Avec son roman la Plus Secrète Mémoire des hommes, ce jeune écrivain sénégalais surdoué, déjà favori pour les autres prix, entre dans la renommée par la grande porte.
Cent ans après René Maran, premier écrivain noir à obtenir le prix Goncourt, le Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr connaît cette consécration. Son roman la Plus Secrète Mémoire des hommes (Philippe Rey/Jimsaan) a obtenu six voix au premier tour. Il était en lice avec Enfant de salaud, de Sorj Chalandon (Grasset), Milwaukee Blues, du Haïtien Louis-Philippe Dalembert (Sabine Wespieser), inspiré du meurtre de George Floyd en mai 2020, et le Voyage dans l’Est, de Christine Angot (Flammarion), déjà récompensé par le prix Médicis.
Bonne nouvelle à tous égards, assortie d’un symbole fort. Le livre de Mohamed Mbougar Sarr est coédité par les éditions Philippe Rey – maison indépendante de taille modeste – et Jimsaan, basées au Sénégal. La Plus Secrète Mémoire des hommes est le quatrième livre d’un auteur surdoué d’à peine 31 ans, né à Dakar et vivant dans l’Oise. Il est fils de médecin, diplômé de l’Ehess.
Un texte très bien charpenté
Savamment construit autour d’un homme accusé de plagiat, ce livre de presque 500 pages empreint d’une imagination puissante, pétri de références, s’inspire en sourdine de l’histoire vraie de l’écrivain malien Yambo Ouologuem (il lui est dédié), premier romancier noir à remporter le Renaudot, en 1968, pour le Devoir de violence, avant d’être accusé de plagiat quatre ans plus tard, son ouvrage étant aussitôt retiré des rayons. Semblable accusation d’emprunt abusif touche le romancier fictif inventé par l’auteur, un certain T.C. Elimane, Sénégalais de 23 ans qui aurait eu le Renaudot en 1938 pour un roman intitulé Labyrinthe de l’inhumain. Mbougar Sarr imagine que le journal l’Humanité qualifie cet écrivain prodigieux de « Rimbaud nègre ».
Sous le coup de l’accusation de plagiat, le livre disparaît des ventes. Le héros, un dénommé Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, double plausible de l’auteur, est entré en possession du livre maudit de T.C. Elimane. Il veut comprendre et mène l’enquête sur des traces effacées. Cela le conduit dans le Paris actuel, où il fréquente un groupe d’écrivains noirs. Sa recherche s’étend sur plusieurs continents, Afrique, Amérique latine, Europe, et embrasse plus d’un siècle et demi (la colonisation, la boucherie de 14, la Shoah). On apprend ainsi, entre autres éléments d’importance, que T.C. Elimane, éduqué à l’école des Blancs, a d’abord été adoubé par eux, avant leur sûr rejet.
Écrire ou vivre, faut-il choisir ?
La Plus Secrète Mémoire des hommes, récit à tiroirs multiples, œuvre d’un grand lettré, est un texte extrêmement bien charpenté. Mbougar Sarr connaît ses classiques : Borges, Bolano, Gombrowicz… Il pose mille questions : l’histoire de la littérature n’est-elle pas celle d’un grand plagiat ? Écrire ou vivre, faut-il choisir ? Où est la position de l’écrivain africain dans le champ littéraire français ? Et la figure de l’écrivain en exil ? Enfin, où en est-on du face-à-face Afrique-Occident ? La langue, souvent châtiée, épouse plus d’un genre littéraire : recherche du père, investigation propre au roman policier, intertextualité raffinée, monologue intérieur….
Malgré la complexité des récits emboîtés, le lecteur ne perd jamais le fil. Mohamed Mbougar Sarr avait déjà été remarqué et primé pour ses trois précédents romans, Terre ceinte (Présence africaine, 2015), sur la folie islamiste, Silence du chœur (Présence africaine, 2017), sur l’odyssée des migrants, et De purs hommes (Philippe Rey/Jimsaan, 2018), sur l’homosexualité dans les sociétés africaines. Mbougar Sarr figurait aussi en favori pour le Femina, le Renaudot et le grand prix du roman de l’Académie française.
Par ailleurs, Amélie Nothomb (55 ans) remporte le prix Renaudot pour Premier Sang (Albin Michel). C’est le trentième livre de la romancière, qui rend une manière d’hommage posthume à son père diplomate – ici en position de narrateur –, décédé en mars 2020, dans un récit peint à l’eau-forte où le passé revient. Y compris celui, marqué au fer rouge, d’une prise d’otages de quatre mois dans l’État du Congo (actuelle RDC), dont il faillit ne pas revenir. Enfin, le prix Renaudot de l’essai a été attribué à Anthony Palou pour son livre Dans ma rue y avait trois boutiques (Presses de la cité).
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