Crédits photo : Twitter / Antoine Leroyer
Révolution Permanente : Le 4 décembre, l’Inter-Urgence appelle à manifester contre les fermetures de services dans les hôpitaux. Dans quelles conditions intervient cette date de mobilisation, et avec quelles revendications ?
Marie-Pierre : On se joint à l’appel du comité de défense des hôpitaux de proximité de Mayenne et du comité de défense des hôpitaux Beaujon Bichat. Le département de Mayenne est en grande difficulté, parce qu’au-delà de Laval il y a aussi des services et des urgences très proches qui ont fermé. Donc ça touche le département mais ça touche quasiment toute la région ARS du Pays de La Loire. Il y a des services à l’hôpital de Mayenne et de Laval qui ont fermé, notamment aux urgences. Celui de Redon ferme aussi la nuit, donc ça fait plusieurs hôpitaux dans un même secteur qui ont vu des services fermés, avec une offre de soins en grande diminution. Ce qui fait que le secteur est en difficulté et les patients en grand danger.
On a une coordination nationale des comités de défense des hôpitaux de proximité des hôpitaux et des maternités de proximité et il y a des antennes un peu partout en France. Un autre comité très actif, c’est celui de l’hôpital Beaujon-Bichat, parce que ce sont des hôpitaux qui sont amenés à fusionner, et donc à fermer, pour faire le grand hôpital Nord. Ce qui va entraîner la fermeture de 300 lits sur un secteur où la population est très jeune et très dense.
C’est vraiment la colère de la base, les soignants qui sont à bout vont aller dans la rue. Ces deux comités veulent se battre contre la fermeture de leurs hôpitaux mais ce ne sont pas des situations isolées, à la Mayenne ou Beaujon-Bichat ; c’est politique générale de restructuration et de suppressions de lits. On est tous en danger. C’est pour ça qu’on se joint à leur appel pour manifester à Paris.
Révolution Permanente : Alors même que la pandémie a reculé et que les hospitalisations liées au covid sont moindres, les services hospitaliers continuent d’être en tension, encore récemment à cause d’une hausse des cas de bronchiolite : est ce que la désorganisation de l’hôpital public va devenir un phénomène chronique ?
Marie-Pierre : Il faut comprendre que l’hôpital était désorganisé bien avant la pandémie et qu’elle a juste mis en avant toutes les problématiques qu’on vivait déjà avant. On l’a vu arrivée, on a vu l’hôpital s’effondrer. On a eu un espoir avec le Ségur mais c’était que des effets d’annonce, les soignants continuent de partir de l’hôpital, rien n’est mis en place pour les retenir, aucune mesure d’aide… ça donne cette situation catastrophique. De mémoire, on ne l’a jamais vu. Le gouvernement est heureux, se congratule, alors qu’il n’a mis en place que des mesures dérisoires, par rapport aux besoins du terrain. Je ne comprends pas comment on peut être satisfait et heureux de la situation actuelle.
Chez les soignants, il y a un réel épuisement : quand vous faites un métier et que tous les jours vous êtes obligés de renier vos valeurs professionnelles, de travailler dans des conditions dégradées et que les seules solutions qu’on vous apporte c’est des miettes, des augmentations dérisoires de 200€ : pour mettre votre santé et les gens en danger, ne pas travailler correctement et renier vos valeurs, ça marche pas. Ce phénomène n’est pas nouveau et ça s’empire d’année en année parce qu’on fait du management, on gère l’hôpital comme si c’était une entreprise privée. C’est pas comme ça que ça marche. Le soin et l’humain c’est pas une entreprise, ça peut pas être rentable.
Révolution Permanente : Quelles sont les conséquences de cette casse du service public hospitalier sur les soins délivrés aux patients ?
Marie-Pierre : Des services ferment, parfois même des structures sont fortement menacées, et la situation devient invivable pour les personnes sur le terrain. Déjà c’est difficile de voir son service fermer par manque de personnel, ensuite quand notre service ferme ça veut dire que c’est le service d’à côté qui récupère toute votre attractivité, sauf qu’à cause de ça, un service non adapté va recevoir énormément de patients d’un coup et va se retrouver submergé. La réalité de l’hôpital public aujourd’hui c’est donc des services submergés ou qui doivent fermer faute de personnel. C’est une perte de chance pour les patients, parce que quand vous devez partir à 1h de la maison pour aller aux urgences c’est forcément plus risqué. La prise en charge est plus difficile, avec des soignants moins à l’écoute, des situations compliquées et qui mettent en danger les patients. Aujourd’hui nos équipes sont épuisées, et c’est sûr que ça met en danger les patients. Le gouvernement ne réagit pas, alors qu’on a besoin que cette politique de fermetures de lit, de casse de l’hôpital public s’arrête, car c’est un réel danger pour la population.
Révolution Permanente : Après 2 ans de crise sanitaire au cours desquels Macron a fait pesé sur les soignants sa stratégie sanitaire désastreuse, quel est l’état d’esprit du personnel face à l’attitude triomphaliste du Président de la République, qui cherche à minimiser le nombre de lits fermés à cause du manque de personnel ?
Marie-Pierre : C’est quand même hallucinant de se dire qu’il y a une étude qui a été faite par un organisme indépendant sur 16 des plus grands CHU en France. Sur les 27 CHU, ils en ont pris 16, ils ont fait et conclu que dans ces CHU, 20% des lits ont fermés et le seul truc qu’on nous répond c’est qu’il y en aurait que 6 % en tout. Mais en fait ça veut quand même dire que sur 16 des plus grands CHU, il y a 20% des lits qui ont fermé. Il y a des hôpitaux où c’est plus, d’autres moins mais ça reste un chiffre réel, qui compte les services fermés aujourd’hui, sans même prendre en compte ceux qu’on a fermés avant, et qui nous mettent en difficulté. Le manque de lits d’aval, c’est un problème qu’on remonte depuis déjà trois ans.
C’est difficile de penser à la reprise épidémique en l’état. Le covid remonte mais on est tellement en tension et tellement engorgés que même si demain le covid s’arrête on sera toujours dans la même difficulté et ce qu’on voudrait c’est que le le gouvernement reconnaisse que l’hôpital est en difficulté et que l’hôpital ne va pas bien. Aujourd’hui tout ce qu’il dit c’est : « Regardez-nous on a investi ». Certes, ils ont investi pour l’hôpital mais c’est tellement dérisoire par rapport à ce dont on a besoin et à la réalité du terrain. La réalité n’est pas du tout comme la décrit le gouvernement.
Révolution Permanente : Au début de la pandémie, on a vu un large élan de soutien en direction des soignants dans toute la population. A l’heure où vous vous apprêtez à manifester pour l’hôpital public, pourquoi pensez-vous qu’il est important que tout le monde s’empare de cette question ?
Marie-Pierre : C’est aussi à la population de se saisir du problème, et de se poser la question de quel service de santé ils veulent demain pour eux, pour leurs enfants et pour leurs parents.
Aujourd’hui, clairement, c’est un service qui met en danger la population et on doit se poser la question de ce qu’on veut pour demain, parce que le soin c’est un droit fondamental et que c’est quelque chose dont on a tous besoin. On ne peut pas se contenter de prier pour qu’il n’y ait pas de vagues épidémiques, ou de pandémies. On ne peut pas chaque hiver être submergés par les virus, ou avoir peur chaque été de la canicule parce que les hôpitaux ne sont pas à la hauteur pour recevoir tout le monde. C’est impossible de fonctionner comme ça.
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