Les témoignages se multiplient sur les sévices et les traitements inhumains infligés par l’armée israélienne à des milliers de civils victimes d’arrestations arbitraires.
Le 16 décembre, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme révélait avoir reçu « de nombreuses informations inquiétantes » du nord de Gaza faisant état « de détentions massives, de mauvais traitements et de disparitions forcées » qui concerneraient des milliers de Palestiniens, dont des mineurs. Depuis, ces arrestations arbitraires se sont multipliées, du nord au sud du territoire palestinien. Difficile d’en évaluer le nombre exact. Certains ont été relâchés.
Wadjeeh Abou Zarefah, Sherin Abou Hawar et Saed Abou Zarefah, journalistes palestiniens, les ont rencontrés. Ils racontent en exclusivité pour l’Humanité le calvaire subi pendant des jours et des jours. Un mois et demi pour l’un d’entre eux, pédiatre dans un hôpital.
Mais beaucoup d’autres ont disparu. Les autorités israéliennes refusent de communiquer à leur sujet au mépris de toutes les règles de droit. Le 20 décembre dernier, Amnesty International insistait dans un communiqué : « Il faut enquêter sur les disparitions forcées et les traitements inhumains infligés aux détenus palestiniens de Gaza. »
L’armée israélienne pratique la déshumanisation totale. Toute une population est considérée comme coupable. Les 125 otages israéliens encore détenus par le Hamas doivent être libérés ; il en est de même des 7 000 prisonniers palestiniens dont certains sont enfermés depuis plus de vingt ans. C’est le cas de Marwan Barghouti et Ahmad Saadat.
« Ils nous ont traités comme un troupeau de moutons » : Docteur Saeed Abdulrahman Maarouf, 60 ans, enfermé pendant quarante-cinq jours
Le docteur Saeed Abdulrahman Maarouf est un homme de 60 ans au visage pâle. Ce pédiatre travaillait depuis vingt-trois ans à l’hôpital Kamal Adwan de Jabalya (au nord de la ville de Gaza), qu’il a dû évacuer avec l’arrivée des troupes israéliennes. Il s’est alors rendu au centre al-Ahli de Khan Younès pour « remplir (son) rôle humanitaire dans cet établissement bombardé auparavant et où plus de 500 personnes avaient été tuées et blessées ».
Mais, fin janvier, il a été rattrapé par les soldats, arrêté avec son équipe bien qu’il ait décliné son identité et sa profession. « Les chars ont encerclé l’hôpital et les soldats nous ont fait mettre par rangées, une pour les hommes, une pour les femmes et les enfants. Ils nous ont traités comme s’ils traînaient un troupeau de moutons, alors que je leur ai dit que j’étais médecin, un civil, non armé, et que je travaillais ici à l’hôpital, mais ils ne se souciaient pas du tout de ce que je disais. Ils m’ont battu et jeté au sol. »
Le sexagénaire est resté ainsi enfermé pendant quarante-cinq jours, déplacé trois fois sans jamais parvenir à savoir s’il se trouvait encore dans la bande de Gaza ou en Israël. « Au cours des vingt-cinq premiers jours, nos corps n’ont jamais touché l’eau, sauf la pluie si elle tombait alors que nous étions à l’air libre. Même lorsque nous allions aux toilettes, nous n’avions pas le droit d’utiliser de l’eau. »
Le Dr Saeed essaie de sourire et de cacher la colère qui l’étreint. Il se remémore ce moment où on les a obligés à se déshabiller, où on leur a mis des menottes si serrées que le sang parvenait à peine à irriguer les doigts. Il frissonne encore en pensant à ces « deux jours dans le froid et à l’air libre, sans vêtements, les mains entravées, les yeux bandés, sous les coups et les insultes les plus sales, les plus humiliantes visant nos mères, nos épouses et nos sœurs avec des mots obscènes et indécents ».
Le médecin est accusé de pactiser avec le Hamas et traité de « terroriste qui devrait être tué ». Dans sa mémoire, un flash soudain, comme une image subliminale gravée à jamais. « Ils nous ont interrogés sur des choses dont nous ne savions rien. Où sont les prisonniers ? Où sont les tunnels de l’hôpital ? Où sont les dirigeants ? » Dans l’incapacité de répondre, il était de nouveau battu « plus durement et plus violemment », surtout s’il osait protester.
Comme tous, il a passé des nuits sans sommeil, à même le sol, nu, de nouveau humilié par des soldats qui pourraient être ses enfants. De ses blessures, il n’aura rien dit. Il ne veut pas laisser sourdre sa douleur, physique et morale.
« Ils me frappaient avec leurs armes et leurs tuyaux qui me brisaient le corps » : Muhammad Abu Musa, 30 ans, emprisonné quinze jours
Muhammad Abu Musa a tout juste 30 ans. Le corps maigre, les mains bleuâtres, les pieds anormalement gonflés, il apparaît comme handicapé, peine à se mouvoir et à se déplacer, conséquence de deux semaines de détention entre les mains des soldats de l’armée israélienne.
C’était vers la fin janvier. Il ne se souvient plus très bien de la date tant les jours se succèdent, identiques, faits de bombardements et de peur. Il se trouvait dans le quartier d’Al-Amal, à Khan Younès qu’il n’a pas quitté depuis le début de la guerre. Jusqu’à ce que l’armée arrive. « Moi, mon frère, mon beau-frère, nos femmes et nos enfants étions assis dans notre maison comme n’importe quelle famille. Soudain, on a entendu des chars, puis, très vite, des soldats sont entrés chez nous. » Les hommes sont mis d’un côté, les femmes de l’autre. Le début du calvaire pour Muhammad et les siens.
On les fait se déshabiller immédiatement, histoire de les humilier. « Pendant les quatre premiers jours, les soldats israéliens nous ont laissés dans le froid alors que la pluie tombait dru », se souvient-il avec encore un tremblement dans la voix.
À ce moment-là, il ne sait pas ce qui va lui arriver. D’autant que les coups tombent, dru, eux aussi. Le tabassage est incessant, accompagné des pires insultes. Lui et ses compagnons d’infortune sont ensuite transférés dans une prison, sans doute en territoire israélien, mais le jeune homme est incapable de situer l’endroit.
Là, on lui donne une espèce de survêtement léger qu’il ne quittera plus et qu’il porte encore. Il n’a plus rien. Chez lui, tout a été dévasté par la soldatesque. « Même les animaux ne sont pas traités comme ils l’ont fait avec nous », dénonce-t-il. Il parle des coups donnés avec la crosse des fusils puis avec le canon quand ce n’était pas avec des tuyaux en fonte. Résultat, Muhammad a plusieurs côtes cassées et des stigmates sur tout le corps.
Les séances d’interrogatoire qu’il décrit sont terribles. « Ils nous faisaient dormir sur du gravier qui nous déchirait le ventre. Nous n’avions pas le droit de changer de position. Ils mettaient leurs pieds sur notre corps et sur notre tête, demandaient où était la résistance, où étaient les otages. Quand je répondais “je ne sais pas”, ils me battaient sévèrement en me piétinant encore la tête, en me frappant avec leurs armes et leurs tuyaux qui me brisaient le corps. » Les premiers jours de détention, interdiction d’aller aux toilettes. « Pissez sur vous ! » leur ordonnaient les soldats. Ensuite, ils y avaient droit une fois tous les deux jours. Comme pitance, un morceau de pain et du fromage. Parfois une boîte de thon.
Pendant tout ce temps, ses yeux étaient bandés – « si on bougeait le bandeau, ils menaçaient de nous tuer » – et ses mains attachées si fortement que ses poignets ont été entaillés. Libéré au bout de deux semaines, il lui faudra encore marcher deux kilomètres avant de retrouver le Croissant-Rouge et rejoindre l’hôpital al-Najjar. Muhammad pleure et essaie de cacher ses larmes. « Même dans mes pires cauchemars, je n’aurais pensé vivre des moments pareils. Tout mon corps me fait mal. » Muhammad en tremble encore.
« Ils nous ont uriné dessus » : Mahmoud Hussein Salem, 25 ans, emprisonné 6 jours
Seuls ses cheveux d’un noir de jais trahissent sa jeunesse. Les joues de Mahmoud Hussein Salem, 25 ans, sont creuses et son corps maigre. Sa main est enflée. Très enflée. La trace de son passage dans les griffes de l’armée israélienne.
À la fin du mois dernier, face au danger et aux explosions quotidiennes, sa famille décide, comme beaucoup d’autres, de quitter le quartier d’Al-Amal, à Khan Younès, pour se rendre à l’hôpital al-Aqsa. Ses parents considèrent qu’il s’agit d’un établissement de santé et que les soldats israéliens n’y entreront pas. Las, la suite a montré que c’était une erreur. Dans la bande de Gaza, tout est ciblé, rien n’est respecté. Pas plus les hôpitaux que les écoles, les universités, les sites culturels ou les édifices religieux.
Ce jour-là, Mahmoud Hussein Salem se trouvait justement dans l’enceinte de l’hôpital al-Aqsa lorsque, soudain, les uniformes kakis israéliens sont apparus. « Ils nous ont crié d’approcher en arabe. Ils nous ont fait enlever tous nos vêtements, nous ont attachés et, les yeux bandés, traînés dans une zone voisine. » Ils ont tous été battus puis laissés allongés, sur le ventre, en plein air pendant deux jours.
Revêtu de « vêtements en Nylon qui ressemblaient à un sac », il est ensuite transféré dans un autre endroit. « Ils m’ont jeté, avec les autres, dans la benne d’un camion et nous ont uriné dessus. » Arrivé à destination, Mahmoud Hussein est de nouveau frappé. Là, les soldats pratiquent des simulacres d’exécution, accusant les prisonniers palestiniens d’avoir tiré sur eux. Puis, entre deux interrogatoires, les séances de tabassage reprennent. « Ils nous poussaient sans cesse des questions sur les otages et sur le Hamas. Alors que nous étions attachés et les yeux bandés, ils s’approchaient de nous et menaçaient de lâcher les chiens. »
Dans le bâtiment transformé en prison, ils sont une centaine à être entassés dans une pièce de moins de 100 m2. « Je n’ai pas utilisé les toilettes pendant quatre jours. Nous dormions collés les uns aux autres pendant quelques heures seulement, puis les soldats venaient nous marcher dessus et nous forçaient à rester sur le ventre, nus. »
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