« Combien de temps ce raconteur d’histoires va-t-il durer ? » L’historien Claude Lelièvre nous livre cette semaine une chronique sous forme d’histoire ou de billet d’humeur. C’est une histoire à dormir debout dans laquelle on supprime des postes de professeurs dans un pays où la situation de l’école est inquiétante, de l’aveu du ministre en personne. Dans cette histoire, les effectifs de classes sont certes en baisse mais toujours plus chargés en moyenne que dans d’autres pays.

Il faut reconnaître que la première a le mérite d’être inédite. Le 22 octobre, sur France Inter, Edouard Geffray a en effet déclaré que « la lecture, c’est l’urgence absolue, on a un énorme problème. Il faut que la pratique de la lecture soit beaucoup plus intensive dans les classes, mais aussi que tous les parents lisent une « histoire du soir » aux « 0-6 ans » »

La lecture du soir

Voilà qui rompt avec le chiffon rouge de la responsabilité principale attribuée en l’occurrence aux méthodes de lecture (en particulier via l’opposition « méthode syllabique » – « méthode globale »)  qui ne saurait pourtant expliquer pourquoi on a de telles variations de résultats selon le territoire de notre beau pays de France : par exemple, et de façon continue au fil des années, 16 % de jeunes jugés en grande difficulté de lecture dans le département de l’Aisne contre 4 % à Paris…

Mais voilà aussi qui laisse ‘’rêveur’’ (sinon ‘’endormi’’) : par quel miracle la ‘’solution’’ ministérielle (« que tous les parents lisent une histoire du soir aux ‘’0-6 ans’’ ! ») pourrait-elle s’accomplir par-delà les situations concrètes et socio-culturelles réelles ?

La seconde histoire n’est pas totalement nouvelle dans son principe, mais a un sel tout particulier telle qu’elle est racontée par le nouveau ministre qui a quand même la particularité d’avoir été DGESCO (directeur général de l’enseignement scolaire) de 5 des ministres qui se sont succédé durant la dernière période.

Il ne s’en cache pas, bien au contraire : « J’ai travaillé sous cinq ministres différents qui avaient des orientations différentes […]. Je l’ai fait loyalement ». Mais la fin de cette histoire (d’humour noir ?) interpelle : « la situation de l’Ecole est extrêmement inquiétante en termes de niveau, en termes d’inégalités scolaires, en termes de santé physique et psychique des élèves ».

« J’ai ma méthode »

On peut pourtant dormir tranquille, car le nouveau ministre de l’Education Nationale l’assure et rassure : «J’ai ma méthode».

Elle se concrétise immédiatement par l’annonce de plus de 4000 postes d’enseignants en moins. Mais c’est ‘’méthodique’’ si ce n’est automatique : cela découle mécaniquement de la baisse démographique. En fait, c’est une belle histoire à raconter, une bonne nouvelle : en dépit de cette diminution de postes alors que « la situation de l’Ecole est extrêmement inquiétante », on atteindrait enfin un niveau d’encadrement ‘’rêvé’’ jamais atteint : pas plus de 21 élèves par classe en moyenne (même si le nombre d’élèves par classe en moyenne est nettement moins élevé dans nombre de pays de l’OCDE).

Bon. Combien de temps ce raconteur d’histoires va-t-il durer ? Cinq ans, comme Jean-Michel Blanquer qui l’a nommé DGESCO, lors du premier quinquennat du président Emmanuel Macron ?

1 an et 2 mois comme Pap Ndiaye ? 5 mois et demi comme Gabriel  Attal ? 1 mois comme Amélie Oudéa-Castena ? 7 mois comme Nicole Belloubet ? 2 mois et demi comme Annie Genetet ?

Une autre histoire, la grande ‘’Histoire’’, tranchera.

Claude Lelièvre