Éducation. Au Mans, un lycée laboratoire de la méthode Blanquer

Dès son arrivée, le proviseur s’est signalé par ses méthodes& particulières, quitte à faire régner la peur. Sophie Delafontaine/Ouest France

Dès son arrivée, le proviseur s’est signalé par ses méthodes& particulières, quitte à faire régner la peur. Sophie Delafontaine/Ouest France

Des élèves sanctionnés hors de tout règlement, des personnels à bout, un proviseur fidèle du ministre qui se comporte en autocrate, des autorités qui laissent faire : bienvenue dans le lycée du nouveau monde…

Pour observer l’empreinte de la semelle de Jean-Michel Blanquer sur le visage de l’éducation nationale, il peut être utile d’aller voir ce qui se passe au Mans, plutôt que regarder la télévision. Là, derrière (mais aussi devant) les grilles du lycée Touchard-Washington, se déroule une sorte de préfiguration de ce qui est à venir, à base d’autoritarisme, de déréglementation et de management inspirés du pire en vigueur dans le privé. Là se met en place, à bas bruit – mais à haut niveau de brutalité –, cette verticalité qui constitue, décidément, la marque de fabrique de la gouvernance Blanquer. Aux dépens des personnels, mais aussi des élèves et, au final, de tout ce qui fait l’identité et la valeur du service public d’éducation à la française.

Barrage filtrant

Ce n’est sans doute pas un hasard, Touchard-Washington, c’est « le » lycée du Mans : au cœur de la ville, un énorme établissement né en 2011 de la fusion du lycée général et technologique Touchard et du lycée professionnel Washington. Il regroupe filières générale, technologique, professionnelle, BTS, classes préparatoires, un Greta (centre de formation pour adultes)… Avec 2 400 élèves et à peine moins de 300 professeurs, c’est le plus gros lycée de la Sarthe et le deuxième en taille sur toute l’académie de Nantes. À lui seul, un échantillon complet de tous les mondes de l’éducation nationale… et de toutes ses problématiques.

En mai dernier, donc, à Touchard-Washington comme dans plusieurs centaines de lycées de France, les élèves sont inquiets et en colère face au déroulement de cette année sous Covid et aux conditions dans lesquelles on les amène au bac réformé. Cette génération née en 2003 a essuyé tous les plâtres des réformes Blanquer. Cette fois en particulier, la perspective de devoir affronter le « grand oral », cette nouvelle épreuve imposée contre vents et marées par le ministre, mais à laquelle ils n’ont jamais pu se préparer correctement, cristallise le mécontentement. À partir du 4 mai, des élèves tentent de bloquer l’entrée de l’établissement. On sait que, faute de trouver d’autres espaces réels de prise en compte de leur parole, c’est désormais « la » méthode d’action lycéenne… avec les risques qu’elle peut comporter.

Mais, cette fois, tout se passe à peu près bien. Pas de poubelles brûlées, pas de charges policières – contrairement à ce qui s’était produit en 2020, lors du mouvement contre les E3C (épreuves communes de contrôle continu). Au dire des témoins, le « blocage » est en fait un barrage filtrant : les élèves de BTS ou de prépa, qui passaient des examens ces jours-là, n’ont jamais été empêchés d’accéder aux salles. Mais, le soir du lundi 10 mai, pour 23 élèves et leur famille, c’est la douche froide. Glaciale, même. Ils reçoivent un message signé du proviseur qui les informe que leur enfant « a été reconnu comme participant actif pour empêcher le libre accès au lycée » et que, au cours de cette action, « les grilles du lycée ont été dégradées et les serrures rendues inutilisables ». En conséquence, l’élève concerné se voit signifier une « interdiction de pénétrer dans le lycée pour mise en danger de la vie d’autrui », et ce « jusqu’à nouvel ordre ». Mais ce n’est pas tout : « La présence de votre enfant au sein de notre communauté éducative est désormais impossible », assène le proviseur, qui conclut d’un « je vous invite à lui trouver un autre lycée pour la rentrée 2021 ».

Très vite mise au courant, la FCPE réagit et, dès le lendemain, écrit au proviseur. Car son message semble bien en dehors des clous réglementaires : recours à une punition collective, exclusion définitive sans passage en conseil de discipline, absence de procédure contradictoire et d’information des parents avant la mise en œuvre de la sanction, aucune mention de faits concrets reprochés à chacun des élèves… Dans une déclaration lue lors des conseils de classe, la fédération de parents d’élèves dénonce le fait qu’un représentant de l’État « contourne la loi à des fins de répression d’un mouvement collectif ». Elle contacte les familles concernées et les aide à rédiger une lettre de recours auprès de Patricia Galeazzi, la directrice académique des services de l’éducation nationale (Dasen). La seule réponse qu’ils obtiendront sera pour les renvoyer… vers le proviseur.

Unanimité syndicale

Mais, avec la perspective des examens qui approchent pour nombre des élèves concernés, les familles n’en restent pas là. « Ça m’a mise très en colère, je les ai appelés dans la foulée », raconte Michèle (1), mère d’une élève de terminale. Comme la plupart des autres familles, elle obtient un rendez-vous avec le proviseur. Henriette, une autre maman, raconte : « Dans le bureau, le proviseur et son adjointe m’ont montré des photos, de grands tirages A3 en couleurs. Mon fils n’était sur aucun de ces clichés ! » Et pour cause : il était bien devant la grille ce jour-là, mais il… attendait de pouvoir rentrer. « Le proviseur s’est montré agressif d’entrée de jeu », raconte Raymond, un papa qui ne se laisse pas impressionner : « Je suis délégué syndical à l’usine, je lui ai dit que la grève, c’était un droit en France et qu’on ne peut pas sanctionner quelqu’un pour ça. Il s’est calmé. »

Tous les témoignages convergent : s’il semble bien que de la colle ait été versée dans des serrures, malgré les photos, aucun élément de preuve à charge des 23 élèves ne leur a été donné. Michèle, stupéfaite, s’entendra reprocher… le « regard très virulent » de sa fille sur les photos. Plus que léger au vu de l’artillerie lourde de sanctions envisagées ! Finalement, le soufflé se dégonfle. La plupart des familles, sous la pression, acceptent de faire rédiger par leur enfant une lettre d’excuses. Ceux-ci sont réintégrés sans autre forme de procès. Ceux qui attendaient leur dossier de réinscription pour l’an prochain le reçoivent.

Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Accusé de s’être solidarisé avec les fauteurs de troubles, un enseignant se retrouve dans la tourmente. Le proviseur rédige un rapport sur lui et demande au rectorat des sanctions à son encontre. Dans les faits, nous racontent ses collègues, il a dit quelques mots à une de ses élèves qui se trouvait devant la grille le matin des « troubles », pour… la rassurer sur le bac à venir. Chose exceptionnelle : l’ensemble des syndicats enseignants, de la CNT au Snes-FSU en passant par la CGT éduc’action, le Sgen-CFDT, Sud Éducation, FO et l’Unsa, se mobilise pour défendre leur collègue. Eux aussi écrivent à la Dasen ainsi qu’au recteur, William Marois (qui n’a pas répondu à nos sollicitations). Ils demandent qu’aucune sanction ne soit prononcée à l’encontre de leur collègue, mais aussi de « prendre au plus vite les décisions qui s’imposent afin que (le) proviseur ne puisse plus nuire au bon fonctionnement du lycée ». Le 20 mai, ils sont 300 personnels rassemblés devant l’établissement.

Du zèle à l’autoritarisme…

C’est que la coupe est déjà pleine depuis longtemps, à Touchard-Washington. Très rapidement après son arrivée, en septembre 2018, le proviseur, Jean-François Bourdon, s’est signalé par ses méthodes… particulières. « Il y a une souffrance de dingue », résume Claude, en poste dans le lycée depuis longtemps. « Il y a des gens qui pleurent, qui craquent, des arrêts maladie… » En décembre 2018, une première lettre des élus syndicaux part vers la hiérarchie. Depuis, c’est un dossier à l’épaisseur impressionnante qui s’amoncelle. Impossible à résumer ici, il relève les méthodes autoritaires, les décisions prises seul, les restructurations et réorganisations qui accroissent la charge de travail, le non-respect des droits des personnels handicapés, les vexations qui s’accumulent, les tentatives de division…

« C’est un bon soldat, commente une enseignante, il fait la politique qu’on attend de lui, quitte à faire régner la peur en s’en prenant à ceux qui ne baissent pas la tête. » Un manager qui, par exemple, décide d’imposer deux heures supplémentaires à tous ou que le lycée sera volontaire pour participer aux nouvelles évaluations. Un individu probablement protégé, également : il est celui à qui Jean-Michel Blanquer avait confié la mission de créer son premier « internat d’excellence », à Sourdun (Seine-et-Marne). Un fidèle qui a visiblement décidé de faire de Touchard-Washington un laboratoire du nouveau management dans l’éducation nationale. Pour le pire.

(1) À la demande des témoins, tous les prénoms ont été changés.

À Clermont-Ferrand, contre la répression antisyndicale

C’est une première. Six représentants syndicaux, enseignants et étudiants, ont été condamnés, à Clermont-Ferrand, pour « intrusion non autorisée dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire », avec inscription au casier judiciaire. En janvier 2021, les syndicalistes et 200 manifestants ont, dans le calme et avec l’accord de la direction de l’établissement, investi le lycée Blaise-Pascal, pour protester contre les « E3C », et obtenu leur annulation. Un rassemblement est organisé le 16 juin, devant le rectorat, pour dénoncer la « répression antisyndicale ».

 

 


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