Sur fond de coupes budgétaires massives, les nouveautés de cette année (éducation à la sexualité, tests de forme physique, mathématiques) ne semblent pas estomper le malaise enseignant.

© Stephane AUDRAS/REA
Recruter des enseignants est aujourd’hui difficile. Il faut en finir avec la dégradation des conditions de travail et redonner du sens au métier.
Igor Martinache, Sociologue et auteur
C’est un fait bien connu : le nombre de candidat.es aux concours de recrutement de professeur.es de collège et lycée ne cesse de diminuer, tandis qu’augmente, quoique dans des proportions bien plus restreintes, le nombre de démissions dans leurs rangs. En découlent des difficultés à pourvoir les postes disponibles qui se font au détriment des élèves, à commencer par les plus défavorisés.
Loin de rester les bras ballants, l’État a d’abord tenté de pallier cette « pénurie » par le recrutement de plus en plus massif d’enseignant.es contractuel·les aux profils très divers, mais qui ne sont souvent pas placé·es dans des conditions optimales pour effectuer leur travail correctement, chargé.es qu’elles et ils sont de boucher les trous. Plus récemment, le gouvernement a décidé de remettre le concours au niveau de la licence (bac + 3).
Les lauréat·es devraient ensuite compléter un master en deux années au cours desquelles elles et ils enseigneraient à temps partiel et seraient rémunéré·es en contrepartie d’un engagement de quatre ans. Au-delà des débats légitimes entraînés par cette énième réforme du recrutement des professeur.es, il importe de s’interroger sur le diagnostic sous-jacent à la perte d’attractivité du métier d’enseignant·e. Tout d’abord, il importe de souligner que celle-ci est loin d’être propre à la France, même si le décrochage des rémunérations y est marqué.
Leur revalorisation tout au long de la carrière apparaît ainsi constituer une condition nécessaire mais non suffisante. Alors même que leur niveau d’études n’a cessé de s’élever, les enseignant·es français sont mal loti·es, non seulement au regard de leurs homologues à l’étranger, mais aussi des titulaires d’un master en France.
Plutôt qu’une revalorisation générale, le gouvernement a mis en place un « pacte enseignant » octroyant une indemnité supplémentaire en échange de l’effectuation de missions complémentaires de diverses natures pour les volontaires. Loin de résoudre le problème, cette réforme a favorisé par endroits un certain clientélisme, et partout accru la défiance entre les professeur·es et leur hiérarchie.
Cette mise en œuvre du slogan sarkozyste « travailler plus pour gagner plus » constituait du reste une marque de mépris additionnelle de la part du ministère à l’égard de ses agents, suggérant qu’elles et ils ne travaillaient pas assez et pouvaient encore effectuer des tâches. Plutôt que d’aligner les rustines, un travail de fond doit être mené sur deux fronts.
D’une part, cela doit concerner les conditions de travail qui se dégradent du fait des réformes récentes (structure, programmes, formation continue, etc.) qui réduisent les marges de manœuvre des enseignant·es tout en intensifiant la compétition. D’autre part, cela doit aborder l’image du métier. Vaste programme, qui commence par (re) faire confiance à l’école et à ses agents et leur permettre de retrouver le sens de leurs missions, au-delà du tri social des élèves.
Une nouvelle ambition pour l’école doit s’appuyer sur les professeurs toujours mieux considérés, et des élèves comme citoyens de demain.
Bertrand Gaufryau, Directeur de lycée agricole
La grande nouveauté de cette rentrée sera « un programme ambitieux : éduquer à la vie affective et relationnelle, et à la sexualité ». Voilà la grande affaire de la rentrée avec encore la mise en place d’une épreuve anticipée de mathématiques en classe de première. Mais quid du bilan des stages mis en place à la fin du cycle de bac professionnel ou de cours afin de préparer les mêmes élèves à l’enseignement supérieur ?
Pas un mot… ou si peu et plutôt réservés sur ce dispositif « pensé » en haut afin de faire travailler davantage les professeurs en « externalisant une durée plus longue de scolarisation des élèves ». Finalement, la rentrée sera sans saveur. Elle aura le goût amer d’un « revenez-y » à reculons ! En effet, de nouveaux contenus, une nouvelle « couche » et quelques aménagements à la marge !
Un prolongement de cette « école de la confiance » non envers ceux qui la vivent mais ceux qui la décident sans véritablement la connaître. Mais la véritable question de fond n’est pas abordée : instruire ou éduquer ? Là est l’un des défis majeurs que nous avons à relever collectivement, que l’école se doit de relever en « risquant la prudence » comme l’écrit la philosophe Catherine Van Offelen.
Tous les plans qui s’enchaînent sur la santé mentale, l’éducation à la sexualité, au harcèlement, au réchauffement climatique constituent un mélange détonnant de questions éducatives mais aussi d’instruction sans qu’une réflexion n’ait été engagée sur ce qui relève de la sphère scolaire et ce qui pourrait, devrait relever de la famille, du temps hors scolaire.
Instruire et éduquer doit être une vraie ambition pour l’école et permettre à la fois de donner les compétences à tous les élèves sans négliger l’égalité des chances chère aux pères fondateurs de l’école de la République. Ainsi les promesses non d’un ascenseur social mais plutôt d’un escalier qui permet à chacun de monter les marches les unes après les autres pourront s’avérer autre chose qu’un mirage. Parce que c’est cela un projet ambitieux pour l’école en s’appuyant sur des professeurs toujours mieux formés, considérés, tournés vers la maîtrise des outils de demain comme ceux de l’intelligence artificielle.
Ainsi l’école deviendra non un sanctuaire mais une agora, un lieu carrefour de la dispense des savoirs, de la rencontre des intelligences, de l’inclusion et des mixités sociales et scolaires, du bien-être des élèves et de l’autorité des maîtres, de l’émancipation pour aider les élèves à devenir les citoyens de demain ; tout simplement une école qui rime avec espoir, ouverture et non peur et repli sur soi.
Alors oui, risquer la prudence sera un des chemins pour que l’école puisse retrouver toute sa place au cœur de la société au regard de la situation budgétaire. Le cadre contraint appelle à une véritable réforme d’un système éducatif à reconquérir pour le meilleur des élèves, des étudiants, des professeurs et au bénéfice du bien commun.
Pour aller plus loin
Enseignants : le grand déclassement ? dirigé par Géraldine Farges et Igor Martinache, PUF, 2025.
Petit éloge d’une école qui va bien, de Bertrand Gaufryau, éditions le Temps d’un roman, 2024.
En savoir plus sur MAC
Subscribe to get the latest posts sent to your email.