« Canon français » : l’Humanité s’est rendue dans le banquet breton, là où les réacs font bonne chère

Malgré une première annulation, les banquets du Canon français, société contrôlée par Pierre-Édouard Stérin, ont bien eu lieu ce week-end, en dépit de l’opposition d’habitants et d’élus.

À Goven (Ille-et-Vilaine), trois banquets du Canon français, société contrôlée par Pierre-Édouard Stérin, ont eu lieu le week-end des 8 et 9 novembre malgré une première annulation. © Julien MarsaultGoven (Ille-et-Vilaine), correspondance particulière.

 

Tout est bon dans le cochon, paraît-il. Ce vendredi soir, au château de Blossac, situé au sud de Rennes (Ille-et-Vilaine), on en dénombre une palanquée, embrochés d’abord, puis servis sur des plateaux. Il faut bien ça pour contenter les quelque 800 personnes venues ripailler à l’appel du Canon français.

En ce week-end du 8 et 9 novembre, la société d’événementiel créée en 2021 y organisait une nouvelle édition de ses « banquets » : trois d’affilée, façon roman national et fête de village bien arrosée.

Au menu, bérets, marinières, Sardou et quilles de rouge

« Le problème aujourd’hui, c’est le politiquement correct. Nous, on aime faire la fête, se retrouver autour de valeurs communes », résume Guillaume, 36 ans, débarqué de Loire-Atlantique avec sa bande de copains. À l’intérieur du chapiteau installé sur la pelouse, on se poile et on danse au rythme de Sardou, Matmatah ou Johnny. Des trentenaires blancs pour la plupart, habillés de bérets, marinières, colliers de fleurs en plastique ou chemises hawaïennes. Sur les tables, du pain un peu trop cuit, des patates et des quilles de vin rouge. Le tout pour 80 euros par personne, quand même. On est loin des tarifs sans chichi des fest-noz qui rythment la vie de la Bretagne rurale depuis des générations.

À l’origine, l’événement devait se dérouler à une trentaine de kilomètres, au château des Pères, à Piré-Chancé. Très vite, des habitants lancent une pétition demandant son annulation. Le Canon français est en effet passé récemment sous le pavillon d’Odyssée Impact, fonds d’investissement du milliardaire Pierre-Édouard Stérin. Ces banquets sont souvent l’occasion de brandir un drapeau royaliste, de lancer quelques saillies racistes ici et là, ou de chanter à la gloire de Jordan Bardella. Sous la pression, le propriétaire des lieux fait volte-face. Mais le Canon français trouve rapidement un plan B, largement soutenu par l’extrême droite, qui y voit un acte de résistance face à « l’ultragauche ».

Ce banquet, l’Humanité y a eu accès, comme d’autres médias. D’ailleurs, la foule est prévenue, et se tient à carreau. Les organisateurs, Géraud du Fayet de la Tour et Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse, veulent montrer patte blanche. Pour ces aristo-entrepreneurs, l’événement ne serait qu’une simple fête célébrant l’amour de la ripaille et du patrimoine. « Mon grand-père était agriculteur. Pour moi, c’est extrêmement important, le terroir. Et j’adore la bouffe ! » justifie le second.

Une bataille culturelle dans une région connue pour son héritage antifasciste

Pas convaincus par ce discours, une douzaine d’élus bretons avaient demandé, début novembre, l’annulation de l’événement. Contactée, la préfecture estime que la bonne tenue de ces banquets revient à l’organisateur mais indique avoir déployé un dispositif de sécurité, en cas de trouble à l’ordre public.

« On se considère comme des victimes mais on fait bonne figure parce que nous, on est dans le divertissement. Notre objectif n’est pas de politiser quoi que ce soit », assurent les deux entrepreneurs, qui ont tout de même porté plainte contre les élus pour « diffusion de fausse nouvelle » et « entrave à la liberté d’entreprendre ».

Et Stérin dans tout ça ? « Il est radioactif à partir du moment où l’on décide d’arrêter de bosser avec lui, et où l’on s’excuse. Mais nous, on ne dira pas pardon », glissent-ils. Interrogé sur CNews la veille, Christophe de La Rousserie, le propriétaire du château, assume. Pour lui, ces banquets sont une aubaine inespérée pour engranger des fonds et rénover sa propriété.

Les débordements qui semblent faire partie intégrante de la fête, Mathis en a pourtant été témoin. En 2024, une centaine de « canonniers » fait irruption dans le bar où celui-ci travaille à Rennes. L’après-midi doit pourtant être consacrée à des contes pour enfants. « L’ambiance était calme. Mais eux étaient là pour ”se terminer”, ils ont commencé à mal se comporter. Ça s’est envenimé, on a dû appeler la police. »

L’organisation de soirées « financées par un milliardaire d’extrême droite » nécessite de se mobiliser, estime Armelle, la cinquantaine. Depuis des semaines, celle-ci s’efforce avec d’autres habitants d’informer sur la bataille culturelle qui se joue, en particulier dans une région connue pour son héritage antifasciste.

Pour ce faire, un joyeux fest-noz et un banquet solidaire se sont tenus, vendredi soir, dans la commune voisine de Bruz. « Depuis des années on nous demande de faire barrage. Mais seulement dans les urnes. Quand il s’agit d’aller sur le terrain, il n’y a plus personne », regrette-t-elle, appelant le monde culturel et politique à réagir.


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