Figaro Magazine : La droite attaque l’Ecole in Caf. Peda.

« Antiracisme, idéologie LGBT+, décolonialisme… Enquête sur une dérive bien organisée ». Par quelle sidérante inversion des valeurs le fait de lutter contre le racisme, de condamner le colonialisme et d’apprendre aux enfants la tolérance devient dans Le Figaro Magazine plus que des accusations , la dénonciation d’un complot « bien organisé » ! Les divagations du Figaro Magazine appuyées sur une poignée de témoignages anonymes ne mériteraient pas tant de bruit. Si cette campagne ne s’inscrivait dans le climat de maccarthysme actuel. Si elle ne reprenait pas des thèmes lancés par le ministre de l’éducation nationale. Et si des membres de l’équipe de JM Blanquer ne participaient pas à ce numéro. Le dossier de N Cherigui et J Weintraub mène tout droit rue de Grenelle. Il suscite déjà de vives réactions chez les acteurs de l’Ecole.

Des dénonciations sans fondements

 « Décolonialisme, islamo-gauchisme, communautarisme, promotion du transgenrisme : au nom de la diversité et de son corollaire pédagogique, l’inclusion, les idéologies ont pénétré le temple scolaire avec la complicité d’une partie du corps enseignant et par le biais des outils pédagogiques… L’institution est dépassée malgré la volonté du ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, de lutter contre ces dérives ».

La présentation de ce « dossier » de quelques pages, rédigé par trois journalistes du Figaro Magazine, en résume bien le contenu. Il y a un fatras d’accusations où se mêlent la dénonciation des valeurs démocratiques et la diatribe complotiste. Il y a une volonté de mettre au pas les éditeurs scolaires. Et il y a l’hommage rendu au ministre « de l’éducation » (sans « nationale »), dont l’équipe est représentée dans ce dossier par la présidente du Conseil supérieur des programmes Souâd Ayada.

Commençons par les accusations. Une lycéenne anonyme se plaint d’un cours d’EMC. Un professeur de lettres, toujours anonyme, se plaint de ses collègues tous « indigènistes, woke ou communautaristes ». Un professeur de la région Grand Est se plaint que ses élèves refusent la théorie de l’évolution. Un grand lycée du centre de Paris a organisé une semaine contre les discriminations LGBT+ et SOS Homophobie intervient dans les établissements. L’article fustige l’éducation à la tolérance en dénonçant également la Ligue de l’enseignement qui aurait abandonné la défense de laïcité parce qu’elle se bat « pour légalité des droits contre la haine et les discriminations anti LGBT+ ». La FCPE en prend aussi pour son grade à ce niveau. Et l’Inspé de Créteil qui serait toute acquise à la lutte contre les discriminations racistes. Les autres cibles de l’article ce sont les éditeurs scolaires notamment Lelivrescolaire et Hatier, tous deux propriétés du groupe Hachette. Il n’y a que trois sources citées dans l’article : un obscur  » Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires », une très malheureuse candidate aux législatives de 2017, Fatiha Boudjahlat, par ailleurs enseignante et la présidente du Conseil supérieur des programmes, Souâd Ayada. Et c’est cette dernière qui compte.

Un article en lien avec l’équipe et les campagnes de JM Blanquer

Parce qu’accuser les enseignants de dénoncer le colonialisme, de lutter contre les stéréotypes de genre et pour la tolérance en matière de sexualités ou encore de lutter contre le racisme, c’est simplement rappeler ce que sont leurs missions telles qu’elles sont inscrites dans le Code de l’éducation. Faire l’apologie de la colonisation, celle du racisme ou de l’homophobie ce serait une faute pour un enseignant. Construire un article qui dénonce une pénétration de toute l’Ecole à partir de quelques témoignages anonymes et d’une activiste politique c’est ridicule.

Le seul point sérieux de ce dossier c’est l’article de Souâd Ayada qui dénonce les éditeurs scolaires. « Là où je suis j’essaie de protéger l’institution scolaire de toutes les modes en vogue dans la société et de la prémunir des idéologies de la déconstruction postcoloniales ou identitaires », dit-elle. Et de se lamenter que « le CSP n’a aucun pouvoir sur le contenu des manuels scolaires ». Elle lance un appel aux collectivités locales qui commandent les manuels. « Elles pourraient utiliser ce levier pour se pencher sur leur contenu », ecrit-elle.

Il est bien évident que cet article de S Ayada n’est pas paru sans l’autorisation du ministre de l’éducation nationale. Elle ne fait d’ailleurs qu’y reprendre les thèmes de campagne de ce dernier. La dénonciation des « idéologies de la déconstruction », comme la lutte contre le racisme. un sujet sur lequel JM Blanquer revient régulièrement depuis des années et encore récemment. Ses plaintes contre les formations antiracistes organisées par Sud Education par exemple ont été un échec.

On a peut-être oublié que JM Blanquer a aussi mené campagne contre les éditeurs scolaires. Dès décembre 2017 il annonçait la création d’un Conseil scientifique qui donnerait des « recommandations pour bien choisir les manuels scolaires », affirmant par exemple que « tous les manuels ne se valent pas » pour l’apprentissage de la lecture ». Rappelons que l’étude de R Goigoux montre justement le contraire : le choix du manuel n’est pas déterminant dans la maitrise de la lecture. En 2018, devant le Sénat, il menaçait de ne plus commander de manuels de collège. A la différence des manuels du premier degré et de ceux du lycée, ceux-ci sont à la charge de l’Etat et la menace était à prendre au sérieux par les éditeurs. En attendant le budget des manuels pour le collège passait de 216 à 16 millions. Depuis le ministère a édité sa propre méthode de lecture, Légo, expérimentée dans 10 départements, et une foule de « recommandations » et de « guides » de toutes les couleurs qui pèsent sur la liberté pédagogique des enseignants.

Des manuels libres dans un pays libre

Car pour réduire celle-ci, il faut s’attaquer à la liberté d’édition. La dénonciation des manuels scolaires, suspects d’antinationalisme ou de déviance, est une constante de la droite, comme le rappelle par exemple cette attaque de janvier 2006.

Sur son blog, Claude Lelièvre rappelle le lien étroit entre la naissance de l’école républicaine et la liberté d’édition. « Il y aurait de graves inconvénients à imposer aux maitres leurs instruments d’enseignement », écrivait Ferdinand Buisson dès 1879, ajoutant « il n’y en a aucun à leur laisser librement indiquer ce qu’ils préfèrent ». Ces conseils sont traduits en arrêtés par Jules Ferry en 1880. Ce rapport de l’Inspection générale de 2012 retrace d’ailleurs la conquête républicaine qu’a été le libre choix du manuel scolaire.

Le monde enseignant réagit

Ce numéro du Figaro Magazine, qui reprend les thèmes de campagne et une partie de l’équipe de JM Blanquer a suscité beaucoup de réactions chez les enseignants sur les réseaux sociaux. Sur son blog, le professeur des écoles Alain Refalo rappelle :  » les valeurs que nous enseignons à nos élèves sont inscrites dans les programmes : la liberté, l’égalité, la fraternité, ce qui implique d’éduquer à la tolérance, au refus du racisme, à l’égalité hommes-femmes et garçons-filles, au respect dû à toute personne, étrangers, migrants, réfugiés, au refus de la haine et de la violence, à la paix et contre la guerre ». Et il ajoute :  » Nous ne nous laisserons pas jeter en pâture aux chiens. Nous allons nous battre avec nos armes, la plume, la parole, l’éducation et la non-violence contre tous vos mensonges, vos délires identitaires et vos obsessions nationalistes. Enseignants, il est temps de nous réveiller. La petite musique qui circule en boucle depuis des mois « porte en elle la guerre comme la nuée porte l’orage ».

L’APHG, association des professeurs d’histoire-géographie, est aussi montée au créneau. « S’il est trop long de relever ici toutes les approximations et erreurs (du Figaro Magazine), il en est une que les auteurs auraient du se garder de commettre : désigner à la vindicte publique celles et ceux qui instruisent de leur mieux les élèves de tous âges, insulter celles et ceux qui enseignent dans des conditions extrêmement difficiles, pour propager le savoir et faire reculer l’ignorance. Oui nous devons lutter contre l’obscurantisme, contre l’antisémitisme, contre le racisme, contre le fanatisme, contre la désinformation permanente, contre le harcèlement… Quant aux manuels rappelons qu’en France les manuels officiels n’existent pas et que ce sont des outils que les collègues sont libres d’utiliser comme ils l’entednent. ou pas… Nous nous étonnons d’y voir associé le terme endoctrinement et encore plus de l’assourdissant silence gouvernemental face à ces attaque signobles… Aujourd’hui la coupe est pleine ».

La FSU dénonce dans la Une du Figaro Magazine, « une insulte aux professionnels de l’éducation. Trop d’éducation à la tolérance ? Avoir des valeurs c’est manipuler les élèves ? Consternant ! ».

 » Fondés sur des sources anonymes commentées par une éditorialiste militante bien connue, les articles vont jusqu’à reprocher à des associations agréées comme la ligue de l’enseignement d’intervenir dans le cadre de sensibilisations aux LGBTphobies, interventions qui rentrent pleinement dans les programmes et objectifs de l’Éducation nationale. La campagne lancée en 2019″, répond Sud Education. « En faisant passer la lutte contre le racisme, l’homophobie et les discriminations en général pour du militantisme qui n’aurait pas sa place à l’école, une certaine presse se rend complice de ce qui relève de délits qui tombent sous le coup de la loi. En accusant publiquement les personnels de l’Éducation nationale qui appliquent les programmes et font respecter les valeurs de la République « d’endoctrinement », elle les jette en pâture. Jean-Michel Blanquer, par ses propos approximatifs et répétés, a rendu possible une telle offensive. En ligue avec la presse réactionnaire, il contribue à entretenir un climat nauséabond ».

Dans un tweet, Le Figaro Magazine explique que « ce sont les dérives qui sont dénoncées dans l’article de J Waintraub et N Cherigui ».

François Jarraud

Dans Le Figaro Magazine

 


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