Madame la ministre du Logement, l’austérité n’a jamais fait un toit (CNL)

Lettre ouverte d’Eddie Jacquemart, président de la confédération nationale du logement à Valérie Létard, ministre chargée du Logement.

Alors que la crise du logement asphyxie des millions de Françaises et de Français, le projet de budget 2026 que vous portez tourne le dos à l’urgence sociale et écologique. Sous couvert de « maîtrise des finances publiques », ce futur budget prévoit d’alourdir fortement les charges des ménages modestes et très modestes.

Les attaques contre le pouvoir d’achat des ménages s’intensifient et se multiplient : instauration d’une TVA relevée à 20 % (contre 5,5 % actuellement) pour les abonnements d’électricité et de gaz, explosion du coût des charges locatives, hausse des prix de l’alimentation, de l’eau… À cela s’ajoutent le gel des aides sociales, l’absence de revalorisation des aides personnelles au logement et leur forfaitisation des charges, créant précarité et fragilité pour un nombre croissant de la population.

Cette inflation des prix, avec un indice de référence des loyers qui reste élevé (+ 1,04 % au 2ᵉ trimestre 2025), et la baisse de moitié du rendement du livret A contraignent désormais les petits épargnants à supporter le poids du financement public : elles alourdissent encore la charge des locataires déjà fragilisés.

Dans le même temps, vous avez fait le choix de dérouler le tapis rouge aux investisseurs privés, à la spéculation immobilière et à la marchandisation du logement.

Ainsi, la proposition d’instaurer un statut du bailleur privé est le prétexte à des cadeaux fiscaux indécents au parc privé. De même, vous vous apprêtez à remettre sur le marché 850 000 passoires thermiques par le jeu d’une modification des critères du Diagnostic de performance énergétique (DPE), alors qu’en parallèle vous avez suspendu MaPrimeRénov : cela constitue un désastre annoncé, tant pour des millions d’habitant·es, condamné·es à occuper un logement gelé en hiver et brûlant en été, que pour la préservation des ressources et les objectifs de transition écologique et climatique du pays.

Et que dire de la réforme qui permet, depuis le 1er juillet 2025, aux commissaires de justice d’avoir pleins pouvoirs pour procéder, en cas d’impayés de loyers, à des saisies sur salaire sans qu’un juge n’intervienne en amont ? Dans la continuité de la loi Kasbarian-Bergé de 2023, elle vient justifier la répression sociale à l’égard des plus fragiles, les transformant en délinquants.

Cette dernière disposition, qui n’a même pas été abordée lors de la réunion de l’Observatoire national des impayés de loyers et de charges locatives, est socialement inacceptable. Elle constitue une attaque en règle contre l’égalité des droits, contre laquelle la confédération nationale du logement (CNL) s’insurge.

Malheureusement, elle n’est qu’une mesure de plus dans une longue liste d’attaques d’ampleur contre le logement social et les quartiers populaires. Ainsi, le dispositif d’encadrement des loyers, prévu jusqu’en novembre 2026 pour la métropole et reconduit jusqu’en juin 2030 pour l’Outre-mer, reste timidement cantonné au stade de l’expérimentation et limité à quelques zones « tendues », alors qu’il devrait être généralisé et amélioré pour devenir véritablement efficace. Par ailleurs, plus de 2 millions de logements restent vacants ou sont détournés à des fins de location touristique, privant durablement les habitant·es et les salarié·es d’un logement accessible, sans aucune intervention de votre part.

Je pourrais encore évoquer, Madame, votre annonce de juin 2025 d’une mission de préfiguration pour lancer une troisième phase de rénovation urbaine, baptisée « ANRU 3 » : ce chantier reste désespérément flou et privé de moyens.

Déjà, pour le Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU), les financements d’État promis tardent à être débloqués, alors même que l’Agence nationale de rénovation urbaine peine à honorer ses engagements : en 2024, seuls 13 % des crédits de l’État prévus ont été versés, contre 35 % pour Action Logement et 40 % pour les bailleurs sociaux.

Des incertitudes majeures pèsent aussi sur l’avenir du logement social dont vous portez la responsabilité : quel avenir pour le Fonds national des aides à la pierre (FNAP), fortement menacé par les arbitrages budgétaires que vous cautionnez ?

Quel avenir pour la réduction du loyer de solidarité (RLS) que vous n’avez pas suspendu et qui depuis 2018, a ponctionné 11 milliards d’euros dans les ressources des bailleurs sociaux freinant gravement la construction neuve et la rénovation thermique des habitations ?

Pourtant, chaque euro investi dans le logement social permet de sortir des ménages de la précarité, de la rue, de trouver un toit pour tous les salariés contraints de dormir dans leur voiture ou de suroccuper un logement, de relancer l’activité du BTP et d’accélérer les objectifs de la transition énergétique.

Madame la Ministre, votre politique est un mauvais calcul car elle fait mal aux habitant.es, elle fait mal à la cohésion sociale.

Certes, elle favorise les investisseurs privés, mais sacrifier pour cela le logement social ne résout ni la crise sociale ni la crise politique et climatique : cela ne fait qu’alimenter la spéculation et renforcer les fractures. Parier sur le logement social, au contraire, c’est garantir un toit digne à toutes et tous, c’est réduire les émissions de CO₂ et soutenir l’économie locale. C’est encore retisser les liens d’une société fracturée.

Le logement social n’est pas seulement un rempart contre la pauvreté : c’est un outil puissant, de lutte contre les logiques de relégation, de combat contre le repli identitaire les enfermements communautaires et la montée de l’extrême droite. Là où la libéralisation du secteur HLM a conduit à la ghettoïsation des populations les plus modestes au mépris de la mixité sociale, la reconstruction d’un logement social et public peut recréer du commun et du vivre-ensemble. Ce constat, l’Union européenne même est en train de le faire : la France sera-t-elle la dernière de cordée dans la lutte contre la pauvreté ?

C’est pourquoi la CNL propose de mettre en place une véritable Sécurité sociale du logement dotée d’une caisse de garantie des impayés pour les propriétaires et les locataires et d’un ensemble d’outils publics sécurisant ces derniers dans leur logement. Comme la Sécurité sociale a permis à chacune et chacun d’accéder aux soins, il est temps de faire du droit au logement une réalité inconditionnelle, financée par la solidarité nationale et protégée de la spéculation.

Ce serait un acte de justice sociale, d’efficacité écologique et de modernité politique.

Madame la Ministre, j’espère que vous allez prendre en compte que le logement social n’est pas le problème mais la solution !

Vous dites agir pour l’intérêt général. Il est temps d’en donner la preuve.

 


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