La chanteuse irlandaise, voix sublime et écorchée vive, est décédée mercredi 26 juillet dans sa cinquante-septième année après plusieurs épisodes dépressifs. Elle aura marqué la décennie 90 de sa présence solaire, de ses convictions inébranlables et de projets discographiques remarquables.
On savait la gueule d’ange en proie à des démons. Ils auront finalement eu sa peau, à 56 ans seulement, âge absurde pour mourir. Sinéad O’Connor, promesse de la scène musicale des années 1990, aura refusé toutes les convenances, jusqu’à se perdre dans ses négations et dénégations. Si la figure en est devenue tragique, il serait dommage d’en rester là et d’oublier la voix qu’elle fut, bouleversante et courageuse.
La chanteuse, née en 1966 dans la banlieue de Dublin, subit quelques sévices familiaux avant de se risquer à voler à l’étalage. Direction la maison de correction et le pensionnat. Elle s’en évade pour pousser la chansonnette dans quelques bars dublinois. Sa voix assurée parvient jusqu’aux oreilles de The Edge, la guitariste du groupe U2, qui la fait chanter sur la bande originale du film The Captive. Un an plus tard, elle sort, quasi seule, le superbe Lion and the Cobra (1987). La chanteuse a bien un peu du fauve et du serpent avec son allure sans concession, yeux de biche et crâne rasé.
C’est déjà sa voix qui frappe, claire, nette, puissante, sans trémolo, qui laisse deviner quelques déchirures. On a vite fait de la classer dans le registre punk, bien que musicalement, elle s’en éloigne. Une nomenclature sûrement due à sa dégaine comme aux critiques acerbes qu’elle adresse au groupe U2 ou au soutien inconditionnel à l’armée républicaine irlandaise (IRA). Sa sensibilité à fleur de peau la pousse à aller chercher en 1990 un titre de Prince, Nothing Compares to You, qu’elle tire des limbes avec une grâce qui frappe le monde entier. Ce sera son plus grand succès.
I Do Not Want What I Haven’t Got : 6 millions d’albums vendus et la première place des charts aux États-Unis
L’album qui suit, I Do Not Want What I Haven’t Got (1990), plus en épure, la propulse. Avec 6 millions d’albums vendus, elle prend la première place des charts aux États-Unis. Elle ne leur en sera guère reconnaissante en tournant les talons sur scène lors de la diffusion de l’hymne national. Le pacha Sinatra s’en offusquera, exigeant qu’elle quitte le pays illico. Un étrange album de reprises de standards jazz continue de lui attirer les faveurs, mais elle n’en a cure : sur le plateau du Saturday Night Live, l’Irlandaise déchire une photo du Pape devant des millions de téléspectateurs, évoquant « l’ennemi réel ».
C’est contre la pédophilie dans l’Église qu’elle s’érige. Inaudible alors, tollé. Quand le reproche lui est formulé d’avoir flingué sa carrière, elle s’en prend aux requins de l’industrie musicale : « C’est leur carrière que j’ai flinguée, pas la mienne. » Dès lors, les épisodes dépressifs s’enchaînent et iront en s’aggravant. Sa musique s’en ressentira malgré des franches réussites, les six titres Gospel Oak (1997), ou le très beau Sean-Nós Nua (2002).
Solitaire, elle se rapproche de deux autres têtes dures, Peter Gabriel et Roger Waters. En 2012 sort l’album How About I Be Me (And You Be You)?, sa dernière réussite. Mais la décennie est une douloureuse descente aux enfers. Elle multiplie les tentatives de suicide, témoigne de troubles bipolaires jusqu’à sa conversion à l’Islam, en 2018, qu’elle affiche emmitouflée dans une abaya. En 2022, son fils Shane se suicide à 17 ans. La pente est fatale et la verra elle aussi mourir, un an plus tard, dans des circonstances non communiquées, mais qui laissent peu de doutes sur les raisons profondes du décès.
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