Les lois de décentralisation se succèdent. La gestion de proximité est mise à l’honneur. Mais concrètement peu de choses changent sur le terrain. C’est ce que l’Inspection générale montre dans un rapport qui dénonce le grand flou de la réforme territoriale et , par suite, le caractère toujours très descendant des circulaires et du dialogue de gestion. Recteurs et recteurs régionaux se coordonnent mal. Le ministère continue d’entretenir un dialogue abondant mais monocorde avec les académies. Le rapport milite pour une décentralisation aboutie et un pas supplémentaire vers une éducation moins nationale. Affaire à suivre…
Une contractualisation de façade
« Il est nécessaire de transformer le pilotage du système éducatif vers un mode de management ouvert et interactif dans une logique de subsidiarité affirmée et porteuse de valeur ajoutée à tous les niveaux ». C’est le credo de Déborah Bé et Emilie-Pauline Gallié, qui signent ce rapport sur « les relations entre les administrations centrales, les services déconcentrés et les opérateurs dans le champ de l’enseignement scolaire, de la jeunesse et des sports et de l’enseignement supérieur ». Or force est de constater que, pour elles, on reste loin de cet objectif pourtant affirmé avec continuité à travers les réformes.
Concernant la contractualisation, elles relèvent que « les tentatives (sont) non concluantes ». « Sur le contenu des contrats, les académies ont très largement présenté des axes qui préexistaient dans les projets académiques ; dès lors, il n’y avait pas de difficultés majeures pour les académies signataires à définir des objectifs déjà ciblés par les stratégies académiques, et qui parfois étaient en passe d’être atteints (cas de la baisse des taux de redoublement par exemple). La contractualisation a cependant pu avoir un effet positif pour hiérarchiser les axes des projets académiques. Les bilans dressés ont permis de constater l’absence de diffusion des contrats dans les académies et une vraie difficulté à les promouvoir, dès lors qu’ils n’apportaient rien de spécifique aux projets académiques ou aux circulaires de rentrée. Les recteurs, directeurs académiques des services de l’éducation nationale (DASEN) et secrétaires généraux nommés après la signature des contrats dans les académies concernées ont peiné parfois à en disposer, car ils ne figuraient pas sur les sites des académies. De manière générale, ces nouveaux contrats n’ont pas constitué une référence pour la conduite des politiques publiques nationales et pour le pilotage des académies ».
La réunionite tourne à vide
Du coup, le dialogue « stratégique » entre le ministère et les académies » se concentre essentiellement sur le suivi de la mise en oeuvre des politiques publiques », estime le rapport. Il décrit des réunions entre le ministère où chaque direction du ministère fait passer ses sujets « en silos » et où les régions académiques et les académies se bornent à valider l’ordre du jour.
Dans ce bel exercice de réunionite, l’administration tourne à vide comme le décrit remarquablement le rapport. « Les grands enjeux pédagogiques des territoires (taux d’accès aux examens ou le parcours des élèves, sujet qui englobe l’orientation, la pédagogie…) ne sont que faiblement abordés… Le contrôle des actions réalisées par les autorités déconcentrées est régulièrement construit autour d’indicateurs chiffrés quantitatifs qui abordent assez fortement des sujets organisationnels et structurels : à titre d’exemple, le suivi de la mise en oeuvre du dispositif « devoirs faits » a porté sur le nombre d’élèves inscrits, les horaires retenus et le nombre d’enseignants impliqués mais pas sur l’effet produit sur les résultats des élèves. Le dialogue porte ainsi peu sur la mise en oeuvre et la manière dont les académies se sont saisies sur le plan territorial des objectifs gouvernementaux pour les décliner. » Ajoutons que cela n’empêche pas le ministère de déclarer Devoirs faits obligatoire à la rentrée 2023…
« Alors que les académies élaborent un projet d’académie, qui est l’expression de leur stratégie pour l’enseignement scolaire pour quatre ans, celui-ci ne fait pas l’objet d’échanges avec l’administration centrale. Aucun lien n’est établi entre les objectifs de politique nationale et les objectifs que se fixent l’académie au travers de son projet territorial… Cette situation se retrouve de manière très similaire entre les rectorats et les EPLE, ce qui interroge la capacité de l’échelon supérieur à prendre en compte les stratégies locales et donc la nécessaire adaptation des politiques au contexte territorial ».
La circularite se porte bien
L’autre moyen de communication entre « la centrale » et les services déconcentrés sont les circulaires. Le rapport montre comment l’administration sait les rendre impérative en les rendant très précises. « La définition des modalités d’action de façon détaillée altère fortement les marges de manoeuvre des échelons opérationnels », dit le rapport, citant en exemple encore Devoirs faits ou la circulaire sur les « cordées de la réussite ». Pour l’Inspection il est clair que plus de marge de manoeuvre devrait être laissé aux échelons locaux pour l’application des circulaires. Cela alors qu’il reconnait aussi que l’échelon local peut être demandeur de textes précis. L’exemple récent de la circulaire sur la laïcité va en ce sens. »
Des recteurs de région désarmés
Toute une partie du rapport est consacré aux relations entre les académies et les régions académiques. « Le recteur de région académique peine à prendre sa place entre l’administration centrale et les opérateurs dans le champ de l’enseignement supérieur », estime le rapport qui critique l’existence de recteur délégué au supérieur. Mais plus globalement, le rapport estime que les régions académiques manquent des moyens pour se faire entendre des académies. « Les recteurs de région académique se félicitent de la mise en place de la région académique et estiment que des progrès importants de cohérence et de représentation à l’égard des partenaires extérieurs ont été réalisés dans les domaines de compétence qui leur sont dévolus par le décret de 2019. Ils regrettent, en général, qu’il n’ait pas été possible d’aller aussi loin qu’ils l’auraient souhaité en raison de la résistance de certains recteurs d’académie et du peu d’enthousiasme et d’implication des directions d’administration centrale… De façon générale, le décret de 2019 pose de nombreuses difficultés d’application dès qu’un recteur ne veut pas jouer le jeu de la coopération. De surcroît, la notion d’autorité hiérarchique par rapport à celle d’autorité fonctionnelle ou de « gestion » qui paraissent claires dans le décret génèrent diverses interprétations possibles ayant des conséquences dans leur mise en oeuvre dans l’action quotidienne ».
Le rapport cite des exemples. « L’information, l’orientation et la lutte contre le décrochage scolaire sont une compétence de la région académique ce qui est cohérent avec les évolutions législatives qui ont fait de la collectivité régionale, un élément essentiel de l’information sur les métiers. Toutefois, l’affectation des élèves dans le second degré demeure une compétence académique. Par conséquent, il peut exister en affichage, une politique régionale dans ce domaine, mais la politique d’affectation des élèves qui est la conséquence directe des opérations d’information et d’orientation demeure entièrement à la main de chaque académie « .
Un désordre qui bénéficie au centre
En conclusion, pour le rapport, ce contexte renforce le poids de l’administration centrale qui reste encore très prescriptive. « Deux ans ont passé sans que les modalités de travail et de communication aient réellement évolué, ne permettant pas aux autorités et services régionaux d’exercer pleinement leurs missions. Les auditions menées par la mission sont unanimes sur ce point, les recteurs de région, les recteurs délégués, les secrétaires généraux de région ou leurs directions ne sont pas systématiquement associés aux travaux relevant de leurs compétences, voire sont conviés avec le niveau académique, quand les textes leur attribuent l’exclusive responsabilité. La mission analyse cette situation par le positionnement de l’administration centrale, qui privilégie l’acteur opérationnel afin de répondre à ses propres attentes en matière de rendu compte ou de mise en oeuvre effective, au détriment des enjeux de politique régionale et du respect de leurs compétences », souligne le rapport.
« Les modes de relations entre les échelons administratifs, principalement entre le niveau central et l’échelon territorial immédiat (services déconcentrés et établissements publics) sont en décalage avec les intentions affichées d’une part et l’organisation et le fonctionnement d’autre part… Les relations bilatérales (dialogues et contrats) sont peu stratégiques et se limitent encore à un suivi quantitatif et un contrôle de gestion des politiques nationales… Par construction, les relations institutionnelles demeurent asymétriques et offrent peu de place à l’initiative et à l’adaptation locales dans la mise en oeuvre des politiques publiques… Dans ce fonctionnement, les calendriers politiques contraignent les processus relationnels : plus ils imposent un temps de mise en oeuvre court, plus la circulaire impérative s’impose. Cette dernière est alors acceptée faute de pouvoir s’organiser au mieux ; le temps de concertation et d’échange s’en trouve limité.. Ce contexte, qui s’est imposé au fil des années, dénature la relation entre l’échelon national et l’échelon local, au détriment de ce dernier, qui voit ses responsabilités diminuer et ses possibilités d’adaptation au contexte territorial moins aisées, en particulier pour les services déconcentrés… Les principes de déconcentration des services et d’autonomie des établissements ne sont pas tous respectés »
Des recommandations à suivre
Ce nouveau rapport se situe dans la même philosophie que celui de 2018. « L’équité territoriale demande une administration centrale concentrée sur les territoires, confiante dans leur capacité à co-réguler, avec elle, les effets de la diversité et à adopter localement les meilleures stratégies pour l’aboutissement de priorités nationales clairement énoncées. Cette confiance dans les acteurs locaux et les responsables académiques peut se traduire par une déconcentration et une responsabilisation renforcée, en particulier dans les domaines budgétaire et de ressources humaines », disait-il.
Le nouveau rapport fait 8 recommandations. Il milite pour une application des textes de décentralisation. Il demande notamment de « mettre en oeuvre les pouvoirs hiérarchiques du recteur de région académique » notamment en lui donnant des moyens budgétaires, et de « limiter les cadrages nationaux à la fixation d’objectifs à atteindre » quitte à évaluer les résultats à postériori.
C’est donc un rapport à suivre. Il se situe dans un contexte de fragmentation des systèmes éducatifs nationaux jugé inévitable par Anne Barrère et Bernard Delvaux dans un numéro de la Revue de Sèvres.
On voit comment dans des domaines importants le gouvernement penche vers la régionalisation des actions. C’est le cas par exemple en ce qui concerne l’éducation prioritaire. En investissant les pouvoirs locaux, à travers les CLA, les territoires éducatifs, le ministère peut ainsi démanteler une politique nationale réellement sociale. La politique de décentralisation concerne directement les enseignants. Il n’est pas indifférent pour eux pour l’exercice quotidien du métier d’être gérés dans le cadre d’une académie ou dans celui d’une région académique. Renforcer la périphérie rentre aussi dans la définition d’une politique qui mine l’Education nationale.
François Jarraud
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