Accepter l’inacceptable. Chronique 4 de Marcel Duvel
« La corruption et la brutalité sont des comportements modelés sur ce que font les autres, des façons d’agir attendues, récompensées, qui deviennent normales. Et quiconque essaie de résister, de leur dire que c’est mal, se fait rabrouer. Ou pire. Rares sont les personnes qui ne s’égareraient pas. » (Louise Penny, « La faille en toute chose »)
Ainsi la corruption, comme la pression exercée sur les autres ou le harcèlement sous toutes ses formes, deviennent la norme, le référence. En devenant ordinaire, la corruption se fait oublier, et on l’oublie volontiers. Il est vite normal d’obtenir une meilleure place dans la file d’attente en échange d’une faveur, et puis la place dans la file devient la promesse d’un emploi, l’assurance d’un bulletin de vote ou un passe-droit pour une situation juteuse. Il n’y a pas de degrés dans la corruption. Par sa capacité à créer de la normalité, la corruption existe ou n’existe pas, il n’y a pas de demi-mesure.
Selon le même principe, quand une personne est corrompue, elle corrompt les autres et la corruption devient collective. On s’habitue alors à ne plus avoir d’espaces de débats démocratiques, on s’accommode de la disparition des services publics, c’est à peine si le désintérêt pour le bien collectif nous arrache encore une grimace.
Ne nous y trompons pas, nous sommes tous corruptibles, nous sommes tous corrupteurs. Nous y viendrons d’une façon ou d’une autre, pour sortir un proche d’un mauvais pas, par peur de la répression ou par crainte d’une épidémie… Ou tout simplement par paresse intellectuelle. La corruption est l’instrument des totalitarismes pour nous faire accepter l’abject, l’inique, l’inacceptable. Il n’y pas de degré dans la corruption, elle nous fait accepter également qu’un président de la République française prenne ses décisions dans le secret du bunker d’un conseil de défense, ou qu’un maire de Moissac confisque les droits des conseillers municipaux d’opposition au prétexte d’une efficacité d’opérette.
Nous sommes en train d’accepter l’inacceptable. Nous sommes en train d’oublier qu’il n’y a pas de degrés dans la corruption. Par sa capacité à créer de la normalité, la corruption existe ou n’existe pas, il n’y a pas de demi-mesure.
Marcel Duvel
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