus de poursuites et classement sans suite. L’État y était poursuivi pour « faute lourde » et « déni de justice », en l’espèce pour avoir mené une enquête bâclée, entre 1988 et 1992, et avoir refusé de rouvrir le dossier en 2019 et 2020, malgré une nouvelle plainte de la famille, défendue par Me Yves Laurin. Pour l’occasion, Randolph Arendse a donc fait le déplacement depuis Lausanne et réservé une chambre d’hôtel – le plus proche possible du tribunal.
Un secret vécu comme une injustice
« Ne pas savoir ce qui s’est passé vraiment, ça nous empêche de faire le deuil de Dulcie, même après toutes ces années, raconte Randolph, une écharpe aux couleurs de l’Afrique du Sud autour du cou. Ce secret qui entoure son assassinat, on le vit comme une injustice qui se transmet entre les générations. » Pour preuve, l’un des cinq neveux et nièces de Dulcie, Clement Arendse, avait lui aussi fait le déplacement depuis Londres, où il vit, pour assister à l’audience de mercredi. « Même si je n’ai quasiment pas connu ma tante, nous, ses neveux et nièces, sommes très mobilisés par ce combat, explique ce responsable des ressources humaines dans une université de la capitale britannique. Ma mère Stéphanie était très proche de sa sœur, et son exil, puis son assassinat ont été extrêmement douloureux pour elle. C’est une histoire dont elle avait du mal à parler… »
D’un naturel affable, soucieux des autres, et même blagueur, Randolph Arendse a lui aussi les yeux qui se brouillent à l’évocation de ces jours terribles de mars 1988. « Quand ma femme Francine m’a dit que Dulcie avait été assassinée, je n’ai d’abord pas voulu y croire. Mais c’était bien vrai. On m’a même appelé pour venir reconnaître le corps… » Cette tâche difficile ne lui incombera pas finalement, mais il est bien présent lors des obsèques de la militante, organisées à Paris par le PCF. « Je me souviens que c’est le Parti qui assurait notre protection et nous véhiculait dans les rues de la capitale. On prenait des petites artères très vite, parce qu’on avait peur d’un nouvel attentat… »
Dulcie September enquêtait alors sur des trafics d’armes et d’éventuels transferts de technologie nucléaire entre la France et l’Afrique du Sud. « Les intérêts en jeu étaient colossaux et des gens ont gagné énormément d’argent grâce à ces trafics », rappelle aujourd’hui Clement Arendse. « La vérité, elle est sans doute dans les archives. Il faut que le pouvoir politique français reconnaisse enfin sa part de responsabilité dans cette histoire », plaide, de son côté, Nestor Bidadanure, l’ancien interprète français de Dulcie September à Paris, présent mercredi.
C’est aussi ce qu’a plaidé Me Laurin lors de l’audience, évoquant une « affaire d’État ». « Qui a peur de Dulcie September ? » a questionné l’avocat, dont la plainte, en 2019, s’appuyait sur le fait que le meurtre de 1988 constituait un crime d’apartheid, donc un crime contre l’humanité, imprescriptible. La décision du tribunal a été mise en délibéré au 14 décembre. « Maintenant, on n’a plus qu’à attendre. Et espérer. Pour Dulcie, mais aussi pour tous ceux qui sont morts parce qu’ils se battaient pour l’égalité des droits », lance Randolph Arendse.
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