Alors que le Parti socialiste pensait avoir conclu la question de sa liste de candidats pour le scrutin de juin, des voix s’élèvent en interne pour dénoncer son manque de représentativité sociale. Dont celle du député Philippe Brun, qui claque la porte de la direction de la formation politique.
Il fut un temps où les socialistes, regroupés en Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), définissaient leur action par un but, « transformer la société capitaliste en une société collectiviste ou communiste », et un moyen, « l’organisation économique et politique du prolétariat ».
Soixante-dix-huit années ont passé et ces principes aussi. Jusqu’à ne plus voir un seul ouvrier ou membre des classes populaires en position d’éligibilité sur la liste du Parti socialiste menée par Raphaël Glucksmann, tout juste actée par son conseil national, pour les élections européennes de juin.
« Notre projet politique a pourtant vocation à faire émerger de nouvelles têtes, à favoriser une certaine diversité sociale sans forcément faire d’ouvriérisme », déplore le député socialiste de l’Eure, Philippe Brun. Révolté, il a décidé de claquer la porte de la direction du parti. D’autant que celui-ci « bataillait » depuis plusieurs semaines pour imposer « seulement cinq noms » dont les professions étaient les suivantes : vigile, téléconseillère, cheminot… Sans succès.
Un boulanger… à la 41e place
Bien sûr, même si en 1979 la liste menée par François Mitterrand comptait quelques travailleurs, dont Yvette Roudy, dactylographe, les candidatures socialistes aux européennes n’ont jamais été marquées par une très forte présence populaire. Récemment, Nadège Désir, alors conseillère d’insertion, avait été candidate en 2019. Sans oublier Édouard Martin, délégué du personnel CFDT de l’usine ArcelorMittal de Florange, tête de liste élue dans le Grand-Est en 2014.
Un club très privé que rejoint cette année Stéphane Ravacley, artisan boulanger, à la faveur d’une 41e place synonyme d’inéligibilité. « C’est comme ça, je dois l’accepter, nous confie-t-il. Il y a tellement de pressions, de courants à satisfaire… C’est une machine à laver. J’étais 20e sur la première version, je suis 41e à la dernière. Mais toujours le seul à ne pas venir du sérail. »
Cette position, l’ancien candidat malheureux aux élections législatives de 2022 dans le Doubs, soutenu à l’époque par EELV, la déplore davantage pour le grand public que pour lui-même. « Les partis devraient se décider à ouvrir leurs portes au-delà de Sciences-Po, observe-t-il. Pourquoi les gens comme moi ne votent plus ou ne s’engagent plus ? Parce que ceux qui veulent nous convaincre de voter pour eux n’ont pas les mêmes codes que nous. Mais les partis sont des éléphants difficiles à bouger… »
« Quand le PS présente un ouvrier, ce n’est pas par conviction, c’est par calcul »
C’est justement dans ce but que Philippe Brun et Sarah Kerrich-Bernard, première secrétaire de la fédération du Nord, ont mené depuis le mois d’avril 2023 une convention nationale sous forme de tour de France pour multiplier les échanges avec la population. Son nom sonne comme un aveu d’échec : « Retrouvons le peuple ». Le but, instaurer une « parité populaire ». « Je suis pour le grand remplacement des énarques par les caissières et les aides-soignantes », annonçait à l’époque le premier. Un échec définitif ?
« Je suis très en colère de voir cette sortie individualiste gâcher ce travail qui n’était même pas terminé, souffle Sarah Kerrich-Bernard au sujet de la porte claquée par Philippe Brun. Nous devions très prochainement sortir une note sur la question pour pousser le parti à s’ouvrir, un parti qui a le mérite de mener un vrai travail de diagnostic et de solutions. Ce sera sans lui. »
Selon elle, si depuis les années 1970, « le PS est devenu un parti de cadres et d’agents publics », prendre la voie d’une « représentation miroir » n’est pas la solution : « Sur cette liste, je suis 12e. Alors oui, je suis avocate. Mais c’est parce que mes parents, de milieu populaire, se sont arrachés pour que je puisse faire des études. Et je n’ai pas l’impression de moins représenter le Nord, terre populaire, aujourd’hui. Demander des quotas n’est pas une solution, il faut savoir parler à tout le monde. Nous devons y travailler. »
Une polémique qui fait sourire Édouard Martin, ex-eurodéputé élu sous l’étiquette socialiste et désormais retiré du monde politique. « Quand le PS présente un ouvrier, ce n’est pas par conviction, c’est par calcul, analyse-t-il. En 2014, dans les hautes sphères, ils se sont dit que mettre un ouvrier, figure de Florange, défenseur de la sidérurgie, allait leur apporter des voix. Harlem Désir m’a dit à l’époque : ”Tu seras le candidat de la société civile.” Comme s’il n’en fallait qu’un. Pour qu’ils adoptent un ouvrier, il faut être un symbole dont on peut tirer profit, rien d’autre. » C’est la loi du marché.
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