Le débat qui s’est ouvert ici pose une question d’autant plus incontournable que désormais personne ne peut l’éluder. La Théorie parait une activité intellectuelle réservée à quelques initiés, c’est tout le contraire et c’est pourquoi elle est “pratique” parce qu’elle est le sens de l’intervention populaire sans laquelle il n’y a pas d’issue et aujourd’hui le danger est celui de l’autodestruction mortifère de l’impérialisme qui confond son agonie avec celle de la planète. Comme le dit Lénine “sans théorie révolutionnaire pas de mouvement révolutionnaire. On ne saurait trop insister sur cette idée à une époque où l’engouement pour les formes les plus étroites de l’action pratique va de pair avec la propagande à la mode de l’opportunisme” (Que faire ?) et tu montres que ce régime vient de loin, il faut ajouter jusqu’au point où cet engouement pour les formes les plus étroites de l’action pratique a débouché sur l’inertie, sur l’abandon massif de toute activité spécifique du parti, des activités désordonnées, d’autres isolées qui tentent de reprendre pied sans aucune coordination… Le choix de l’opportunisme devient celui de la trahison quand il s’agit du fascisme et de la guerre. Oui il y a eu un sursaut au 38e congrès mais ce que tu décris du 39e congrès qui est bien le refus d’une théorie révolutionnaire est tout sauf une “consolidation”, c’est un désarmement programmé d’un peuple que l’on conduit à l’abattoir alors qu’il cherche en vain les chemins de la résistance, désorienté comme il l’est par l’expérience d’une gauche et d’une droite qui mènent la même politique, qui adhèrent à la même propagande, la théorie c’est ce qui permet justement de rompre avec ce bourrage de crâne autrement que dans des illusions gauchistes et pseudos radicales qui ne servent que les ambitions personnelles c’est pour cela qu’elle est “avant” le parti comme avant le mouvement révolutionnaire, sans elle tout cela est mort. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Le seul juge de la validité de la théorie, c’est l’histoire. La théorie véritablement révolutionnaire est celle qui permet de faire la révolution. La difficulté réside dans deux choses
- avant qu’une théorie soit éprouvée par l’histoire, elle doit avoir créé et trouvé les conditions d’être expérimentée, parfois dans la durée, car une situation historique difficile ne se résout pas d’un seul élan, cela signifie qu’avoir une théorie, c’est en fait avoir tout un système d’analyse et de pensée, largement partagé et en interaction permanente au sein du parti,
- la théorie révolutionnaire doit être adaptée à la situation et aux conditions dans lesquelles elle se déroule, qui changent constamment dans le développement historique, la théorie n’est pas un cadre de pensée fixe, c’est un cadre de pensée dialectique, dans lequel les évolutions constantes et pour une large part imprévisibles peuvent prendre sens grâce au travail et au débat collectif récurrent.
Le Parti Communiste, c’est la preuve de sa nature vivante de parti de masse, a su rapidement s’adapter à des changements rapides de la situation politique. Endurci dans la ligne “classe contre classe”, il a su ouvrir la perspective du Front Populaire en 34 – 36, puis basculer dans la lutte très dure de la période 37-38, passer dans la clandestinité, dans la lutte armée, tout en construisant le Conseil National de la Résistance et parvenir au gouvernement. C’est une séquence tout à fait remarquable. Contrairement aux lieux communs qui consistent à présenter ces évolutions comme des zig-zags, je pense que cette capacité à s’adapter à des situations contradictoires, évoluant rapidement, est la preuve de la qualité de la théorie révolutionnaire dont disposait le PCF à cette période. Théorie qui, d’ailleurs, n’est pas isolée, mais constamment entretenue dans les liens internationaux puissant que le parti conserve avec le PCUS et les autres partis communistes.
L’après-guerre est à nouveau marquée par des évolutions rapides : le gouvernement provisoire avec participation communiste et les acquis historiques, puis la répression après l’expulsion des ministres communistes et le début de la guerre froide, puis les luttes de décolonisation. A chacune de ces étapes, le PCF joue un rôle très actif et important et il continue globalement à se renforcer. S’il a (logiquement dans le contexte militaire de l’époque) accepté de cesser toute perspective de lutte armée, il n’échappe pas à la répression.
Survient une longue période de stabilisation du capitalisme et de l’impérialisme. Stabilisation relative, il y a encore des guerres, des révolutions, des coups d’états, … mais ceux-ci se déroulent essentiellement dans la périphérie du système impérialiste. Aux USA, en Europe, même au Japon, peu à peu, un système impérialiste globalisé se stabilise, se consolide et s’étend. Les forces réactionnaires se renforcent, mais elles peuvent se permettre de rester relativement discrètes. Elles commencent par aider le réformisme à renaître de ses cendres. Il se développera puissamment. Clairement, le PCF n’est pas théoriquement armé pour faire face à une telle période. Il tente néanmoins de s’adapter, il est pris de toutes façons dans le mouvement. Sa base sociale se modifie. D’une part, l’élargissement militant a fait rentrer de nouvelles catégories, d’autre part, les bastions industriels ferment les uns après les autres : mines, aciéries, chantiers navals, usines. Comment lutter contre ça ? Beaucoup de choses ont été essayées, mais inéluctablement, les idées et théories réformistes, l’éclectisme, le relativisme sont entrés et se sont développés dans le parti, avec bien évidemment tout l’appui extérieur nécessaire.
Aujourd’hui, cette période a pris fin. La situation se tend, et nous allons peu à peu vers de grands affrontements de classe, dans le cœur du système impérialiste et dans sa confrontation avec son ancienne périphérie, avec les pays socialistes, avec le “Sud global”. Le PCF en sort très affaibli et en difficulté, mais l’impérialisme et le capitalisme sont entrés dans une nouvelle époque de crise qui mènera inéluctablement à la construction de grands partis révolutionnaires et au socialisme.
La première étape est d’accepter la situation dans laquelle nous sommes, collectivement. Reconnaître la situation dans laquelle est le parti, sans faire injure à personne, c’est un fait et il faut partir des faits.
Il faut admettre que, sous la pression de la situation, le parti a connu une profonde dérive réformiste, dont le point culminant a été la mutation Huiste. Le 38ème congrès a marqué une évolution et je suis d’accord avec le constat de Danielle, c’est ce qui s’est fait de mieux. On ne sort pas de la désorientation en s’élançant à toute vitesse dans une direction, mais en avançant pas à pas et en observant attentivement autour de soi.
Le 39ème congrès est arrivé trop tôt. Il n’a pas représenté une étape supplémentaire, mais a simplement consolidé les acquis du 38ème, en reconduisant certains compromis problématiques sur les questions délicates. Par exemple, il n’y a pas eu de débat sur l’Europe, renvoyé à une conférence nationale qui s’est elle-même déroulée sans aucun débat au sein du parti. Toujours pas de débat non plus sur le socialisme.
Le besoin d’aller de l’avant se fait pressant. La guerre enfle et s’élargit chaque semaine. La pression des forces fascistes s’intensifie. Simultanément, la base sociale du régime impérialiste s’érode constamment et oblige à des acrobaties politiques perpétuelles pour sauver les apparences. La jeunesse qui grandit dans des conditions de vie radicalement différentes de celles des générations précédentes exprime chaque jour un besoin d’idées et de théories révolutionnaires pour s’armer face à la situation. Cela s’est d’ailleurs notamment manifesté, lors du 39ème congrès par un texte retentissant de nombreux responsables de la JC, texte dont malheureusement le parti ne s’est pas saisi pour ouvrir un dialogue approfondi.
Nous avons devant nous beaucoup de travail, cela, nous le savons depuis longtemps. Je crains désormais que nous n’ayons plus beaucoup de temps. Donc, beaucoup de travail reste devant nous.
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