Egalité. Ces villes qui planchent sur un espace urbain au féminin in Humanité

Les agressions sexuelles auraient majoritairement lieu dans l’espace public. Permettre aux femmes de de sortir et de se sentir en sécurité, y compris la nuit, un objectif ardu, mais fondamental. © Simon Lambert/Haytham-REA

Les agressions sexuelles auraient majoritairement lieu dans l’espace public. Permettre aux femmes de de sortir et de se sentir en sécurité, y compris la nuit, un objectif ardu, mais fondamental. © Simon Lambert/Haytham-REA

De Nantes à Paris, en passant par Ivry-sur-Seine et Lyon, des municipalités mettent en place des mesures innovantes pour rendre la rue plus sécure et plus égalitaire. Enfin.

À première vue, l’espace public est mixte. À y regarder de plus près, celui-ci est majoritairement conçu, construit, approprié par les hommes. Le constat, étayé par plusieurs études, est très clair : équipements sportifs extérieurs se limitant à des appareils de musculation, des city-stades ou des skateparks occupés majoritairement par des garçons ; toilettes publiques absentes ; rues mal éclairées, propices à favoriser un sentiment d’insécurité ; cours de récréation qui peuvent être monopolisées par des joueurs de foot, reléguant les filles aux marges ; ­stations de métro non accessibles avec une poussette…

Sans oublier les affiches publicitaires sexistes, mais également les sifflements, les insultes et les agressions sexuelles dans la rue. Dans les transports en commun, selon le Haut-Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), 100% des usagères ont été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d’agression sexuelle.

Identifier les zones jugées risquées

Partant de ce constat, des élus et des habitants ­réfléchissent depuis quelques années à la manière d’aménager l’espace pour le rendre moins hostile, plus égalitaire, témoignant d’une prise de conscience récente de ces enjeux. À Paris, « ces questions ont commencé à être traitées à partir de 2014, grâce à la campagne du collectif féministe Stop harcèlement de rue  », explique Hélène Bidard, adjointe PCF chargée de l’égalité femmes-hommes qui prône une « transition féministe » sur le modèle de la transition écologique.

La municipalité a passé une étape importante en inscrivant le critère du « genre » dans l’appel d’offres concernant le réaménagement de sept grandes places emblématiques et publié un nouveau guide référentiel sur le genre et l’espace public. Dans la capitale et ­ailleurs, comme à Brest, Bordeaux, Rennes ou Amiens, des marches exploratoires ont eu lieu pour identifier les zones jugées risquées.

Agir sur l’aménagement urbain

À Nantes, la municipalité qui, a fait de l’égalité femmes-hommes l’une de ses priorités, publie chaque année un rapport d’activité sur l’égalité entre les sexes, où figurent les principales mesures mises en place et les objectifs à accomplir. « L’ambition, c’est de faire de Nantes la première ville non sexiste de France à l’horizon 2030 », indique Mahaut Bertu, adjointe chargée de l’égalité femmes-hommes.

En agissant sur l’aménagement urbain, les élus prônent une vision plus inclusive de l’espace ­public, en partant des besoins et des préoccupations des femmes. En la matière, il reste encore beaucoup à faire. « Des villes ne prennent toujours pas en compte le sujet de la visibilité des femmes dans l’espace ­public, alors que c’est une donnée essentielle à l’émancipation des jeunes filles et des jeunes garçons », mesure Ophélie Latil, du collectif Georgette Sand, qui appartient au groupe les MonumentalEs, à l’origine de projets mémoriels en partenariat avec la Ville de Paris.

L’Humanité Dimanche s’est penchée sur des mesures innovantes mises en place dans plusieurs municipalités. Tour d’horizon.

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FOCUS

QUATRE VILLES QUI VISENT À FAIRE PLACE AUX FEMMES DANS L’ESPACE PUBLIC

IVRY-SUR-SEINE
« Garde ton corps », un repère de refuges sur le mobile

D’après l’enquête Virage (Violences et rapports de genre), publiée en 2017, l’espace public est celui où les agressions sexuelles ont majoritairement lieu. La muni­cipalité communiste d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) a ainsi lancé un nouvel outil, l’application Garde ton corps. En un clic, une femme victime de harcèlement de rue ou se sentant en danger peut envoyer sa géolocalisation en temps réel à un contact de confiance, et trouver un lieu où se réfugier parmi les pharmacies, restaurants et bars-tabacs référencés sur l’application gratuite.

À Ivry, l’usagère peut envoyer en un clic sa géolocalisation à un contact de confiance, et trouver un lieu où se réfugier parmi les commerces référencés sur l’application.

Pour la première fois, une nouvelle fonctionnalité va permettre de cartographier les problèmes en temps réel et d’envoyer des messages à la municipalité avec des demandes spécifiques. « Les signalements vont permettre d’identifier des zones à risques sur lesquelles un effort devra être mené, par exemple sur l’aménagement urbain et l’éclairage ­public », explique Philippe Bouyssou, édile PCF d’Ivry-sur-Seine.

« On va pouvoir travailler en réseau, dans le but de diminuer les problèmes de délinquance et d’agression physique, et avancer dans la réappropriation de l’espace public », abonde Sarah Misslin, adjointe PCF chargée de la propreté de l’espace public, de la tranquillité publique et de la prévention de la délinquance. L’autre avantage de cette fonctionnalité, c’est qu’elle doit permettre à la ville « d’orienter plus finement le ­travail des médiateurs et celui sur la voirie », ajoute l’élue.

PARIS
Place aux grandes femmes

À Paris et ailleurs en France, les noms de rues célèbrent dans leur écrasante majorité des personnages masculins, alors que des femmes, connues ou non, ont contribué à l’histoire de la ville et à son identité. Pour les rendre visibles, le Conseil de Paris a multiplié, ces dernières années, les initiatives en faveur d’une féminisation des noms de rue. En 2001, sous le premier mandat de Bertrand Delanoë, seulement 6 % des rues, allées, parcs et des équipements portaient le nom d’une femme.

Depuis, la proportion a doublé à 12 %, avec l’objectif d’atteindre 14 % en 2021. À la mort de Simone Veil, en 2017, la place de l’Europe est devenue dix mois plus tard « place de l’Europe-Simone-Veil ». Puis les élus de Paris ont attribué à de nouvelles rues les noms de la romancière Marguerite Duras, de la militante française du droit à l’avortement Simone Iff, et de la photographe Gisèle Freund. « Je veille à ce que 70 % des dossiers présentés, et a fortiori validés par la commission, soient des hommages à des femmes pour travailler de façon très volontariste à un rééquilibrage conséquent », précise Laurence Patrice, adjointe PCF à la maire de Paris, chargée de la mémoire et du monde combattant.

Sous peu, les habitants pourront se rendre à la bibliothèque Virginia-Woolf, dans le 13e arrondissement. Pour aller plus loin, les élus ont également adopté, à l’initiative du groupe communiste, un texte prévoyant l’interdiction des publicités sexistes et discriminantes sur le réseau d’affichage municipal.

NANTES
La nuit, c’est clair !

À Nantes (Loire-Atlantique), deux conseils citoyens, l’un dédié à la vie nocturne, l’autre à l’égalité femmes-hommes, ont adopté il y a quelques années une mesure innovante : la création de cheminements piétonniers lumineux dans certaines zones jugées risquées. Place de l’Esplanade-des-Chantiers, par exemple, non loin du centre-ville, ce dispositif a été mis en place afin de mieux sécuriser les passants. « C’est un lieu où il n’y avait pas d’éclairage public, s’il se passe quelque chose en cas de problème, on se retrouve seule au milieu de nulle part », explique Mahaut Bertu, adjointe à l’égalité, à la lutte contre les discriminations et à la vie associative.

Un dispositif « arrêt à la demande » a été mis en place dans les bus de nuit nantais, ce qui permet aux passagères de descendre au plus près de chez elles.

Toujours dans l’optique d’atténuer le sentiment d’insécurité, un dispositif « arrêt à la demande » a aussi été mis en place dans les bus de nuit, permettant aux femmes de descendre au plus proche de leur lieu d’habitation. L’élue compte aller plus loin en créant bientôt des « stations nocturnes ». L’idée est simple : créer la nuit des points stratégiques dans l’espace public en présence d’agents. « Cela pourrait rassurer les populations. Les femmes et les personnes LGBT+ doivent se sentir en sécurité la nuit lorsqu’elles sortent, dans un bar ou dans une boîte de nuit », insiste Mahaut Bertu.

LYON
Un budget 100 % genré

À Lyon, ville de plus de 500 000 habitants, la majorité de gauche conduite par un maire écologiste a voté, pour la première fois, en 2020, un budget municipal inédit, dédié à la lutte pour l’égalité femmes-hommes, sous le prisme du critère « genré ». Si des villes comme Brest, Bordeaux ou Grenoble ont déjà adopté une approche genrée dans les secteurs de la culture, des loisirs ou du sport, aucune ne l’a encore fait dans son intégralité.

Mais qu’est-ce qu’un budget « genré » ? Derrière ce jargon, se cache une ambition très claire : prendre systématiquement en compte l’égalité de genre à tous les niveaux de décision et analyser les effets de la distribution des ressources ­publiques sur l’égalité des sexes. « Nous voulons construire un espace public partagé, a exposé Grégory Doucet, le maire EELV. Grâce au budget genré, nous allons savoir si une dépense est neutre, favorable ou négative pour l’égalité femmes-hommes. »

Dans un premier temps, ce budget, d’un montant global de 700 millions d’euros, devrait se concentrer sur les cours de récréation et le sport. « L’objectif est de trouver des solutions pour favoriser la mixité en modifiant, par exemple, les créneaux d’occupation des équipements sportifs », précise Florence Delaunay, adjointe chargée de l’égalité femmes-hommes.

Avant d’ajouter : « Aujourd’hui, on voit que beaucoup de choses sont cloisonnées. On a des jardins d’enfants, d’un côté, et, 200 mètres plus loin, des espaces pour pratiquer du sport librement en plein air. Pourquoi ne pas concevoir des espaces publics qui ­mêleraient les deux ? » L. R.


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