Par Bernard Deschamps Ancien député PCF du Gard
Le rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie (1), commandé par le président de la République française à l’historien Benjamin Stora, comporte des impasses et des ambiguïtés préoccupantes.
Dans sa lettre de mission, Emmanuel Macron disait vouloir « s’inscrire dans une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algérien ». Cette volonté s’était concrétisée en 2018 par la reconnaissance, au nom de la République française, de la mort de Maurice Audin exécuté ou torturé à mort par des militaires français. Le président de la République mettait l’accent sur la nécessité d’aboutir « à l’apaisement et à la sérénité de ceux que (la guerre d’Algérie) a meurtris, (…) tant en France qu’en Algérie ». Il a par la suite exclu toute « repentance » et toutes « excuses », ce qui a été qualifié d’inquiétant par plusieurs historiens dont Gilles Manceron.
Benjamin Stora a consulté un grand nombre de personnalités dont il donne la liste. On est étonné de n’y trouver pratiquement aucun·e responsable d’associations d’amitié franco-algérienne anticolonialistes. Ainsi, par exemple, l’association Agir contre le colonialisme aujourd’hui (Acca) et l’association les Amis de Max Marchand et Mouloud Feraoun, assassinés par l’OAS le 15 mars 1962 n’y figurent pas. Ni non plus France-El Djazaïr. Quelques anciens combattants de la Fédération nationale des anciens combattants d’Algérie, Maroc, Tunisie (Fnaca) ont été rencontrés, mais personne de l’Association républicaine des anciens combattants (Arac), qui a pourtant été très engagée pour l’indépendance de l’Algérie.
Récapitulant les nombreux travaux historiques réalisés en France, Benjamin Stora ne cite pas l’ouvrage la Guerre d’Algérie (1981) réalisé sous la direction d’Henri Alleg. Concernant les colloques, il ne mentionne pas le colloque international « Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne », organisé en 2006, à l’École nationale supérieure des lettres et sciences humaines de Lyon, sous la direction du professeur Gilbert Meynier avec une centaine d’intervenants. Il ne fait pas non plus référence à l’Histoire intérieure du FLN, de Gilbert Meynier . Benjamin Stora évoque les « militants de gauche anticolonialistes, communistes, socialistes, militants de la gauche c hrétienne se battant pour l’égalité des droits », en occultant leurs combats pour l’indépendance de l’Algérie. Parmi les impasses, « l’oubli » des huit morts français dont sept étaient communistes, le 8 février 1962, au métro Charonne. Par contre, le pogrom du 17 octobre 1961 est bien évoqué. Parmi les acteurs algériens de la guerre d’indépendance, il ne cite à aucun moment Ahmed Ben Bella et Houari Boumediene. De la part d’un historien de ce niveau, il ne peut s’agir d’oublis. Peut-être faut-il en chercher l’origine dans sa référence répétée à Albert Camus qui, certes, se prononçait contre les conditions inhumaines de la colonisation, mais qui était hostile à l’indépendance de l’Algérie ?
Une phrase du rapport m’a particulièrement interpellé. Il évoque « les exactions commises, notamment à la fin de la guerre d’Algérie, par certains commandos extrémistes de l’OAS ». Par « certains commandos » ? Pas par tous et pas tous extrémistes ? Cette façon de dédouaner l’organisation criminelle de ses responsabilités m’inquiète d’autant plus qu’il rend hommage au « beau livre d’André Rossfelder, ami d’Albert Camus », le Onzième Commandement (Gallimard, 2000). « Ce que ne précise pas Benjamin Stora – écrit Jean- Philippe Aoudia, le fils d’une des victimes de l’OAS le 15 mars 1962 – c’est que l’engagement de Rossfelder s’est fait dans l’OAS. Condamné à mort par contumace pour sa participation à la tentative d’assassinat du président de la République, Charles de Gaulle, au mont Faron, à Toulon, le 15 août 1964. C’est le terroriste Rossfelder qui a transmis à un ami une liste de condamnés à mort par l’OAS, avec la mention “fait” ou bien “loupé” ou bien “en cours de préparation ” en face des noms (voir Annexes p. 130 de la bataille de Marignane). » Bien d’autres oublis et ambiguïtés peuvent être relevés qui montrent que l’auteur n’a pas complètement abandonné l’illusion du mariage des mémoires antagonistes, contrairement aux intentions affichées : « Un rapprochement entre la France et l’Algérie passe (donc) par une connaissance plus grande de ce que fut l’entreprise coloniale. »
Un long paragraphe est cependant consacré aux crimes commis par l’État français de 1962 à 1964 : « Le déracinement/déplacement de deux millions de paysans algériens, chassés de leurs terres dans le souci d’isoler les indépendantistes algériens de leur base sociale, rurale. Ce déplacement forcé, qui a causé un énorme bouleversement dans le paysage agricole de l’Algérie, a été dénoncé en son temps par le jeune énarque Michel Rocard, dans un rapport de 1959. Citons aussi, la destruction de centa ines de villages et la mise en place des zones interdites où aucun Algérien ne pouvait plus circuler sous peine d’être abattu ; les dizaines de milliers de disparus, dont les familles réclament encore de connaître l’endroit où gisent leurs corps ; l’utilisation du napalm, qui porte le nom de “bidons spéciaux”, notamment pendant la mise en œuvre du plan Challe en 1959 ; la pose de milliers de mines aux frontières marocaine et tunisienne qui ont tué ou estropié des milliers de jeunes Algériens ; la contamination des populations sahariennes par les bombes atomiques par les essais nucléaires commencés en 1960 ; la pratique massive de la torture … »
Des avancées peuvent-elles être espérées ? Il faudra être attentif à la suite qui sera donnée par la commission « Mémoire et Vérité », qui comprendra des intellectuels, des personnalités, des responsables d’associations, aux 22 propositions formulées par Benjamin Stora (notamment les commémorations du 17 octobre 1961 et du 19 mars 1962 ; l’élévation des camps comme celui de l’Ardoise dans le Gard en lieux de mémoire ; le transfert de Gisèle Halimi au Panthéon, etc.). Le combat donc continue pour la reconnaissance sans réserve par la France de la réalité inhumaine de la domination coloniale et de la cruauté de la répression du mouvement indépendantiste. L’amitié entre le peuple algérien qui a tant souffert et le peuple français est à ce prix.
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NDLR de MAC: Bien sur, le révisionnisme poujadiste et démagogique de M. Lopez ne pouvait ne pas s’exprimer à cette occasion. Cachez ce tweet que mon idéologie remet au galop…. Nous vous laissons juge de la parfaite et crasse ignorance des réalités du colonialisme, fut-il français durant 150 ans!
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