À Tarascon-sur-Ariège, la Confédération Paysanne et la Coordination Rurale dépassent leurs différences pour s’opposer au protocole d’abattage systématique lié à la dermatose nodulaire contagieuse (DNC). Déçus par les rencontres syndicales avec le premier ministre « sans avancées significatives », les paysans ariégeois ont décidé de maintenir le blocage de cet axe stratégique de la RN20.

À Tarascon-sur-Ariège, les paysans ne lèveront pas le camp d’aussi tôt. Reçus ce vendredi à Matignon par le premier ministre Sébastien Lecornu, les syndicats agricoles espéraient une inflexion du protocole sanitaire lié à la dermatose nodulaire contagieuse (DNC). Ils en sont ressortis amers. Si le gouvernement ne renonce en aucun cas au protocole actuel qui prévoit le « dépeuplement » (abattage) des troupeaux dès qu’une bête est atteinte, il souhaite accélérer la vaccination. « Près de 50 % du cheptel ariégeois est vacciné contre la DNC. Dans l’Aude, nous dépassons les 70 %, tandis que 100 % du cheptel est protégé dans les Pyrénées-Orientales. Au total, près d’un bovin sur cinq est vacciné dans les dix départements » du Sud-Ouest concernés par les mesures contre la DNC, se félicitait samedi Sébastien Lecornu.
Dans un courrier adressé aux syndicats agricoles, le premier ministre a indiqué avoir « demandé aux préfets d’interrompre tout contrôle d’agents de l’État dans les exploitations » en attendant de rencontrer de nouveau les représentants des agriculteurs « dans les premiers jours du mois de janvier ».
Le choc de l’abattage massif
Une tentative de désamorçage à peu de frais : « Il n’y a pas d’avancée significative, ni sur l’élargissement de la vaccination, ni sur l’abandon de l’abattage total, qui est maintenu », déplore Laurence Marandola. Au « carrefour des vallées » occupé jour et nuit depuis plus d’une semaine, la mobilisation a pris une forme rare. Autour des tracteurs, des palettes, du foin et des barnums, la Confédération paysanne et la Coordination rurale, dont les positions s’opposent habituellement, se retrouvent côte à côte. « Si aujourd’hui tout le monde est là, c’est qu’il y a une douleur profonde qui ne peut plus durer », résume Cédric Couzinet, éleveur et membre de la Coordination rurale, bonnet jaune sur la tête.
Au cœur de la colère, le traumatisme de la ferme Verger, aux Bordes-sur-Arize, à une quarantaine de kilomètres de là. Deux cent huit vaches euthanasiées, dont seulement quatre présentaient des nodules. « On aurait dû abattre uniquement les bêtes positives, puis surveiller le troupeau pendant six semaines avec des prises de sang hebdomadaires », explique Laurence Marandola, évoquant le protocole alternatif défendu par les syndicats, qui demandent « l’arrêt du dispositif actuel en abattant les positifs et en surveillant les autres ». Pour beaucoup, la décision relève davantage d’un choix politique que sanitaire. « C’est fait pour protéger l’export, pas nos troupeaux », accuse le syndicaliste de la coordination rurale.
D’autant que la DNC s’inscrit, pour nombre d’entre eux, dans une succession de crises sanitaires. « C’est la troisième épidémie en peu de temps. L’État applique un protocole qui d’autant plus ne fonctionne pas et refuse de se remettre en question », s’insurge Mathieu Fournier, jeune agriculteur. En France, environ 3 500 bovins ont déjà été abattus suite à des cas de DNC, dont plus de 3 400 étaient sains au moment de leur euthanasie, pourtant l’épizootie continue de s’étendre, aujourd’hui à onze départements. Laurence Marandola rappelle que d’autres crises ont été gérées autrement comme « la FCO (fièvre catarrhale ovine) où la vaccination globale a très bien fonctionné. Pourquoi aujourd’hui s’obstiner ? »
« Un troupeau, ce n’est pas interchangeable »
Sur le barrage, personne ne comprend pas cette politique. Kevin Eychenne, éleveur bovin et céréalier, incarne la quatrième génération à travailler sur la ferme familiale, « une vache, ce n’est pas un numéro. Mon grand-père y a travaillé, mon père aussi. Avec quoi on repart si on perd tout ? ». Présent avec sa femme future éleveuse d’ovins, le trentenaire évoque ses enfants en bas âge, qui « posent beaucoup de questions et pleurent à l’idée de voir disparaître « leurs » vaches ».
« Un troupeau, ce n’est pas interchangeable, renchérit Laurence une éleveuse de bovins de Haute-Ariège. Les animaux connaissent le territoire, les points d’eau, la montagne. Ça ne se remplace pas. » Sylvie, éleveuse depuis 1997 avec son mari, partage les mêmes craintes alors que son troupeau doit se faire vacciner dans les prochains jours : « On ne vit déjà pas de notre élevage. S’ils nous abattent tout le troupeau, c’est la double peine. » D’autant plus que sa fille est en cours d’installation. Pour le cinquantenaire, « il est impossible de lui laisser un système comme ça ».
La mobilisation dépasse largement le cercle des éleveurs. Des riverains apportent des vivres à ceux qui ne rentrent plus chez eux pour garder le barrage, d’autres viennent les soutenir le temps d’une journée. « S’il faut être là à la Saint-Valentin, on y sera, sourit une agricultrice. Les gens sont tellement généreux, on a de quoi rester longtemps encore ». Mais « ici, ce sont les jeunes », répètent plusieurs agriculteurs en soulignant que « c’est l’avenir du monde rural qui est en question ».
Clémence, élève de lycée agricole d’Ozeville à Toulouse est venue après le blocus de son établissement. « Tous les élèves se sentent concernés, même ceux qui ne viennent pas du milieu agricole nous ont rejoints » s’émeut-elle. Fille d’éleveurs de brebis, elle souhaite s’installer en bovins laitiers, « c’est très important de défendre l’agriculture française pour mon avenir. »
Sur le rond-point, certains fabriquent des masques de vaches à partir d’assiettes en carton. « De l’artivisme, en hommage à nos troupeaux », sourit une éleveuse d’ovins venue en soutien. La nuit tombe sur Tarascon-sur-Ariège, les rotations s’organisent. Malgré la menace d’une intervention préfectorale, les paysans d’Ariège et leur sympathisant ne quitteront pas facilement ce point névralgique, devenu le symbole d’une convergence inédite de colères, au-delà des clivages syndicaux. « On a décidé de rester mobilisés et vigilants si des abattages ont lieu dans les jours qui viennent », affirme Laurence Marandola.
En savoir plus sur DEMOCRITE "de la vie de la cité à l'actualité internationale"
Subscribe to get the latest posts sent to your email.