Le président de la République a rejeté toute responsabilité dans la crise politique en cours, qu’il a provoquée avec la dissolution de l’Assemblée en juin et la nomination de Michel Barnier à Matignon, au mépris du résultat sorti des urnes. Isolé comme jamais depuis la censure votée par les députés contre son premier ministre, il appelle désormais à un gouvernement « d’intérêt général » sans en préciser la feuille de route, à part celle de refus d’une hausse des impôts.
Emmanuel Macron est toujours dans le déni. Plus que jamais. La chute de Michel Barnier, premier ministre qu’il avait choisi après deux mois de réflexion, une durée exceptionnellement longue, jamais vue dans l’histoire de la Ve République ? Ce n’est pas sa faute. Rien à voir avec les décisions prises à l’Élysée. « Je n’assumerai jamais l’irresponsabilité des autres », a assené le président de la République, lors de son allocution télévisée de jeudi soir. Le chef de l’État s’en est pris aux autres, à ces députés coupables d’avoir voté une censure de l’exécutif « avant Noël ». Le tout malgré des « concessions faites à l’ensemble des groupes ».
On cherche encore pourtant les concessions faites à gauche… « L’extrême droite et l’extrême gauche se sont unies dans un front antirépublicain », ose même dénoncer Emmanuel Macron, traçant un parallèle odieux et dangereux entre le Nouveau Front populaire (NFP) et le Rassemblement national (RN). Le tout alors que c’est lui qui, en envoyant Michel Barnier à Matignon, en lieu et place de la gauche qui était arrivée en tête des législatives, a sciemment placé l’ancien premier ministre en situation d’usurpateur qui ne pouvait tenir que grâce à l’extrême droite.
Incapable de voir la vérité en face
L’hôte de l’Élysée refuse donc de regarder son échec en face. C’est pourtant lui qui assurait avoir trouvé la perle rare, capable d’éviter une « motion de censure à l’automne ». Pari manqué. Le président semble n’en avoir tiré aucune leçon. Celui qui place la prétendue « stabilité » devant le respect de la démocratie refuse encore et toujours d’entrer en cohabitation avec la gauche. « Si je nomme Lucie Castets ou un représentant du NFP, ils abrogeront la réforme des retraites, ils augmenteront le Smic à 1 600 euros, les marchés financiers paniqueront, et la France plongera », avait-il déclaré cet été, selon des propos rapportés par l’Express.
C’est donc parce qu’il refuse toute alternative à sa politique économique et sociale qu’Emmanuel Macron s’est jusqu’ici toujours plus enfoncé dans une impasse. Il n’a pourtant d’autre choix que de reconnaître qu’il ne peut plus gouverner seul. Aucun exécutif, aujourd’hui, ne peut s’asseoir sur l’Assemblée nationale : c’est dans ses travées que se feront les choix politiques de demain et que tomberont ou non les premiers ministres. Le président doit l’accepter. Il s’est finalement montré flou. Il nommera bientôt un nouveau premier ministre chargé de bâtir un « gouvernement d’intérêt général avec toutes les forces politiques » qu’il place dans l’arc républicain.
Mais avec quelle feuille de route ? Certes, le chef de l’État semble exclure de renommer un gouvernement de droite dont la béquille, et le maître chanteur, serait le RN. C’est cette option qui a conduit Michel Barnier dans l’ornière, Marine Le Pen comprenant très bien qu’elle pouvait exiger toujours plus, et in fine tenir en laisse un premier ministre ainsi embarqué. Emmanuel Macron semble ne pas vouloir pousser davantage dans cette direction, la pire possible. Il donnerait ici toujours plus de gages au RN.
Macron élude sa démission
L’autre solution serait de laisser le NFP gouverner, la Macronie se plaçant en béquille, et à ses yeux en « garde-fou », des ambitions de justice sociale, fiscale et écologique des députés de gauche. Mais cette option démocratique a maintes fois été écartée par l’Élysée, qui semble avoir pour priorité absolue le maintien de la réforme des retraites et la poursuite des baisses d’impôts. C’est pour éviter la gauche au pouvoir qu’Emmanuel Macron, comme le font déjà plusieurs députés, propose donc une forme de « gouvernement d’intérêt général » rassemblant toutes les forces dites « républicaines ».
Ce qui revient à exploser le NFP. Car, dans la bouche des macronistes, le champ républicain exclut la France insoumise. Mais un arc large allant des autres formations de gauche à LR, en passant Liot et les trois groupes macronistes, pourrait-il seulement proposer une politique cohérente et soutenir des mesures autres qu’homéopathiques ? François Bayrou et certains sociaux-démocrates sont persuadés que ce défi peut être relevé.
Mais de quel côté tomberont les textes législatifs : à gauche, ou à droite ? Qui mangerait son chapeau ? Les élus LR, ou les députés de gauche ? Qui serait l’arbitre en cas de scrutin serré ? Le RN, ou bien la FI, ici injustement exclue du cadre de la République, et au risque que d’autres le soient demain ? Quant à la possibilité de nommer un « expert » à Matignon, prétendument au-dessus des clivages politiques, il sera lui aussi très rapidement confronté au même problème mathématique et politique : ou bien il regarde vers le RN, ou bien il regarde vers la gauche.
« Le mandat démocratique que vous m’avez confié est un mandat de cinq ans et je l’exercerai jusqu’à son terme », a-t-il insisté. Tant pis si près de 60 % des Français réclament son départ. « Nous avons devant nous 30 mois. 30 mois jusqu’au terme du mandat que vous m’avez confié. 30 mois d’action utiles pour le pays », a-t-il incité, comme s’il suppliait le peuple de France, qui lui est hostile, de la laisser tranquille pendant 30 mois.
Mais avant d’arriver au terme de ces 30 mois, il y a un budget à faire passer. Ce sera la « priorité » du futur gouvernement. « Une loi spéciale sera déposée à l’Assemblée. Elle appliquera pour 2025 les choix de 2024 », a invité Emmanuel Macron. Le budget de 2024, qui a conduit le pays dans une situation de grave déficit, sera donc renouvelé… En attendant, « en début d’année, un nouveau budget ».
Un chemin existe-t-il seulement ? Le Rubik’s cube d’une majorité à trouver reste entier, à moins de conclure un pacte rare dans notre histoire et inédit dans le cadre de la Ve République, et va peut-être contraindre Emmanuel Macron à tester bien des solutions, en y perdant toujours plus de plumes au passage. Avant une clarification attendue en 2027, ou avant, en cas de dissolution. À moins que le président n’ait à terme recours à l’article 16, revendiquant des pouvoirs exceptionnels devant la crise qu’il a provoqué. Ce qui constituerait une insupportable forfaiture contre la démocratie.
Unanimement, la gauche a fustigé les propos du président. « On ne sait jamais quelle folle décision Emmanuel Macron est capable de prendre. Mais on peut toujours être sûr d’une chose : dans son beau miroir, il est un génie incompris, victime d’électeurs qui votent mal et de parlementaires irresponsables », s’est désolée la sénatrice et numéro deux du PS Corinne Narassiguin.
« Il y a une bonne nouvelle ce soir : le président de République n’a pas nommé à la va-vite un premier ministre encore plus à droite. Sur tout le reste, c’est simple : rien n’allait. Ça va mal se terminer », mesure pour sa part Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes. « Le peuple de France mérite définitivement mieux que Macron. Incapable de reconnaître sa responsabilité, de dépasser son narcissisme maladif, de comprendre la colère qui secoue le pays. Macron doit s’en aller. C’est inéluctable », considère Mathilde Panot, présidente du groupe France insoumise à l’Assemblée. « Incapable d’assumer ses responsabilités dans la crise : en appeler aux urnes, en ignorer le résultat. Moins il se mêlera de la suite, mieux la France se portera », ajoute Ian Brossat, porte-parole du PCF.
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