Le scandale de la pénurie de vaccins… et comment Sanofi pourrait aider à y remédier

En vertu de l’état d’urgence sanitaire, le gouvernement français a la possibilité, de procéder à la «  réquisition de biens ou de services ». © Kay Nietfeld/Pool via Reuters

En vertu de l’état d’urgence sanitaire, le gouvernement français a la possibilité, de procéder à la « réquisition de biens ou de services ». © Kay Nietfeld/Pool via Reuters

La pénurie menace les campagnes de vaccination partout dans le monde. Face à ce spectre, la question d’une mutualisation globale commence à s’imposer. Sanofi pourrait tout à fait participer, mais cela demande une décision politique.

Nul n’a pu oublier l’image convoquée par Emmanuel Macron au printemps dernier. « Nous sommes en guerre », avait asséné le chef de l’État face à l’explosion de la pandémie due au nouveau coronavirus. Une image pas forcément très heureuse, mais elle prend aujourd’hui un sens plus macabre encore : les Français, comme beaucoup d’autres, évidemment, à l’échelle planétaire, vivent une phase de rationnement sévère. Les vaccins contre le Covid-19 existent : ils ont été mis au point grâce au travail de recherche mené dans des laboratoires publics pendant des décennies et aux montagnes de fonds publics pour le développement, les essais cliniques, la logistique, etc. Ils existent, mais les laboratoires qui, comme Moderna ou BioNTech, ont remporté la course de vitesse, sont en fait incapables de les produire à la hauteur des besoins.

Du coup, partout, les signaux de pénurie se multiplient… Ce sont des calculs d’apothicaires qui permettent d’inoculer six doses avec un flacon de cinq. Ou encore des méthodes semblables à celles d’apprentis sorciers qui consistent à renvoyer aux calendes grecques la seconde injection : au Royaume-Uni, le délai entre les deux piqûres est passé, au doigt mouillé, sans validation dans les essais cliniques, de 3 ou 4 semaines à 3 mois et, dans l’Union européenne, les autorités régulatrices permettent, comme l’avalise l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), de repousser jusqu’à 6 semaines la deuxième injection afin de toucher un peu plus de gens immédiatement. Dernière illustration en date des effets de cette crise majeure dans la stratégie vaccinale : selon une révélation de France Inter, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a décidé mercredi soir de réduire drastiquement la vaccination de son personnel soignant pour « rediriger » les stocks vers les citoyens de plus de 75 ans.

Une surenchère débridée

Face à la sous-production structurelle, l’opportunisme le plus vil est à l’œuvre. L’Allemagne a rompu le cadre européen d’achats communs de vaccins en passant une commande directe de 30 millions de doses à Pfizer-BioNTech pour son propre compte. Moderna se livre à une surenchère débridée : alors que l’Union européenne négocie une seconde commande de ses vaccins, le labo américain entend, d’après des sources anonymes citées par l’agence Reuters, doubler le prix de ses doses, déjà présentées comme les plus chères sur le marché.

Dans ces circonstances, la question des chaînes de production inexploitées à l’échelle mondiale, abandonnée par les États aux bons soins de Big Pharma, revient sur le tapis. « Sanofi, Merck et GSK sont trois des plus gros producteurs de vaccins dans le monde, note Zain Rizvi, activiste spécialisé dans l’accès aux médicaments de l’ONG américaine Public Citizen. Le fait qu’ils ne soient pas impliqués directement pour augmenter la production de vaccins dans une telle pandémie est un échec politique gigantesque. »

À la mi-décembre, les patrons du labo de biotechnologies CureVac, dont le sérum à ARN messager pourrait être homologué dans les prochains mois, ont jeté un pavé dans la mare, appelant à une forme de suspension des brevets dans la pandémie. « Nous avons besoin les uns des autres, estimait Ingmar Hoerr, le fondateur de l’entreprise, dans un entretien à la presse allemande. La planche que nous forons est trop épaisse… »

Un ballon d’essai dans le camp de Sanofi

Aux États-Unis, l’administration Trump finissante prie le groupe Pfizer, mais sans activer aucun levier de pression, d’examiner la possibilité de s’associer à un autre géant du secteur, comme Merck, pour augmenter la production… C’est un peu pareil en France, où le gouvernement marche également sur des œufs. Tout en se gargarisant de jouer un rôle dans la production des vaccins en circulation – deux usines de sous-traitants implantés dans l’Hexagone, et financés au titre du plan de relance, participeront dans les prochains mois au conditionnement des vaccins Recipharm sous les couleurs de Moderna (lire notre article sur le sujet) et Delpharm pour Pfizer-BioNTech –, il a ouvert, symboliquement jusqu’ici, une petite brèche.

Ministre de l’industrie, Agnès Pannier-Runacher vient de lancer un ballon d’essai dans le camp de Sanofi, le champion national qui, très en retard dans le développement de son vaccin, a des infrastructures et des capacités de production bien plus importantes que les autres. « Sanofi est en train de regarder comment aider à la production de vaccins, y compris des vaccins qui ne seraient pas de chez eux, a-t-elle déclaré la semaine dernière à l’antenne d’Europe 1. Si, techniquement, c’est possible, il faut choisir l’efficacité… Nous sommes en train de travailler dessus. » La veille, le groupe français avait confirmé travailler sur cette hypothèse. « En vertu des développements actuels, nous avons une certaine souplesse temporaire sur nos lignes de production, admettait, au prix d’un bel euphémisme, un porte-parole. Nous étudions toutes les options et évaluons la faisabilité technique de réaliser certaines étapes de fabrication pour soutenir les autres fabricants de vaccins contre le Covid-19. »

« Pas de querelles d’ego ! »

À l’intérieur du groupe Sanofi, la CGT qui, dans un communiqué, vient d’appeler à mettre à disposition les outils de production pour fournir un vaccin à toutes les populations du globe, confirme un certain remue-ménage. « On sait qu’il y a des réflexions en cours, témoigne Fabien Mallet, coordinateur CGT chez Sanofi. Rien n’est officiel, mais des collègues nous rapportent qu’on leur pose des questions bizarres… » Sur le fond, le syndicaliste revendique une rupture avec les logiques du marché. « Il faut sortir du tous contre tous, de la concurrence. On est dans une pandémie mondiale, on ne peut pas attendre que les entreprises se décident à faire assez de doses pour toute la planète. Concrètement, pour que Sanofi puisse contribuer à la production, en tant que fabricant pour Moderna ou BioNTech, ou de manière plus simple encore pour AstraZeneca qui est sur une technologie que nous maîtri sons complètement, ​​​​​​il suffit qu’on ait les procédés et le plan de fabrication, on pourrait être prêts très vite et, pour les vaccins d’ARN messager, dans un délai maximal de 3 à 6 mois… Même si on ne devait pas faire le vaccin de A à Z, mais juste quelques étapes de fabrication, cela ferait déjà gagner un temps précieux. Certes, le groupe serait vexé d’être un simple sous-traitant, mais, fac e à la pandémie, pas de querelles d’ego ! »

Dans les faits, les États européens et la France, au premier rang, ont sans doute les moyens d’imposer un autre régime de production des vaccins contre le Covid-19. Sans aller jusqu’à l’indispensable remise en cause du régime des brevets, telle que portée, ces derniers mois, par l’Afrique du Sud notamment devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ils peuvent utiliser les cadres législatifs existants, avec toutes leurs limites. C’est encore à ce stade la volonté politique d’affronter Big Pharma qui manque… Depuis mars 2020, l’Allemagne dispose, par exemple, d’un cadre permettant d’aller jusqu’à l’expropriation en cas d’urgence pandémique.

Utiliser le texte sur l’état d’urgence sanitaire

Avec son texte sur l’état d’urgence sanitaire, la France détient également plusieurs cartes pour réparer un système privé défectueux : elle a ainsi la possibilité de « prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire » et elle peut aussi procéder à la « réquisition de biens ou de services ». Autre coordinateur CGT chez Sanofi, Jean-Louis Peyren insiste : « Si nous ne sommes pas approvisionnés de manière satisfaisante car les prix sont trop élevés, ou les quantités sont insuffisantes, si Moderna ou Pfizer refusent de céder leurs brevets, la France peut prendre une licence d’office qui les fait sauter. Si Sanofi ne veut pas mettre ses infrastructures à disposition, la France peut réquisitionner. On a tous les outils nécessaires, il faut les utiliser , et sortir de la course aux mises sur le marché pour passer à la course à la production. » À la guerre comme à la guerre, en somme : chiche, monsieur le président ?

Cynisme au sommet chez big pharma

Mercredi soir, à l’occasion de la JPMorgan Healthcare Conference, le grand raout annuel organisé pour le secteur pharmaceutique par la banque d’affaires américaine à San Francisco, les grands gagnants de la course aux vaccins étaient à la fête. Moderna comme Pfizer sont persuadés, avec l’ARN messager, de détenir la clé pour les vaccins du futur, mais aussi pour leur propre fortune… « Notre conviction en tant qu’entreprise, c’est que le Sars-CoV-2 ne va pas disparaître, se réjouit Stéphane Bancel, le PDG français du labo de biotechnologies. Nous allons devoir composer avec ce virus, nous le pensons, pour toujours. » Sa collègue, Angela Hwang, présidente du département biotech de la multinationale Pfizer, se délecte également : « Nous voyons tout ça comme un business durable. Un marché et un pan de recherches que nous allons devoir continuer de faire pendant très longtemps encore. » Et les champions d’assumer crânement leur logique de prime à ceux qui payent le plus cher, alors qu’ils sont très en retard sur les livraisons là-bas également… « Les États-Unis seront l’un des premiers pays de cette taille à obtenir un niveau de protection suffisant, salue encore Stéphane Bancel. D’un autre côté, je serais très surpris que l’Europe y parvienne avant la fin de cette année. 


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