Alexandre Astier : « Au fond, “Kaamelott” est une histoire de collabos et de résistants »

Arthur (Alexandre Astier) et la fameuse Excalibur, celle par qui tout arrive.

Arthur (Alexandre Astier) et la fameuse Excalibur, celle par qui tout arrive.

« Kaamelott : premier volet » vient de sortir au cinéma. Le réalisateur et interprète du roi Arthur y poursuit son exploration de l’antihéros version médiévale-fantastique. Côté sombre. 

Ce « Kaamelott : premier volet », bien que porteur de promesses de lumière, ne pouvait être qu’empreint du spleen des derniers « livres » de la série, explorant un royaume de Logres encore plongé dans les ténèbres. On y retrouve Lancelot, en roi autoritaire, siégeant avec la traîtresse Mevanwi et séquestrant Guenièvre en secret. Il est entouré d’une cour de parjures et de renégats : le roi Loth d’Orcanie, les chevaliers Dagonet et Galessin, le jurisconsulte, le père Blaise…

Restés fidèles, sinon à la quête du Graal à laquelle ils n’ont encore rien compris, du moins à la Bretagne d’Arthur, Perceval et Karadoc, Merlin, Bohort, Gauvain et même le vénal Venec entretiennent une forme de résistance désespérée et désespérante… Même en Carmélide, le sanguinaire Léodagan, en exil, plante des navets.

C’est dans ce paysage dévasté que revient, malgré lui, un Arthur dont la légende va se confronter à la réalité, notamment aux yeux des plus jeunes, qui gardent de lui une image héroïque. Culte de l’antihéros, transmission, amour de l’artisanat… Alexandre Astier nous emmène au-delà du royaume de Bretagne, dans le cinéma populaire qu’il aime et veut promouvoir.

Il y a des échos très actuels entre le royaume de Logres sous la coupe de Lancelot et la France en 2021 (couvre-feu, rassemblement de plus de 6 personnes prohibé…). Il y a une part de prescience ?

 

Alexandre Astier Il y a la volonté de raconter une histoire de collabos d’un côté, de résistants de l’autre. L’interdiction des rassemblements, le couvre-feu, ça tombe sous le sens dans ces périodes : c’est dans « la Traversée de Paris » aussi ! Mais je comprends que ça fasse écho, même si dans ce cas on est face à un tyran, et pas à un virus.

Dans « Kaamelott : premier volet », on retrouve des acteurs irremplaçables, Franck Pitiot (Perceval), Thomas Cousseau (Lancelot), Jean-Christophe Hembert (Karadoc), Audrey Fleurot (la Dame du lac)… Il y a une « famille Astier » qui s’agrandit ?

Alexandre Astier Oui, j’aime beaucoup agrandir la communauté des acteurs, notamment avec des jeunes tout frais, qui rentrent dans la quête du Graal avec la pêche. Mais je n’ai pas pour autant l’esprit de troupe. La saga me porte à raconter l’histoire des chevaliers, de la Dame du lac… Je fais jouer ces acteurs-là parce que j’ai besoin de leur présence, de leur personnage pour raconter des choses, leur faire porter une action.

Icon QuoteChristian Clavier et Sting dans le même cadre, qui l’aurait fait ?

Au-delà des figures qu’on retrouve avec plaisir, vous vous êtes assuré le concours de Sting. Pourquoi avoir voulu faire interpréter le Saxon Horsa par un Britannique ?

Alexandre Astier Le Saxon, dans « Kaamelott », c’est le mal absolu. Je le voulais très exotique, très déroutant. Je trouve qu’un envahisseur qui fait l’effort de parler la langue locale, ça fout les jetons. On se dit : « lui, il a un plan ». J’ai toujours su que je prendrais des Saxons qui ne seraient pas de langue française native, pour forcer sur le côté thatchérien, calculateur… Je ne voulais pas de quelqu’un qui se force à prendre un accent. Et puis je voulais une personne connue de la pop culture, pas forcément un acteur. Je n’espérais pas Sting, mais il se trouve qu’on lui a posé la question et qu’il a dit oui ! Sur le plateau, il était ­extrêmement studieux, et très simple, très émouvant dans son humilité. Alors oui, ça a donné des trucs bizarres : Clavier et Sting dans le même cadre, qui l’aurait fait ?

Le film suit les deux « livres » les plus sombres de la série, et l’ambiance s’alourdit. Vous suivez le précepte de Pierre Desproges, qui disait qu’avec le rire, on pouvait « désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles » ?

Alexandre Astier Dans une grande œuvre populaire, il doit tout y avoir. Vous pouvez faire une comédie avec des chevaliers qui font n’importe quoi, ils sont nuls, ils n’arrivent à rien, et vous pouvez ouvrir un chapitre, rester cinq ou six minutes sur la vie du héros, explorer un drame, un traumatisme dans sa vie qui dicte ses agissements, sans que les autres sachent pourquoi… Voilà pourquoi j’avoue ne pas être sensible au « genre », pas s’il érige des codes qui empêchent d’inclure des éléments d’autres genres.

Dix ans après la chute d’Arthur, on voit que les plus fidèles chevaliers ont essayé de garder l’esprit de la Table ronde avec leurs moyens limités. Vous creusez toujours cette exploration du héros ordinaire, qui fait ce qu’il peut ?

Alexandre Astier Je suis très touché par ce type de héros. C’est quelqu’un qui se décourage, qui abandonne, pour reprendre, puis trouve que c’est trop fort pour lui… Mais Arthur a en face de lui la naïveté constante de ses anciens compagnons, qui le poussent. Ils ont eu la patate de faire une Table ronde avec trois bouts de bois, de réunir des gars qui ne savent rien faire mais qui croient dans la quête du Graal. Comme ces trois jeunes gars qui voient un exemple en Perceval et Karadoc ! Face à eux, Arthur a honte d’avoir baissé les bras. Je pense que c’est le cas de ceux qui abandonnent, quand ils tombent en face de quelqu’un qui a toujours envie : ils se sentent un peu fautifs. Lui n’a pas envie que les jeunes le voient défaitiste.

Il y a une continuité avec le livre VI, quand il demande que l’on cache ses coupures aux poignets pour ne pas choquer les enfants.

Alexandre Astier C’est la même chose quand il est confronté à leur regard autour de cette nouvelle Table ronde. C’est vraiment un moteur qui est capable de le bloquer, de l’obliger à prendre ses responsabilités.

Chaque personnage est toujours fidèle à lui-même, mais il y a des renversements d’alliance, de situation… Vous avez voulu rebattre les cartes, déstabiliser le fan ?

Alexandre Astier Entre la série et le film, il y a une période qui s’appelle « Kaamelott résistance » et qui reste à raconter au public. Ce qui paraît abrupt après dix ans d’absence reste dans une continuité narrative. Par exemple, je tenais beaucoup à la présence d’Elias de Kelliwic’h (Bruno Fontaine) en Carmélide. Le sorcier ne fait les choses que pour son intérêt. Pourtant, là, il ne trahit pas. Ça donne une noblesse inattendue à un personnage qu’on estime corruptible à loisir. À l’inverse, le père Blaise (Jean-­Robert Lombard), qui a recueilli la légende d’Arthur, est passé à l’ennemi.

Il sert l’État, quoi qu’il en coûte, en bon rouage…

Alexandre Astier Oui, il reste là où sont ses archives. Tous ses papelards sont en bas, je ne le vois pas courir dans la pampa… Comme le jurisconsulte (Christian Clavier), il ne peut pas être ailleurs. Je n’ai pas tant cherché à rebattre les cartes qu’à faire réfléchir : comment et pourquoi certaines personnes ont changé de camp pendant les dix ans qu’a duré l’occupation du royaume ? Si tu choisis la vie de résistant, ça veut dire courir, se planquer tout le temps, risquer la taule, la mort… Pourquoi Léodagan (Lionnel Astier), retiré en Carmélide, n’a rien tenté ? Et Calogrenant de Calédonie (Stéphane Margot) est resté à ses côtés, avec un nouveau chef de guerre, Maclou ? Il y a eu dix ans de vie, il fallait que ça se sente.

On en parlait plus tôt, il y a aussi une nouvelle génération qui se lève.

Alexandre Astier Ces jeunes gens n’étaient pas nés, ou étaient hauts comme trois pommes quand Lancelot a brûlé la Table ronde. Mais, pour eux, Arthur est une légende. Même s’ils ne connaissent que son absence.

Il y a depuis le début de « Kaamelott » un rapport particulier à la transmission, à la paternité. Cette nouvelle génération, que va-t-elle incarner ?

Alexandre Astier La pureté de l’énergie du Graal. C’est des mecs qui vont devoir se distinguer pour mériter leur place à la Table ronde. Arthur est usé par nature. Ses anciens chevaliers aussi sont fatigués. Ce qui m’intéresse, dans cette nouvelle génération, c’est ce trop-plein d’énergie.

Ils promettent un nouvel équilibre dans la Force ?

Alexandre Astier Tel que je me le figure, oui.

On parlait tout à l’heure de genre, il y a dans votre film des clins d’œil à « Star Wars », James Bond…

Alexandre Astier Ce qu’on appelle le genre, c’est de la culture populaire très forte. C’est important pour moi de rappeler ce que j’aime, sans ­gêner le spectateur. Je montre ce qui a servi de base, ce qui me sert encore de scolarité. C’est une forme de reconnaissance. Comme le fait de dédier l’œuvre à Louis de Funès.

On est encore dans la transmission. L’idée, c’est de rendre intelligible une culture que l’on croit destinée aux seuls geeks ?

Alexandre Astier Oui. Je n’aimerais pas délivrer un message crypté, sur le parcours du héros, sur le Graal. Pourtant, il y a de grands risques à tenir des propos cryptés sur le Graal. Ce n’est pas quelque chose qui s’explique, chacun y met un peu ce qu’il veut. Même Arthur. Quant à la transmission, je ne peux pas nier son importance : mes enfants jouent dans mon film. Même James, qui a 5 ans et qu’on voit suivi par les Saxons jusqu’à la Table ronde.

C’est le principe du stage en entreprise ?

Alexandre Astier Je voulais qu’ils viennent dans la boutique familiale pour voir comment ça se passe.

Dans le film comme dans la série, la musique joue un rôle essentiel. Comme un personnage de plus. Vous avez signé la bande originale de ce premier volet chez Deutsche Grammophon (1). C’est une consécration ?

Alexandre Astier C’est comme Casterman en BD, une sorte de Graal. Et même si on a une toute petite place, on est quand même à table avec eux.

Icon QuoteMon bonheur, c’est de faire, pas de demander à faire. J’aime la photo, les objectifs, les caméras, la couleur… Mais, en tant que musicien, j’aime le son.

Vous aimez bien maîtriser tous les aspects de la fabrication. On vous dit touche-à-tout, vous avez la réputation d’un malade du contrôle…

Alexandre Astier Touche-à-tout, je crains le terme. Ça fait bricoleur du dimanche. Ce qui m’intéresse dans tout ce bazar, ce sont des métiers. On parle par exemple de composer de la musique, de l’orchestrer. C’est ce que j’ai le plus appris à faire (quinze ans de conservatoire et un prix de Paris en solfège – NDLR). C’est réellement passionnant ! Ça vous fait rencontrer des gens fascinants, travailler avec des orchestres d’une grande précision, comme l’Orchestre national de Lyon (qu’il a dirigé pour l’enregistrement de la bande originale – NDLR). Quand je parle avec l’excellent Philippe Rombi, qui a fait les musiques des deux Astérix, c’est cool parce qu’on est tous les deux musiciens. Mon bonheur, c’est de faire, pas de demander à faire. J’aime la photo, les objectifs, les caméras, la couleur… Mais, en tant que musicien, j’aime le son. Pour le montage, je peux associer quatre petits bouts de répliques piqués ici et là parce que je monte au son. J’adore tricoter le rythme. Mais si on travaille avec quelqu’un, d’abord, il faut avoir conscience de ce qu’on veut, ensuite il faut le formuler. Alors que, seul, il faut juste savoir comment marche la machine. C’est comme un instrument qu’il faut apprivoiser.

Vous avez appris au fur et à mesure des tournages ?

Alexandre Astier Là où j’ai un peu de bol, c’est que l’étude, c’est mon loisir. Depuis tout gamin, j’ai l’amusement de comprendre les choses. Attention ! Je ne suis sans doute pas aussi bon qu’un spécialiste, mais, par exemple, en montage je me débrouille – si un monteur lit ça, il va penser qu’il vaudrait mieux laisser travailler un professionnel.

Mais ce serait peut-être moins conforme à votre vision…

Alexandre Astier Oui. Je pense que, si je devais formuler ce que j’attends en termes de rythmique, je n’y arriverai pas. « Kaamelott : premier ­volet » a par exemple un nombre de « cuts » assez inédit. J’en avais besoin pour imprimer mon rythme.

Les deux autres volets sont déjà écrits. Sans trop en dévoiler, vers où emmenez-vous le spectateur ?

Alexandre Astier Dans le deuxième volet, je peux vous dire qu’il va falloir que tous les protagonistes, les anciens comme les nouveaux, prouvent qu’ils ont leur place dans la quête du Graal. Il va y avoir une dimension de compagnonnage, les vieux vont devoir accompagner les jeunes. Pour beaucoup, il va falloir qu’ils transmettent quelque chose qu’ils ne maîtrisent pas eux-mêmes. Bon courage !

 

(1) La bande-originale de « Kaamelott-Premier Volet » est disponible en vinyle, CD et digital (Deutsche Grammophon).


Icon Bullhorn Cet entretien a paru dans « l’Humanité Dimanche » du jeudi 22 juillet. Pour commander ce numéro, c’est par ici. Et pour vous abonner à notre hebdomadaire, c’est par là !

« Kaamelott », l’œuvre d’une vie

Pour Alexandre Astier, le septième art n’est pas terra incognita. Entre la fin de la série « Kaamelott » et ce premier volet de la saga sur grand écran, il a réalisé trois longs métrages, « David et Madame Hansen » (2012) et deux films d’animation mettant en scène Astérix : « le Domaine des dieux » (2014) et « le Secret de la ­potion magique » (2018). Mais son grand amour, le paysage qu’il arpente ­inlassablement, reste le royaume de Logres.

3 janvier 2005, à l’heure du dessert. Les téléspectateurs de M6 sont ­réveillés par trois grands coups de trompe. Les voilà scotchés pour 3 minutes et demie devant les aventures d’une bande de bras cassés parodiant la plus célèbre assemblée de chevaliers de l’histoire, ceux de la Table ronde. Les spectateurs resteront captivés jusqu’en octobre 2009. Les quatre premiers « livres » sont diffusés (2005-2006) sous la même forme d’épisodes courts, les deux suivants (2007 et 2009) adoptent des formats étendus, entre 40 et 52 minutes, préfiguration d’un long métrage. Les amateurs les plus éclairés se souviendront que c’est un court métrage maintes fois compensé en festivals, « Dies Iræ », qui avait lancé la machine en 2002.

Si le ton des premiers livres est léger, s’appuyant sur les figures comiques de Perceval, Karadoc, Bohort,  il s’assombrit au fil des saisons, sur fond de trahisons, de rivalité avec Lancelot, de doutes sur la quête du Graal… Les livres V et VI prennent une tout autre teinte, quand le découragement se fait de plus en plus lourd dans le livre V, puis qu’un long flash-back (développé sur les six heures du livre VI) emmène le spectateur à la rencontre du futur roi de Bretagne, faisant ses classes à Rome sous le nom d’Arthurus. Ces deux derniers livres forment un prélude à la trilogie cinématographique, plus noire et profonde que les quatre premiers livres, bien qu’elle en emprunte parfois l’humour.


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