Lors de l’élection présidentielle, les jeunes se sont davantage abstenus ou ont préféré Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Les plus âgés se sont plutôt tournés vers Emmanuel Macron.
Une rupture générationnelle a bel et bien émergé au cours des dernières années au sein de l’électorat, mais elle s’articule avec une fracture sociale.
Mathieu Gallard Directeur d’études à l’Ipsos
La tripartition du paysage politique français qui a émergé en 2017 et s’est confirmée lors de la présidentielle de 2022 a conduit à une recomposition des électorats des principales familles politiques, en termes sociaux, géographiques ou générationnels. C’est probablement ce dernier aspect qui a le plus retenu l’attention des observateurs à la suite du premier tour, non sans raisons. Certes, les logiques traditionnelles de la participation électorale restent d’actualité : les jeunes, plus sceptiques vis-à-vis de nos institutions très verticales et considérant le vote comme un moyen d’action parmi bien d’autres, sont toujours nettement moins enclins à se rendre aux urnes : seuls 56 % des moins de 35 ans ont voté au premier tour de l’élection présidentielle, contre 81 % des 60 ans et plus.
En revanche, les logiques du vote se sont modifiées : comme en 2017, mais plus encore qu’à l’époque, les moins de 35 ans se sont tournés vers Jean-Luc Mélenchon, 35 % d’entre eux faisant ce choix. Il s’agit une population souvent diplômée et bien formée, mais encore mal intégrée sur le marché du travail. À l’autre extrémité de la pyramide des âges, les seniors, qui en 2017 avaient plébiscité le candidat des « Républicains », François Fillon (45 % chez les 70 ans et plus), ont désormais favorisé le président sortant : Emmanuel Macron a obtenu 41 % des suffrages de cet électorat traditionnellement légitimiste et favorisant la stabilité. La représentante du pôle national-identitaire, Marine Le Pen, est la seule à avoir un électorat relativement bien réparti en termes d’âge. Il n’en reste pas moins qu’elle est particulièrement bien implantée au sein des classes d’âge intermédiaires, obtenant 28 % des suffrages des 35-59 ans. Ce segment de la population, le plus intégré sur le marché du travail, était aussi le plus préoccupé par la question du pouvoir d’achat, largement mise en avant par la candidate du Rassemblement national (RN) durant sa campagne. Une fracture générationnelle a donc bel et bien émergé au cours des dernières années au sein de l’électorat, qui s’entrecroise toutefois étroitement avec les fractures sociales du pays.
Il serait en effet illusoire de penser que la jeunesse est entièrement acquise à la gauche : la partie de la jeunesse peu ou mal formée et périurbaine ou rurale a plébiscité le RN, qui a obtenu 26 % des suffrages des 18-24 ans ; une autre jeunesse, diplômée, aisée, urbaine et optimiste s’est tournée vers Emmanuel Macron, qui a recueilli 20 % des voix de cette catégorie d’âge. Et le même constat pourrait être fait aussi bien à propos des classes d’âge intermédiaires que des seniors. Ainsi, si la tripartition naissante s’appuie sur trois pôles idéologiques aux électorats clairement segmentés, il n’en est pas de même des catégories générationnelles et sociales dont les comportements électoraux restent relativement hétérogènes. Seule l’articulation entre ces deux dimensions permet de comprendre les résultats de cette élection, et plus largement les évolutions de notre société.
L’âge, couplé à plusieurs variables, crée un effet de génération qui peut se traduire dans le comportement électoral.
Il convient avant tout de distinguer deux éléments : l’effet d’âge et l’effet de génération. La génération, c’est l’histoire de tout un groupe. C’est une socialisation, un contexte social, économique, culturel, international, qui concernera toute une tranche d’âge. C’est le collectif du moment. La génération des Trente Glorieuses (1945-1975), ceux nés dans les années 1940 à 1960 (les baby-boomers), a connu des époques de croissance. Les deux chocs pétroliers vont signer la fin d’une forme d’insouciance et, en 1983, le tournant de la rigueur le confirmera. Ces personnes, aujourd’hui âgées de 60 ans et beaucoup plus, ont été socialisées avec des référents bien différents des générations de leurs enfants et de leurs petits-enfants, les millennials. Ces éléments ont des conséquences sur le vote.
Concernant l’effet d’âge, on peut affirmer que, plus on avance dans la vie, plus le vote se droitise. Les plus âgés n’ont pas très envie de radicalité, de renverser la table. Il y a comme un besoin de stabilité (Emmanuel Macron a fait 71 % chez les 70 ans et plus). Mais, à cet effet d’âge, s’ajoutent d’autres variables : le patrimoine, souvent constitué par exemple, et dans ces générations une croyance religieuse plus vivace. Ce sont ces générations qui font l’élection. Elles s’abstiennent peu, alors que 40 % des moins de 35 ans n’ont pas voté. C’est une fracture civique. N’oublions pas aussi que, chez les plus âgés, subsiste l’idée que le vote est un peu sacré : les femmes ont eu ce droit en 1944, les moins de 21 ans en 1974. Concernant l’orientation du vote, l’effet de génération-socialisation a donc des conséquences. Ceux qui ont 20 ans en 1990 vont devoir affronter ces défis que sont la globalisation et la digitalisation. C’est un monde qui va peu à peu s’ubériser : stress, précarité, peur du déclassement… Cette génération doit apprendre à se débrouiller dans un monde qui s’accélère. Les services publics, les services à la personne sont numérisés.
Les plateformes cassent le collectif et le bien-être au travail. À cela va s’ajouter la question du réchauffement climatique que les plus jeunes, les millennials, ont largement intégrée. Ces derniers parviennent à surmonter la superdigitalisation, et la mondialisation. Nés après 1990, ils n’auront jamais connu les deux Allemagnes et seront nés dans la dynamique de la révolution numérique. Ils vivent certes avec, mais commencent à souffrir d’éco-anxiété.
Ces effets de génération portent par exemple les 18-24 ans à s’intéresser à des programmes façon Mélenchon, les actifs à partir de 24 ans à Marine Le Pen. À chaque génération ses thèmes en quelque sorte. Rappelons tout de même que la jeunesse n’est pas, malgré des tendances, une catégorie homogène. Certains sont très actifs, militent, d’autres nettement moins. Le comportement électoral varie au regard de diverses variables : les études, le milieu… L’âge est une petite partie de l’histoire d’un comportement électoral. L’effet de génération est souvent plus intéressant à décrypter.
[voiraussi: Le vote a-t-il mis en évidence une fracture générationnelle ? | L’Humanité (humanite.fr):lire aussi]
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