Regard de cartographe #19. Pour nouveau « regard de cartographe », Nicolas Lambert, ingénieur de recherche au CNRS en sciences de l’information géographique a choisi de revenir sur la réforme Borne-Macron des retraites. Il a décidé de traiter un des arguments qu’on nous répète sur tous les plateaux et sur tous les tons : on vit plus longtemps, donc il faut travailler plus longtemps. Et si on examinait cet argument ? En carto bien sûr.
Mardi 24 Janvier 2023
Alors que le monde du travail s’est retrouvé en masse pour défiler dans les rues partout en France jeudi dernier, Elisabeth Borne semble à ce jour s’entêter à mener à bien sa réforme des retraites pourtant rejetée par une écrasante majorité de la population.
Une réforme injuste et injustifiée qui s’inscrit dans une tendance européenne générale visant à faire travailler les gens plus longtemps. Car, on nous le répète sur tous les plateaux et sur tous les tons : on vit plus longtemps, donc il faut travailler plus longtemps. Et si on examinait cet argument ?
Jusqu’à quel âge vivons-nous aujourd’hui concrètement ? Selon Eurostat, l’espérance de vie à la naissance est de de 80,4 ans en 2020 en moyenne dans l’ensemble des 27 pays composant de l’Union Européenne (contre 80 en 2010). En France, elle est de 82,3 contre 81,8 en 2010.
Premier constat donc, cette réforme des retraites n’est pas justifiable par une augmentation récente de l’espérance de vie puisque celle-ci stagne en Europe, voire a tendance à régresser ces dernières années.
Un an de vie en bonne santé gagné en 20 ans
Par ailleurs, toutes les années ne se valent pas. En Europe, le nombre d’années vécues sans problème de santé grave ou modéré (l’espérance de vie en bonne santé) s’élève en 2020 à 64 ans tout rond (contre 63 ans en 2004). Nous avons donc gagné un an de vie en bonne santé en 20 ans. En France, ce chiffre est légèrement plus élevé, 64,6 ans (63,3 ans pour les hommes, 65,3 pour les femmes) contre 63 ans environ en 2004. Là encore, cela représente à peine plus d’une année de belle vie gagnée en 20 ans.
Ces évolutions justifient-elles de reculer l’âge de départ à la retraite ? Évidemment non. D’ailleurs, c’est précisément en comparant ces chiffres d’espérance de vie en bonne santé et les durées légales pour pouvoir partir à la retraite que l’aspect cruel de ces réformes des retraites devient visible. Car en effet, imposer un age légal pour accéder à la retraite à 64 ans alors même que l’espérance de vie en bonne santé est aussi de 64 ans, cela revient ni plus ni moins à supprimer les années de retraites en bonne santé. Ou dit autrement, cela revient à faire travailler les gens jusqu’à ce qu’ils soient bon à jeter. Quel beau projet de société…
Le tableau est encore bien plus sombre si on considère les catégories sociales. En 2018, l’INSEE a mené une étude pour mesurer les différences d’espérance de vie en fonction du niveau de richesse dans la population française. La conclusion de l’étude est connue mais n’en demeure pas moins révoltante : plus on est riche, plus on vit longtemps. Plus on est pauvre, plus on meure jeune. La relation entre richesse et durée de la vie est quasi linéaire.
Corriger les inégalités de la vie ou bien les aggraver
Et cela est particulier marqué chez les hommes. En 2012-2016 (années considérées dans cette étude), l’espérance de vie à la naissance des hommes les 5 % les plus aisés (dont le niveau de vie moyen est de 5 800 euros par mois) est de 84,4 ans. Mais pour ceux qui font parti des 5 % les plus pauvres (dont le niveau de vie moyen est de 466 euros par mois), leur espérance de vie tombe à 71,7 ans. Entre les hommes riches et les hommes pauvres, il y a donc 12,7 ans écart d’espérance de vie. Presque 13 ans. Un gouffre.
Derrière la question de la réforme des retraites, c’est donc tout un projet de société qui se joue. Notre système des retraites doit-il servir à corriger les inégalités de la vie ou bien les aggraver ? Devons-nous tolérer un système économique qui envoie les pauvres au cimetière 13 ans avant les riches ? Sommes-nous d’accord pour nos anciens vivent dans la précarité et le dénuement alors que des milliards sont accumulés par le capital ? Évidemment non. Alors mobilisons-nous !
Nicolas Lambert est ingénieur de recherche au CNRS en sciences de l’information géographique au RIATE : https://riate.cnrs.fr. Il est militant communiste et membre du réseau Migreurop. Il anime également un blog , « carnet neocartographique », et est très actif sur les réseaux sociaux sous le pseudo de « cartographe encarté » @nico_lambert.
Chaque mois, il nous présente une ou plusieurs cartes accompagnées d’un commentaire pour nous aider à comprendre et à appréhender autrement une information, une question de société ou un débat. Nicolas Lambert a participé à la réalisation de plusieurs ouvrages comme l’Atlas de l’Europe dans le monde (2008), l’Atlas des migrants en Europe (2009 , 2012, 2017), le Manuel de Cartographie (2016, publié en anglais en 2020) et Mad Maps (2019). Il enseigne la cartographie à l’université de Paris.
Retrouvez ici l’ensemble des cartes interactives qu’il a réalisées pour l’Humanité.
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