Avec la montée de l’inflation et les allégements de cotisations sociales, le pourcentage de salariés payés au salaire minimum a atteint les 17,3 %. Du jamais-vu depuis plus de trente ans.
Depuis le 29 janvier, les salariés sont dans l’expectative. Dans son discours de politique générale, Gabriel Attal entend « désmicardiser la France » et annonce une réforme du salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic), et ce « dès le prochain projet de loi de finances ». Les détails restent encore inconnus mais les pistes avancées par la ministre du Travail et par le soi-disant groupe d’experts du Smic suscitent des appréhensions, au prétexte que l’indexation automatique du Smic se substituerait au rôle des organisations syndicales et patronales et affaiblirait la négociation collective.
À la fin de l’année 2023, la proportion de salariés rémunérés au salaire minimum s’est élevée à 17,3 %, en hausse par rapport aux 14,5 % enregistrés l’année précédente et aux 12 % de l’année 2021, totalisant ainsi 3,1 millions de personnes. Cette situation, sans précédent depuis plus de trente ans, découle du mécanisme de revalorisation automatique du Smic, qui s’accroît chaque fois que l’augmentation des prix dépasse les 2 %. Cependant, cette indexation automatique sur les prix est propre au seul salaire minimum et ne se répercute pas dans toutes les branches professionnelles, où les salaires de base ne sont réévalués au mieux qu’une fois par an.
Le « tassement des grilles », quésaco ?
Sur les 171 branches recensées, 34 présentent encore des grilles salariales inférieures au Smic, selon les données publiées en décembre par le ministère du Travail. Ce pourcentage a même frôlé les 50 % au cours de cette période. À l’époque, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, avait annoncé la mise en place d’un comité chargé de suivre les négociations, dont les premières actions devaient débuter prochainement. Il a également été confirmé par la nouvelle ministre du Travail, Catherine Vautrin, que des sanctions étaient envisagées pour les branches qui ne se conformeraient pas d’ici au 1er janvier 2025.
Bien entendu, ces salariés ne sont pas payés en dessous du Smic, ce qui serait illégal, mais ils ne bénéficient plus de la progression salariale liée à leur qualification ou à leur expérience dans l’entreprise. Ainsi, comme l’explique Jérôme Gautié, professeur d’économie à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, « les personnes peuvent progresser dans la grille en changeant de coefficient, mais tant que leur coefficient correspond à des minima de branches inférieurs au Smic, leur salaire de base ne progresse pas ». Ce phénomène, connu sous le nom de « tassement des grilles », entraîne un déclassement des travailleurs, particulièrement observé chez les salariés à temps partiel (38,3 %) et au sein des très petites entreprises (26 % dans celles de 1 à 9 salariés contre 15 % dans les autres), mais surtout chez les femmes (57,3 % des salariés au Smic). « Une anomalie qui n’est pas liée à l’indexation du Smic sur l’inflation, mais à la non-revalorisation des minima de branches », insiste de son côté l’économiste Nasser Mansouri.
Cet effet mécanique a déjà été observé en 2005, lorsque le Smic avait connu une augmentation de plus de 5 %. À cette époque, le nombre de salariés rémunérés au salaire minimum avait atteint 16,3 %. Par la suite, ce chiffre avait progressivement diminué, notamment du fait de la réforme Fillon, qui avait introduit des changements dans la manière dont le salaire minimum était calculé et revalorisé. Les mécanismes instaurés visaient à modérer les hausses du Smic.
Loi Fillon et Cice
L’autre volet de cette « smicardisation » des salaires s’explique aussi par la mise en place des exonérations de cotisations sociales initialement instaurées en 1993 et renforcées avec la loi Fillon de 2003, ainsi que, plus récemment, avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice). Cette politique de réduction du « coût salarial » a des répercussions en cascade. En réduisant les cotisations sociales pour les salariés rémunérés autour du Smic (de 1 à 1,6 Smic), les employeurs sont incités à limiter les augmentations de salaire au-delà du salaire minimum. Puisque dépasser ce seuil entraînerait une perte d’exonération, ce qui augmenterait les « coûts de main-d’œuvre » pour les entreprises. Ainsi, les entreprises peuvent préférer maintenir les salaires à un niveau proche du Smic pour maximiser les avantages des exonérations, contribuant ainsi à la stagnation des rémunérations autour de ce seuil et à la smicardisation de l’emploi. Cette dynamique crée un cercle vicieux où les salaires restent bloqués autour du Smic.
Dans une étude publiée en janvier par l’Institut de recherches économiques et sociales, Jérôme Gautié a rencontré des « acteurs de terrain » qui ont observé l’existence de cette « gestion par les seuils ». Ces aides publiques, poursuit l’économiste, sont « une incitation supplémentaire à ne pas augmenter les minima de branches pour les laisser sous le salaire minimum et ainsi bénéficier pleinement du dispositif ». Si bien qu’au total, les exonérations de cotisations sociales sont par deux fois, au niveau de l’entreprise mais aussi de la branche, des incitations à une « trappe à bas salaires », c’est-à-dire un encouragement à ne pas augmenter les salaires.
Or, plutôt que de revenir sur le mécanisme, la ministre du Travail s’est dite prête à travailler avec des experts pour créer « des baisses d’impôts spécifiques pour les salaires se situant juste au-dessus du Smic, de telle façon que le travail soit un outil d’émancipation ».
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