« Un professeur devant chaque classe. » En creux, la promesse du ministre de l’Éducation nationale révèle la crise de recrutement du système scolaire. Celle-ci n’est elle-même qu’un signe marquant d’un mal plus profond, structurel, ancré dans les projets macroniens pour l’enseignement.
Emmanuel Macron l’a décrété : c’est « la fin de l’abondance ». On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Dans les écoles et établissements scolaires, c’est sous le signe de la pénurie d’enseignants que 12 millions d’élèves et 1,2 million de personnels de l’éducation nationale font aujourd’hui leur rentrée. Une pénurie qui résulte des décisions du gouvernement lui-même et constitue un signe, le plus visible et le plus inquiétant, d’un système scolaire qui se trouve désormais, comme l’hôpital ou la justice, en état d’urgence.
4 000 postes non pourvus
On le sait depuis les résultats des concours de recrutement 2022 : plus de 4 000 postes d’enseignants (sur 27 300 prévus) n’ont pas été pourvus. C’est, explique-t-on au ministère, le résultat de la « mastérisation » désormais complète du recrutement : les futurs enseignants passent à présent le concours après leur deuxième année de master, et non plus au terme de la première année. Un simple décalage d’un an dans les recrutements, tout devrait ensuite rentrer dans l’ordre, assure-t-on rue de Grenelle.
En attendant, Pap Ndiaye, le ministre de l’Éducation nationale, s’est engagé à ce qu’il y ait bien « un enseignant devant chaque classe » en cette rentrée 2022. La solution : des contractuels. Petites annonces, séances de recrutement express et organisation précipitée de séances de formation pour les heureux élus : les rectorats ont déployé tout l’été une activité frénétique pour tenir à tout prix la promesse du ministre.
Tout au plus s’agit-il de rassurer comme on peut les familles en mettant des adultes dans les classes. » Le Snesup-FSU
Résultat : celui-ci pourra sans doute très vite annoncer que le pari a été à peu près tenu. Mais il se pourrait aussi que la réalité, celle que les élèves, leur famille et les personnels vont recevoir en pleine face, le rattrape.
Exemple : l’académie de Créteil, où il manquait déjà près de 1 000 postes dans le premier degré à l’issue du concours. Un concours supplémentaire devait permettre de recruter 500 enseignants… mais à peine plus de 200 l’ont été. « Dans une académie qui n’arrive déjà pas à remplacer les enseignants absents, commente le syndicat Snuipp-FSU, on peut difficilement croire que (…) toutes les classes auront un professeur formé à la rentrée. » D’autant qu’on y peine à recruter des contractuels, qui sont déjà plus nombreux que dans les autres académies…
329 000 enseignants à embaucher d’ici à 2030
Le Snesup-FSU, syndicat du supérieur où se retrouvent une partie des formateurs des futurs professeurs, résume : « La meilleure volonté au monde et quelques heures de formation express ne sauraient permettre à quiconque d’assurer un enseignement digne de ce nom. Tout au plus s’agit-il de rassurer comme on peut les familles en mettant des adultes dans les classes. » L’inquiétude porte aussi sur le fait que nombre de ces « néo-enseignant
Affichage et bricolage seraient donc les deux mamelles de la première rentrée de Pap Ndiaye. « Va-t-on recruter, durablement et sur concours, des professeurs bien formés ? » insiste Sophie Vénétitay, cosecrétaire générale du Snes-FSU (second degré). L’enjeu n’est pas mince puisque, comme l’a rappelé en juin une étude de France Stratégie, pour simplement compenser les départs en retraite, il va falloir embaucher 329 000 enseignants d’ici à 2030 – autrement dit, demain.
« Ce n’est pas en passant des annonces sur LeBonCoin qu’on va y arriver ! » brocarde la syndicaliste. Ni même en organisant un concours exceptionnel pour les contractuels, annoncé par le ministre – et circonscrit, en outre, au seul premier degré.
Plus aucun professeur à moins de 2 000 euros ?
Le fait est que, sous le ministère Blanquer, tant le recours aux contractuels que le nombre de postes laissés vacants à la rentrée (+ 25 % entre 2018 et 2021, et 7 900 suppressions de postes en cinq ans) n’ont cessé de s’accroître. La situation en cette rentrée aurait donc pu, et dû, être anticipée. Elle ne l’a pas été. Difficile de ne pas y voir la traduction d’une volonté politique, inavouée mais déjà observée et mise en œuvre dans nombre de grands services publics : recourir de moins en moins à des embauches de personnels formés et sous statut et de plus en plus à des personnels précarisés, déqualifiés. C’est déjà le cas pour des professions comme les assistants d’éducation (AED) ou les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), dont les statuts et rémunérations les laissent le plus souvent en dessous du seuil de pauvreté.
Lire ce témoignage : Elles fuient les ondes dans une grotte du Vercors
C’est donc le problème global de « l’attractivité » des métiers de l’éducation nationale qui doit être posé. Un problème qui trouve sa source dans la double dévalorisation, financière et sociale, dont ils sont l’objet.
Sur le plan financier, la hausse de 3,5 % du point d’indice depuis cet été, après dix années de gel, constitue une première victoire. Mais elle ne compense même pas l’inflation, attendue bien au-dessus de 5 % cette année. Des promesses – floues – ont été faites, tant par le ministre que par Emmanuel Macron lui-même : une hausse de 10 % pour tous, mais sans aucun calendrier ; et plus aucun professeur à moins de 2 000 euros mensuels en début de carrière. Un niveau de rémunération qui n’est atteint aujourd’hui qu’après plus de dix années de carrière, ce qui pose la question de la revalorisation de tous pour que les enseignants français cessent d’être parmi les plus mal payés en Europe.
Extension de l’« expérimentation marseillaise »
Manque de considération, prof-bashing, matraquage des réformes Blanquer accroissant la perte de sens ressentie par un nombre de plus en plus grand de personnels, management vertical, souffrance au travail… le versant social, sociétal et humain de la dévalorisation des métiers de l’éducation nationale est désormais bien documenté.
Ces derniers mois, c’est le blocage quasi total – causé par le manque d’enseignants – du système des mutations, aboutissant à des situations familiales et humaines parfois dramatiques, qui est sur le devant de la scène. C’est aussi une part non négligeable de ce qui fait qu’on se refuse à entrer dans l’éducation nationale, ou que l’on se décide à la quitter, accroissant autant les besoins en recrutement que la difficulté à les satisfaire. Un cercle vicieux que ni les discours, ni les projets macroniens pour l’école ne risquent, hélas, de briser.
Car, coupant l’herbe sous les pieds de Pap Ndiaye, le président de la République s’est une fois de plus chargé lui-même de confirmer, devant les recteurs, les annonces faites avant l’élection présidentielle. Un « fonds d’innovation » doté de 500 millions d’euros (sur cinq ans) viendra financer certains projets – pas tous – élaborés par des écoles ou établissements, y compris dans le cadre des « grands débats » localisés qui doivent s’organiser, à partir de cet automne, avec « tous les acteurs de l’école ».
Une extension de l’« expérimentation marseillaise », mêlant autonomie et contractualisation, qui suscite de très nombreuses inquiétudes : mise en concurrence des établissements entre eux, accroissement des inégalités et même privatisation rampante. Ce sera en effet le cas quand nombre de domaines (lutte contre le décrochage, soutien scolaire…) seront « sous-traités » à des opérateurs associatifs et/ou privés.
De fortes craintes dans l’enseignement professionnel
C’est aussi la crainte qui habite très fortement l’enseignement professionnel. Celui-ci se voit promis à une nouvelle « grande réforme » qui l’éloignerait de ses objectifs républicains : ouvrir l’avenir des enfants des couches populaires en leur donnant accès à une vraie formation de travailleur et de citoyen.
Voir aussi :Lycée professionnel : le sens d’un remaniement
En doublant les temps de stage et en appauvrissant d’autant les enseignements généraux, en poussant de plus en plus de jeunes vers l’apprentissage (qui, bien que sélectif, connaît un taux d’abandon moyen de 40 %), la filière « pro » n’aurait plus pour fonction que de répondre aux besoins en emplois à court terme des patronats locaux.
Ainsi, du primaire au lycée, se dessine « un service public émietté, dont les principes fondamentaux, comme l’égalité, sont battus en brèche », déplore Sophie Vénétitay. « Un projet structurel qu’il faut combattre », selon elle, et qui fait de cette rentrée « un moment charnière pour l’avenir de l’école ». Les syndicats de l’éducation (FSU, Solidaires, CGT, peut-être rejoints par d’autres) se sont déjà donné rendez-vous le 29 septembre, à l’occasion de la journée d’action interprofessionnelle sur les salaires.
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