Crise sanitaire. En quoi les droits des personnes en situation de handicap sont-ils menacés ?

Après une année marquée par deux périodes de confinement, la situation des plus fragilisés doit être regardée avec la plus grande attention, car les risques d’isolement sont grands.

Oubliées d’une crise ou d’un système ?

Luc Gateau Président de l’Unapei

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Si les personnes en situation de handicap et leurs familles sont exposées comme le reste de la population au Covid-19, il faut d’ores et déjà souligner que l’impact des mesures liées à la pandémie a accentué leur situation d’isolement social et a fragilisé l’effectivité de leurs droits. L’Union nationale des associations de parents de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei), réseau associatif présent sur l’ensemble du territoire, constate, jour après jour, des situations qui traduisent des manquements dans la gestion de la crise envers des millions de citoyens français, dont un million de personnes en situation de handicap intellectuel et 900 000 personnes sous protection juridique.

Pour les personnes en situation de handicap intellectuel accompagnées ou non par des professionnels médico-sociaux, ainsi que pour les personnes sous protection juridique, les mesures de restrictions publiques qui se sont imposées pendant le confinement ont généré de nouveaux obstacles.

Pendant le premier confinement, la fermeture des guichets de poste et de banque a rendu difficile le retrait d’espèces pour un public qui n’est pas forcément autorisé à bénéficier d’une carte bancaire. Le Défenseur des droits est intervenu, rappelant au gouvernement, mais aussi aux acteurs de la distribution et des commerces de proximité, que le paiement en espèces ne peut être refusé notamment pour garantir aux personnes sous protection juridique d’accéder aux achats de première nécessité. Cette situation est révélatrice d’un phénomène présent avant la crise, et qui va en s’accélérant : la dématérialisation des services. Ce processus, notamment via la digitalisation, ne doit pas exclure les personnes présentant des difficultés de compréhension, qui ont besoin d’une interaction avec des agents du service public pour accomplir un certain nombre d’opérations administratives.

Durant la pandémie, certaines personnes en situation de handicap ont été discriminées quant à l’accès aux services de soins ou de réanimation. La question du tri des patients s’est posée dès le début de la crise, lorsque les ressources médicales se sont avérées insuffisantes pour faire face à une augmentation des cas dits sévères de Covid-19. Cet accès aux soins, déjà difficile et complexe de tout temps, n’a fait qu’empirer en cette période de pandémie, nécessitant une vigilance accrue des associations. La crise sanitaire témoigne par conséquent de manquements graves quant au respect des droits fondamentaux des personnes en situation de handicap. Avec le recul apparaît un constat amer : ces dernières ainsi que leurs familles restent les oubliées d’un système qui ne prend pas en compte la pluralité des situations, la diversité de leurs besoins et de leurs aspirations. Ce contexte de crise risque d’isoler à terme un peu plus les personnes en situation de handicap et leurs familles du reste de la société. Cette crise ne doit pas être synonyme d’un retour en arrière social et sociétal.

Dix ans après la ratification par la France de la convention de l’ONU relative aux droits des personnes en situation de handicap, force est de constater que l’écart entre ses dispositions et les réalités vécues sur le terrain ne s’est toujours pas réduit. Son application aurait cependant permis d’anticiper, ou tout du moins de réduire, l’impact des mesures prises dans le cadre du confinement.

Alors que la crise économique, qui succédera à ces mois de lutte contre le virus, frappera les publics déjà en fragilité sociale, comment ne pas compromettre l’accès des personnes en situation de handicap à l’école, au travail, à des ressources, à un lieu de vie, à une vie sociale, à des accompagnements, voire à l’information nécessaire pour comprendre le monde et les contraintes qui les entourent ? Les questions sont multiples et les réponses le sont tout autant.

Si la résilience est une caractéristique de beaucoup de personnes en situation de handicap et de leurs familles, les pouvoirs publics français et européens ne peuvent cependant pas se dérober à leurs obligations imposant le respect de leurs droits fondamentaux, que ce soit en temps de crise ou d’accalmie.

Des conséquences durables d’inégalités

Alain Rochon Président d’APF France handicap

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La crise inédite que nous traversons a déjà et aura des conséquences sanitaires, sociales et économiques importantes. Certaines catégories de population sont plus affectées que d’autres, c’est le cas des 12 millions de personnes en situation de handicap et des 8 millions de proches aidants que compte notre pays.

En effet, cette crise a mis en évidence les inégalités dont ces personnes sont victimes au quotidien et les a accentuées. Si pouvoir vivre dignement, être libre d’aller et venir, avoir accès à l’éducation, à l’emploi, à la santé, etc., n’étaient pas des droits effectifs avant la crise, depuis, les obstacles se sont multipliés : isolement et précarité accrus, ruptures de soins et aggravation des problèmes de santé, fatigue physique et morale des aidants.

Aujourd’hui, nous nous inquiétons des conséquences durables de cette crise sur leur vie. Alors que des millions de personnes en situation de handicap vivent sous le seuil de pauvreté (1 063 euros par mois), un grand nombre d’entre elles n’a pas été bénéficiaire des primes de solidarité versées aux ménages précaires. La déprogrammation des soins a été et est encore dramatique puisqu’elle est souvent synonyme d’amplification du handicap et de perte de chance.

Le risque de tri des malades, au seul motif de leur handicap, n’est pas évacué : certains services mobiles d’urgences refusent encore de se déplacer pour des personnes atteintes d’un handicap. On assiste à des refus de transports sanitaires adaptés, supposant que les personnes sont dans l’impossibilité de porter un masque du fait de leur handicap. Et à des refus de certaines écoles de voir se dérouler les séances de rééducation sur le lieu scolaire.

Le fonctionnement en mode « simplifié » des maisons départementales des personnes handicapées, avec une représentation restreinte des associations en commissions d’attribution des droits et des auditions des personnes peu ou pas organisées, fait craindre des ruptures et/ou des reculs de droits.

Concernant l’emploi, les premiers indicateurs de l’impact de la crise ne sont pas bons : taux de chômage des personnes en situation de handicap toujours deux fois plus élevé que celui du reste de la population, diminution des maintiens en emploi et augmentation significative du chômage de longue durée, déjà très élevé avant la crise.

Nous craignons également que la reprise économique ne se fasse au détriment du respect des normes d’accessibilité et des délais concernant la programmation des agendas d’accessibilité programmée, une solution déjà envisagée par certains maîtres d’ouvrage et collectivités territoriales. Enfin, le premier confinement a fortement accru l’isolement des aidants, un isolement imposé du fait notamment de la fermeture d’établissements et de services. Ces aidants ont dû faire face à une intensification de l’aide apportée à leurs proches et sont exténués.

Face à ces constats, le gouvernement est certes mobilisé mais les mesures prises restent, à ce stade, insuffisantes pour combler le retard de notre pays en matière de politique du handicap et d’effectivité des droits. Alors qu’en sera-t-il en sortie de crise ? Une chose est sûre, de véritables progrès ne pourront être réalisés sans orientations concrètes pour une société plus juste, apaisée et durable fondée sur les droits humains ni sans une réelle participation des personnes concernées et des associations.

Le miroir grossissant des discriminations

Jean-Louis Garcia Président de la Fédération Apajh

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Année 2020, dramatique et exceptionnelle par bien des aspects ; pour les personnes en situation de handicap, la réalité est d’autant plus préoccupante. Certes, des mesures pour les personnes en situation de handicap ont été prises lors de ce second confinement, à la suite des situations complexes vécues ce printemps, et après la mobilisation des associations qui s’en étaient fait les porte-parole : établissements et services et maisons départementales des personnes handicapées ouverts pour éviter toute rupture, maintien des liens avec les familles, assouplissement des déplacements dérogatoires…

L’organisation d’un comité interministériel du handicap en pleine seconde vague est évidemment un signal positif envoyé par le gouvernement, qui s’est engagé sur des politiques fortes : la cinquième branche autonomie, qui a vocation à permettre à chaque personne en quête d’autonomie d’accéder plus facilement à ses droits, l’accélération de la transformation de l’offre et les mesures à la fois pour la sortie de crise sanitaire et pour produire des effets économiques et sociaux dans la durée. Mais, aujourd’hui, la seule création de numéros verts ne suffira pas.

La crise sanitaire actuelle agit comme un miroir grossissant sur l’impossibilité d’accéder à une citoyenneté pleine et entière : près de 300 000 citoyens sans solution de logement pérenne, la part exponentielle de Français qui doivent recourir à l’assistance publique pour subvenir à leurs besoins…

Pour les personnes en situation de handicap, c’est particulièrement amplifié. Concernant l’emploi, alors que vient de s’achever la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, de nombreux enjeux se posent : comment adapter des postes avec une mutation soudaine des pratiques professionnelles (télétravail, utilisation des outils de visioconférence…) ? Au-delà, alors que le chômage des personnes en situation de handicap est deux fois supérieur au taux national, qu’en sera-t-il de leur accès au marché du travail alors qu’une crise économique consécutive à la crise sanitaire se profile chaque jour un peu plus ? Les personnes en situation de handicap ne peuvent être une variable d’ajustement et doivent être recrutées pour leurs compétences. Hélas, elles seront les premières exclues et rejetées.

La déprogrammation de prestations médicales fragilise l’ensemble du système de santé : l’interruption de soins a des effets durables, particulièrement pour les personnes en situation de handicap psychique. Le Ségur de la santé a été un grand moment pour le personnel soignant mobilisé lors de la première vague, qui a été reconnu et revalorisé, ce qui n’a pas été le cas des professionnels du monde médico-social : dans un système en tension, ce manque de reconnaissance est insupportable car profondément injuste.

L’inégalité de traitement va générer une fuite de nos collaborateurs vers un ailleurs mieux rémunérateur ou des difficultés de recrutement. C’est la qualité de l’accompagnement qui est mise en question.

La crise sanitaire nous mène à gérer les urgences, à pallier les manques, à préserver les plus faibles. Mais elle ne doit pas être un frein, un coup d’arrêt pour le combat de l’accès de tous aux droits. À l’Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh), les 14 000 collaborateurs et les militants bénévoles en métropole et outre-mer œuvrent conjointement, poursuivent l’accompagnement dans le respect des conditions sanitaires, tout en tirant les leçons de cette crise sanitaire pour toujours se réinventer au plus près des aspirations des personnes en situation de handicap. Tout en restant lucide et vigilant, il est nécessaire de préserver cette dynamique d’innovation, ADN de l’Apajh et amplifiée par la contrainte du confinement, ancrée dans la réalité ; elle doit être encouragée et essaimer partout en France pour le droit et la pleine citoyenneté des personnes en situation de handicap. Nous devons réinventer et nous adapter pour l’accès aux droits de tous.

 

 


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