Le rapport de l’Inspection générale de l’administration sur les subventions accordées à un projet mené par Mohamed Sifaoui a provoqué la démission du préfet Christian Gravel. La ministre, qui aurait joué l’intermédiaire entre ces deux personnes, reste en poste.
Marlène Schiappa pourra-t-elle longtemps rester ministre ? Le rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA), publié mardi soir, accable l’appel à projets «ni transparent ni équitable» mis en place à la demande de la ministre de la Citoyenneté d’alors.
Il avait pour but, au printemps 2021, d’attribuer les 2,5 millions d’euros du Fonds Marianne, débloqués après l’assassinat de Samuel Paty pour, officiellement, combattre la propagande islamiste en ligne. Conséquence directe de ce rapport : le préfet Christian Gravel, qui était chargé de son attribution, a démissionné de ses fonctions à la tête du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation.
Au cœur de l’enquête de l’IGA, la subvention de 355 000 euros dont a bénéficié une association, l’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire (l’USEPPM), et un projet mené par Mohamed Sifaoui, ex-journaliste controversé, promoteur d’une vision de la laïcité proche de celle de Manuel Valls, Jean-Michel Blanquer ou encore… Marlène Schiappa.
Sébastien Jallet très flou pendant son audition
« Le dossier de candidature de l’association a été transmis, pour être initialement financé dans un autre cadre, dix jours avant l’appel à projets», s’étonne l’IGA. C’est là que le rôle de la ministre pose question. Selon Christian Gravel lui-même, auditionné par la commission d’enquête sénatoriale le 17 mai, il a appris que «cette association allait pouvoir bénéficier du Fonds Marianne après un appel de M. Sifaoui qui me dit sortir d’un rendez-vous (avec) la ministre, qui lui parle du Fonds Marianne, lui faisant comprendre qu’il y avait toute sa place ».
Marlène Schiappa a-t-elle ainsi favorisé Mohamed Sifaoui et promis une subvention – la plus importante attribuée dans ce cadre – avant même que le Fonds Marianne ne soit créé ? Son ancien directeur de cabinet, Sébastien Jallet, a assuré au Sénat, mercredi, que « la ministre n’a pas reçu M. Sifaoui à (sa) connaissance ». Mais il a reconnu que, de la part de ses collaborateurs, « il y a eu une incitation à envisager un projet associatif pour recevoir un soutien financier ».
Pendant cette audition tendue, l’ancien bras droit de Marlène Schiappa a par ailleurs été très flou sur une réunion du 13 avril 2021, pendant laquelle la demande de subvention de l’USEPPM a été étudiée, et qui n’a fait l’objet d’aucun compte rendu. « Je vous redis ma surprise, sur un sujet comme celui-ci, de l’absence de traces de cette réunion, a alors insisté le rapporteur de la commission, Jean-François Husson. Dans l’exigence de transparence et au vu des annonces autour de ce projet porté sous les feux de l’actualité, ça m’étonne. »
100 000 euros d’abord attribués à SOS Racisme, avant d’être retirés
L’attitude de la ministre, qui a porté dans les médias la création du Fonds Marianne avant de laisser ses équipes se charger de son suivi, interroge également la commission d’enquête. « Le cabinet de la ministre suivait de très près, sans s’en mêler… La ministre n’y était plus (dans les instances décisionnaires – NDLR) mais on comprend qu’elle y est encore après l’attribution des dotations… », a commenté Jean-François Husson, mercredi. Le rapporteur fait ici référence à la dotation de 100 000 euros d’abord attribuée à SOS Racisme, avant d’être retirée par Marlène Schiappa elle-même qui a « arbitré des débats au sein de la commission », selon Sébastien Jallet.
Autre fait troublant pointé à la fois par l’IGA et les sénateurs : comment l’USEPPM et Mohamed Sifaoui ont-ils pu bénéficier d’une enveloppe aussi importante ? Ce alors que la structure « n’était pas éligible au bénéfice d’un financement tant du fait de son objet que des manquements dans ses obligations déclaratives », selon le rapport publié le 6 juin. L’audition du président de l’USEPPM, Cyril Karunagaran, la semaine dernière, a d’ailleurs confirmé que l’association n’avait jamais, auparavant, travaillé sur les questions de « contre-discours républicain », censé combattre en ligne l’idéologie islamiste. Ou encore que son budget annuel de 50 000 euros ne l’a pas empêchée de candidater à une subvention de 1,5 million d’euros sur trois ans, finalement considérablement réduite.
Marlène Schiappa a peu réagi depuis deux mois, se contentant de dénoncer des « calomnies »
Cyril Karunagaran a avoué à cette occasion que c’est Mohamed Sifaoui qui a d’abord contacté sa structure pour que celle-ci porte son projet de vidéos en ligne, baptisé iLaïc. L’association aurait-elle servi de simple véhicule juridique à ce dernier afin de bénéficier de subventions publiques ? Voire dans un objectif d’enrichissement personnel ? Car, selon les enquêtes de France 2 et de Marianne, à l’origine du scandale, 120 000 euros, un tiers de la subvention, ont servi à rémunérer Cyril Karunagaran et Mohamed Sifaoui.
Ce dernier recevant des salaires entre 3 280 et 3 500 euros net, parfois à deux ou trois reprises dans le même mois, selon les comptes bancaires de l’association consultés par les journalistes. Le reste de la dotation a servi à la production d’une petite centaine de vidéos très peu vues, ou encore à quelques publications sur les réseaux sociaux. «L’utilisation faite de la subvention reçue par l’USEPPM n’a pas été conforme aux objectifs fixés», confirme le rapport de l’IGA.
Marlène Schiappa n’a que très peu réagi depuis deux mois sur l’affaire, se contentant de dénoncer des « calomnies » et jugeant « infamant de (l)’accuser de copinage ». La semaine prochaine, elle sera auditionnée par la commission d’enquête sénatoriale . Elle devra, au minimum, dire si oui ou non elle a incité Mohamed Sifaoui – qui sera également entendu – à demander des subventions, pour des résultats quasi inexistants.
Les questions ne s’arrêteront pas là. D’autant que les choix très idéologiques des lauréats du fonds de dotation interrogent aussi les sénateurs. Une structure s’est vu refuser des subventions car son « positionnement est explicitement en opposition avec la ligne gouvernementale ». Une autre, sans expérience, a fini par produire des vidéos renvoyant dos à dos la gauche et l’extrême droite tout en plaçant Emmanuel Macron dans le « camp de la raison ». Ces attributions vont rapidement faire l’objet d’un nouveau rapport de l’IGA. L’affaire du Fonds Marianne est loin d’être finie. Et la démission du préfet Gravel n’en est que la première conséquence.
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