Après plus de dix-neuf années de travail et d’engagement au Théâtre la Belle Étoile, la compagnie se voit évincée par la municipalité socialiste. Retour sur les prémices de ce lieu singulier.
Les comédiens du théâtre la Belle Étoile s’activent. Sous sa veste violette, une technicienne empile des chaises avant de réparer des spots lumineux. Au-dessus de sa tête s’étend une guirlande qui éclaire de tout son long un drapeau rouge ainsi qu’une pancarte où est inscrite « Une seule patrie : l’humanité ! ». De l’autre côté, un bar tapissé de photographies, de tracts, d’un portrait de Louise Michel, d’une bande dessinée sur Madeleine Riffaud. Accoudée au comptoir, une comédienne sert des cafés à ses collègues et amis de la compagnie Jolie Môme. Comment croire que ce théâtre aussi vivant était autrefois une salle des fêtes en ruines ?
« En 2004, quand Jolie Môme est arrivée à Saint-Denis, le bâtiment était aussi délabré et laissé à l’abandon que le quartier. Le pire, c’était le sous-sol », explique le fondateur de la compagnie, Michel Roger. Matelas et seringues jonchaient le parquet craquelé. « On a nettoyé toute la crasse de cet ancien squat avec nos mains », continue l’homme au feutre gris en arpentant le tiers-lieu. Du hall d’entrée à la salle de représentation, tout a été refait à neuf et transformé en théâtre. Un travail titanesque, réalisé par la compagnie.
Seule une petite partie des loges reste à rafraîchir, ce qui permet de constater le travail monumental des rénovations : le mur y est mangé par le salpêtre, un robinet jaillit d’entre deux plinthes. Michel s’assoit devant un établi en bois où reposent des trousses à maquillage et une dizaine de miroirs. « Progressivement, nous avons pris possession du lieu et on l’a baptisé la Belle Étoile. »
Un travail de près de deux décennies anéanti
Après plus de dix-neuf années de scènes et de chants dans ce théâtre, la compagnie est forcée de quitter les lieux qu’elle a pourtant construits de ses mains. Mathieu Hanotin, le maire de Saint-Denis, explique au téléphone avoir remis le bail en concurrence, parce qu’il arrivait à son terme. « Mes prédécesseurs avaient fait cette même procédure, mais sans publicité. Donc, le seul candidat avait été Jolie Môme », argumente-t-il, en se défendant de les « dézinguer ».
Jolie Môme avait déjà été débarquée, en 2004, de ses locaux parisiens. « Heureusement, nous avons été accueillis à bras ouverts par une mairie communiste bienveillante qui nous a laissé une indépendance totale. » Entre un jardin public et une école, la troupe œuvre en plein milieu d’un quartier populaire pour développer l’action culturelle. Un travail de près de deux décennies anéanti par la décision du maire socialiste de Saint-Denis. Selon un article de l’Obs, Mathieu Hanotin ne condamne pas le traitement de la politique au sein des pièces de théâtre, mais reproche à la Belle Étoile de devenir un lieu militant et d’avoir organisé une soirée de soutien au peuple de Gaza massacré sous les bombes.
Au téléphone, Mathieu Hanotin argumente : « Être une compagnie engagée, ce n’est pas un passeport d’immunité pour tout. Il faut du spectacle de qualité, de la diversité. C’est bien » la philosophie rouge et noire « mais ce n’est pas le cas de tout le monde dans un quartier. » Il raconte avoir senti « de la défiance » de la part de la compagnie. Et reproche surtout à Jolie Môme de considérer le théâtre, qu’elle a bâti, rappelons-le, « comme sa propriété ». « Et ça, ce n’est jamais bon. Ce lieu appartient aux Dyonisiens », il veut donc « le leur rendre ». On pourrait répliquer qu’on n’est pas débordés par cette philosophie « rouge et noire » en 2023, qu’importe : il y a peu du fait du prince dans cette affaire.
Contraints de laisser les souvenirs derrière eux
Devant l’édifice, quelques individus déambulent. D’un signe de tête, ils saluent la Belle Étoile avant de tracer leur chemin. C’est la compagnie le Troubadour des Limbes, virée de son lieu au cœur de Paris à la suite d’une opération immobilière, qui a été choisie pour s’installer dans les locaux de la Belle Étoile. Le maire assure avoir pris le « meilleur dossier ». Quitte à interrompre en plein milieu de la saison théâtrale le contrat de Jolie Môme au profit d’une autre compagnie, elle-même virée de son théâtre. N’est-ce pas déshabiller Paul pour habiller Jean ? La mise en concurrence a un relent amer.
Essayant de ne pas y prêter attention, Michel arpente l’avant-scène de spectacle. Des chaises s’entrechoquent, une échelle est posée contre le mur, les palettes de bois craquent sous les pas. Chaque acteur entre dans la danse des préparations : tout doit être prêt pour « Hyper Nova », le week-end de solidarité à Jolie Môme, les 15, 16 et 17 décembre. « C’est la première fois qu’on organise un cabaret politique pour nous-mêmes ! » lance une voix à travers la pièce. André Chassaigne (PCF), Nathalie Arthaud (LO), Olivier Besancenot (NPA), François Ruffin (FI) sont attendus… Politiques, artistes, journalistes et intellectuels seront présents pour soutenir la troupe.
Pas à pas, la salle se transforme. Une ébauche de prospectus de l’événement traîne sur une table : « Formidable élan de solidarité de tous nos camarades artistes et techniciens qui viennent tous bénévolement ! » Après avoir passé une rangée d’affiches, dont une lettre de la Commune de Paris adressée aux électeurs parisiens, le fondateur de la compagnie poursuit sa visite en direction du sous-sol. Des cartons débordent de tissu, des rangées de cintres portent fièrement les costumes, un atelier de peinture sur tee-shirts à vendre au public, un piano laissé à l’abandon, des casques à pointe, une vieille horloge… Même si les membres de la troupe expliquent ne pas s’attacher aux souvenirs, le théâtre regorge de vestiges du passé. Ici, une photographie de Michel à ses débuts, accordéon rouge en main : il a fait ses débuts d’acteur-musicien dans la rue. Là, une image d’adaptation de l’Exception et la Règle, un récit de lutte des classes de Bertolt Brecht. Sourire aux lèvres, l’homme au chapeau aime raconter les mises en scène qu’il a imaginées.
Flo, comédienne de Jolie Môme, s’attriste de laisser cette partie de leur histoire derrière eux. La Belle Étoile est bien plus qu’un théâtre, c’est un lieu de rencontre, « un trait d’union » comme elle aime l’appeler, où s’exerce un véritable combat politique et social. La troupe négocie encore avec la municipalité un délai avant l’ordre de partir fixé au 31 décembre. Quel sera l’avenir de ces artistes militants ? Personne ne le sait. « Il n’est pas évident pour des municipalités de nous trouver au moins 700m². Matériel, bureau, cuisine, salon… explique Michel Roger. Comme tous les intermittents, nous souhaitons simplement une salle pour répéter. » Flo, pull à l’effigie de Lili Brick, l’emblème de Jolie Môme, tempête : se séparer d’un partenaire historique aussi rapidement ne laisse guère le temps pour trier, vider et transporter l’entièreté du matériel. Même si, assure le maire, il a été proposé à la compagnie de prendre en charge le déménagement. Mais pour aller où ? Et quid des représentations prévues pour 2024 Jolie Môme et des troupes accueillies ?
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