Loi sécurité globale, confinement, dépassement du capitalisme, culture du vivant… L’écrivain de science-fiction démarre l’année 2021 avec un grand entretien pour « l’Humanité Dimanche ».
Dimanche 27 décembre. L’année 2020 touche à sa fin et le romancier Alain Damasio part en Bretagne pour une session d’écriture. Juste avant, « l’Humanité Dimanche » lui a tenu compagnie pendant deux heures, pour une séance photo au-dessus d’un centre commercial Montparnasse déserté, avant un long entretien plus au chaud, dans la gare. L’écrivain de science-fiction enthousiaste et plein de vitalité n’en finit plus de se passionner pour le monde et les façons de lutter.
L’année 2020 a ressemblé à s’y méprendre à un mauvais scénario de science-fiction (SF). Pandémie mondiale, virtualisation des rapports sociaux, lois liberticides… Comment réagissez-vous à cette irruption de la SF dans nos vies ?
Alain Damasio La science-fiction cherche surtout à interroger le réel. Elle accentue le présent. C’est sa fonction première. Ce qui me frappe le plus avec cette pandémie, c’est que l’autre, mon prochain, est sans cesse présenté comme source de contamination, de maladie et de mort. Il devient foncièrement suspect, ce qui est un pli propre aux régimes totalitaires. Avec le Covid, tout ce qui est l’altérité devient dangereux, parfois jusqu’à l’intérieur même du couple et de la famille. Le seul endroit paisible, c’est seul devant son écran à travailler ou à consommer du numérique. C’est ce que j’appelle le « technococon ». C’est passionnant car c’est de la SF au sens classique : on vit dans un laboratoire en temps réel ! La distanciation physique et sociale déjà induite par les médias numériques est poussée au maximum. Les autorités nous font vivre comme ça et regardent, si c’est tenable ou non… Le premier confinement m’a scié. Je m’attendais à ce que la privation des libertés soit vécue comme une entrave insupportable, surtout chez les ados : cela n’a pas été le cas.
Lire notre dossier : Soldat augmenté, drones, reconnaissance faciale… Quand le pire de ce qu’a imaginé la SF débarque dans nos vies
Dans vos romans, le « technococon » est présenté comme aliénant.
Alain Damasio Bien sûr ! Il peut être vécu comme protecteur, sauf qu’il aliène, il nous « étrange ». La perte de vitalité que je sens en Occident vient du fait que l’on conjure l’altérité au maximum. On s’est coupé des animaux, des plantes, de l’extérieur, du chaud, du froid… On conjure le rapport à la maladie, à la vieillesse et à la mort. Des familles n’ont même pas eu le droit de voir leurs parents mourants, et les enterrements se sont faits en catimini : c’est anthropologiquement sidérant ! Au final, toutes les formes d’altérité sont filtrées ou dissoutes : on est dans notre ego-centre-ville, protégé par le « technococon » parfaitement congruent avec le néolibéralisme et l’individualisme forcené. Cela n’empêche pas la consommation. C’est même l’avenir du marketing ultime : le commerce est importé à l’intérieur de ton espace personnel. C’est un test grandeur nature de consumérisme néolibéral.
La disparition de la culture signale souvent la dystopie en littérature. Vos concerts ont été annulés cette année. Et le gouvernement considère que la culture n’est pas essentielle. Qu’en pensez-vous ?
Alain Damasio Je le vis comme une volonté de punir un secteur. C’est incroyable d’oser faire ça. Aucune justification rationnelle ne tient : les trains, métros et supermarchés sont blindés ! Dans une salle de théâtre, de concert ou de cinéma, tu as de la hauteur sous plafond, un système d’aération, de l’espacement… Économiquement, la culture rapporte de l’argent mais coûte en subventions. Alors ? J’en viens à me demander s’il n’y a pas une volonté de purger un secteur et de faire le tri, en plus de casser ce qui permet aux gens de se ressourcer, de s’ouvrir, de réfléchir. La culture est le lieu par excellence de la dissidence, de la révolte et de l’éveil. Oui, il y a une épidémie à combattre, mais le gouvernement y répond par un triptyque travailler-consommer-la fermer qui instaure une démocrature néolibérale assez idéale pour lui.
Que pensez-vous de la gestion de crise ?
Alain Damasio Emmanuel Macron gère le pouvoir comme un chef d’entreprise médiocre, à l’envers de toute gouvernance moderne, partagée et fondée sur l’intelligence collective. Il décide seul et jouit de sa verticalité stupide. Le Covid, comme toute catastrophe, reste un effet d’aubaine pour les chefs d’État : les cotes de popularité remontent même s’ils font n’importe quoi. Celle de Macron est dix points au-dessus de ce qu’elle était au moment des gilets jaunes. Quand Macron parle pendant le Covid, il a 35 millions de personnes qui l’écoutent, au lieu de 6,5 millions habituellement. C’est hallucinant ! Même la finale de la Coupe du monde, c’est 20 millions de personnes devant l’écran. Le gouvernement tire un bénéfice mécanique d’être un pôle de réassurance. Et il en profite pour faire passer des lois liberticides ignobles qui lui donneront encore plus de pouvoir, comme on le voit avec la loi sécurité globale.
Voilà une loi digne d’un roman de SF dont l’article 24 installe un délit d’intention et vise à empêcher citoyens et journalistes de filmer la police…
Alain Damasio Si ça passe, c’est un vrai basculement. Je suis toujours le premier à crier : « Ah, c’est fasciste, c’est cryptofasciste ! Ah, c’est protofasciste, c’est parafasciste ! » dès lors qu’il y a un mouvement vers l’autorité. Mais, là, c’est plus que justifié. Si tu offres la possibilité à la police de déchaîner sa brutalité sans aucun moyen de contrôle, tu adoubes le fascisme ordinaire. N’importe quel avocat le dira : le seul élément qui permet de renverser une audience sur les violences policières, c’est la vidéo. Tout le reste protège les policiers. De façon scandaleuse, toute la chaîne hiérarchique ment en cas d’agression, du chef de brigade jusqu’au préfet, au parquet et au ministère. Tous couvrent ceux qui ne sont pas filmés en flagrant délit, alors qu’ils sont censés être les garants du droit et de l’éthique. Même l’IGPN !
Je ne dis pas que les policiers ne sont pas sous pression dans leur métier : ils le sont. Mais, justement : si tu leur envoies le message libidinal de « vous pouvez vous lâcher, et il n’y aura aucune conséquence », c’est terminé. Il y a eu des tas de lois liberticides depuis 1990, mais aucun basculement de cette ampleur. C’est grave.
L’idée que le privé serait plus efficace que le public par essence est, je crois, l’une des plus grandes arnaques intellectuelles en cours.
La loi sécurité globale prévoit de généraliser l’usage des drones pour les techniques de maintien de l’ordre, et de confier toujours plus de missions de police au privé…
Alain Damasio Le drone, c’est presque la tarte à la crème de la science-fiction. C’est l’un des plus grands clichés, un marqueur, un gimmick archétypal un peu has been. Ils sont utilisés depuis très longtemps par les autorités, qui cherchent juste une loi de validation. C’est très intéressant pour eux : tu peux cartographier les forces en présence. Dans une logique d’affrontement que le gouvernement impose désormais en manifestation, c’est précieux, ça donne l’avantage. Quant au transfert de missions régaliennes au privé, c’est à la fois pervers et dangereux. On sait déjà que le privé est moins vertueux que le public, dans ses objectifs mêmes de rentabilité et dans son manque d’indépendance. Quant à l’idée que le privé serait plus efficace que le public par essence, je crois que c’est l’une des plus grandes arnaques intellectuelles en cours.
Le Conseil d’État vient d’exiger de la préfecture de police de Paris qu’elle cesse toute surveillance des manifestations par drones…
Alain Damasio Cet aspect multifront est très intéressant. Il y a un combat citoyen qui est au cœur des romans de SF, mais il y a aussi un combat juridique et institutionnel. Des instances mises en place par des gouvernements bourgeois se mettent à jouer leur rôle. Jacques Toubon a été incroyable quand il était Défenseur des droits. C’est le plus beau motif d’espoir sur la mutation d’un homme politique jamais vue ! Le Sénat pendant l’affaire Benalla a aussi montré que les résistances démocratiques peuvent venir de l’intérieur. Il y a un tissage qui finit par fonctionner à certains moments, pour stopper des situations inadmissibles. Mais ça ne suffit pas d’attendre que les institutions fassent le boulot : il faut être dans la rue et chercher l’action directe. Tous les modes de lutte doivent être sollicités, surtout les plus inattendus.
Pendant le confinement, on ne parlait que du « monde d’après ». Mais le capitalisme arrive toujours à se réinventer. Que faire ?
Alain Damasio Ce « monde d’après » relève de l’opportunité historique. Chacun se dit que cette crise subite, cette rupture, pourrait servir à changer le monde. Mais c’est une illusion. L’aptitude à la routine des gens, leur familiarité avec un système ne se brisent pas d’un seul coup. Je suis convaincu qu’on ne peut dépasser le capitalisme que si on arrive à le battre sur le terrain du désir (même s’il a dégradé le désir en besoin, et le besoin en pulsion d’achat). C’est le désir en acte, et donc la puissance des liens, des relations que l’on tisse, qui le rendront caduque. Redonner puissance au désir, via notre capacité à créer des collectifs suffisamment riches, bienveillants, ouverts, ancrés sur des territoires notamment ruraux, peut nous sortir de l’auto-asservissement et de la consommation comme ersatz d’accomplissement. Ça paraît simple, mais c’est exigeant. Il faut une certaine qualité de liens et de projet, un bonheur à faire ensemble et des lieux d’expérimentation libres.
Retrouvez notre série « Penser un monde nouveau », des contributions pour inventer des alternatives.
C’est le cas de vos livres ?
Alain Damasio Un bouquin doit être une armurerie, disait Deleuze : tu entres pour nourrir tes combats. Le livre doit te transmettre une énergie. Mais cela ne suffit pas. Pour dépasser le capitalisme, il faut organiser l’expérience concrètement vécue d’un autre modèle qui sera plus fort et plus désirable. La culture est l’un des terrains de lutte. Au point que la dynamique capitaliste s’appuie énormément sur l’industrie de l’imaginaire par les jeux vidéo, les séries télé, le cinéma et la littérature. Une économie de l’attention très efficace a été mise en place. Le but est de l’incurver, pour susciter l’émancipation. Mais le monde d’après ne se fera pas sur Internet, par un film ou un livre, même en y déployant un imaginaire révolutionnaire sublime. L’étape la plus décisive reste celle d’éprouver dans les faits une nouvelle façon de vivre. La ZAD par exemple a permis ça.
Si on associe les trois couleurs, les gilets jaunes, les verts et les rouges, on aura un beau vivier de luttes communes !
Dans « les Furtifs », vos personnages fuient des villes où l’espace public est privatisé, contrôlé et dédié à la sollicitation commerciale permanente, pour se reconnecter au vivant dans des espaces libérés. C’est une idée ?
Alain Damasio Je suis justement en train de passer du livre de SF à l’expérience concrète ! On monte une sorte de zone autogouvernée. J’appelle ça une ZOUAVE : une zone où apprendre à vivre ensemble, une zone où apprivoiser le vivant ensemble. C’est en montagne, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Ce sera une vraie école du vivant, qui croisera art, politique et écologie. Un lieu de pratique de rapports humains horizontaux, qui vise l’autonomie énergétique et alimentaire, et saura renouer avec le vivant. Il y a une auberge et de la place pour héberger. On fera du maraîchage, un élevage de chevaux, des ateliers, des cours de philosophie, des formations à l’action directe, du croisement des luttes écologiques et sociales. On va travailler sur des systèmes de démocratie distribuée, développer au maximum l’intelligence qu’un groupe peut avoir quand il bosse ensemble. L’horizon est d’élaborer des îlots de résistance qui fassent archipel, essaiment dans leur diversité, accueillent ceux qui galèrent et leur donnent le goût de se battre. Baptiste Morizot le dit magnifquement : il faut que la culture des luttes propre à la France, qui est presque patrimoniale, s’associe à la culture du vivant. Si on associe les trois couleurs, les gilets jaunes, les verts et les rouges, on aura un beau vivier de luttes communes !
Que répondez-vous à ceux qui disent que vous ne faites pas de littérature, mais des tracts politiques déguisés ?
Alain Damasio Si c’est vrai, ça signifierait que je ne fais pas mon boulot ! J’ai toujours défendu la conviction – c’est l’école de Sartre et Camus – que les livres doivent porter des valeurs claires et politiquement situées. Transmettre une vision du monde, servir de boussole, de carte, offrir des pistes pour s’engager est un choix délibéré : mes romans s’architecturent autour de ça. Mais toute vraie littérature, et j’espère que la mienne en relève, échappe au sermon et au message. Elle contient toujours une puissance poétique libératrice, une ouverture native et une polyphonie qui fait que tu n’es pas soumis à un discours univoque sur le réel. Même dans « la Zone du dehors », il est possible d’adhérer au discours du président. L’ennemi garde sa richesse et son humanité. Dans « les Furtifs », chaque personnage a sa propre voix et approche. Et puis la langue même est un faisceau de possibles : je joue avec la forme des lettres et l’allure visuelle des caractères, leur typoésie. Je crée aussi des néologismes pour désincarcérer nos novlangues.
Politiquement, dire « je vais vous montrer le monde d’un seul point de vue » est suspect.
Dans « la Zone du dehors », « la Horde du contrevent » ou « les Furtifs », il y a à chaque fois plusieurs narrateurs. C’est une constante dans vos romans. Pourquoi ?
Alain Damasio Je ne comprends pas que l’on fasse encore des romans vus d’une seule tête, d’un seul corps, d’un seul style, d’une seule vision du monde. Je trouve ça ultraégocentré et non représentatif de ce qu’est la réalité. Politiquement, dire « je vais vous montrer le monde d’un seul point de vue » est suspect. On est des solitudes quand on écrit, mais des solitudes extraordinairement peuplées : on est multiple de tout ce qu’on a entendu, vu, rencontré. Notre porosité à cela fait que l’on devient capable de porter un arc-en-ciel de perceptions. Le lecteur aborde ainsi le réel à travers différents points de vue. L’effet de spirale, de préhension ne peut être que bénéfique. Cela demande un effort. Mais la vraie bonne nouvelle est que cette exigence ne rebute pas. Les gens s’accrochent et sont heureux d’arriver au bout du voyage. C’est un pied de nez aux éditeurs qui croient faire des succès en offrant du trivial et du prémâché.
Plusieurs auteurs de SF ont accepté en décembre de rejoindre une « Red Team » constituée par le ministère des Armées pour anticiper les conflits du futur. Cela aurait pu vous intéresser ?
Alain Damasio Tous les ministères auraient intérêt à inviter des auteurs de SF pour travailler sur le futur. De ce point de vue, la démarche du ministère des Armées est plutôt maligne. Mais, en tant qu’auteur de SF, c’est bien le dernier lieu où j’irais prostituer mon talent ! Ceux qui participent, qu’ils le veuillent ou non, s’inscrivent dans un imaginaire consenti de la guerre. Notre travail, au contraire, est de rendre désirables des imaginaires de paix, d’accueil, de société solidaire, d’immigration ouverte et acceptée, d’éducation et de santé démarchandisées, au service de tous. C’est ce qu’on a fait à la Volte avec les livres collectifs « Demain le travail » et « Demain la santé », pour se projeter dans 50 ans en tournant le dos aux logiques ultralibérales. La SF doit proposer des prototopies, des altermondes. Du reste, les publicités de l’armée sont excellentes, avec un boulot très bien fait sur l’accomplissement personnel et le raccrochement au collectif. Mais si on faisait les mêmes pubs pour les instituteurs et l’éducation, cela aurait quand même plus de gueule ! Ce serait le signal que notre société va dans le bon sens.
Le comité d’éthique de la défense vient aussi de donner son feu vert à la recherche sur le soldat technologiquement augmenté, à travers des interventions corporelles invasives.
Alain Damasio C’est du cyberpunk bâtard, un imaginaire immature. Ce n’est pas le soldat augmenté qui va changer quoi que ce soit dans la gestion des conflits de demain. C’est en partie alimenté par un imaginaire de superhéros de chez Marvel et DC, que j’appelle l’imaginaire de « l’empouvoirement » et pas de « l’empuissantement », car je distingue pouvoir et puissance. Le fait d’avoir des superpouvoirs, le mythe du transhumanisme trivial, est une croyance de personnes dévitalisées qui n’arrivent pas à être vivantes dans leur corps. C’est une impasse de penser que la machine, la technogreffe vont leur donner une puissance qu’elles n’ont pas intérieurement. Ces personnes vivent l’être humain normal comme fondamentalement handicapé.
Bien que le merveilleux et le fantastique soient présents dans vos romans, vos personnages n’ont pas de superpouvoirs. Pourquoi ?
Alain Damasio Mais qui rêve de ça ? Quelqu’un qui, dans sa vie, est dans un déficit d’accomplissement. Pas le sage, pas le philosophe, pas l’écrivain. L’être humain est déjà ultraperfectionné, extraordinairement bien fait, et très loin de déployer toutes ses capacités cognitives. Je défends le très-humain plutôt que le transhumain : l’homme doit aller au bout de ce qu’il peut dans le cadre de ses propres forces, par la persévérance dans son être. Les blockbusters donnent des superpouvoirs pour résoudre les problèmes, au lieu de montrer des liens humains permettant de bâtir des solutions. Dans mes livres, je mets des humains avec des capacités humaines, dans un groupe humain, et personne n’a de superpouvoirs. La Horde est humaniste. Elle refuse toute technologie et remonte le vent à pied pendant 40 ans jusqu’à sa source, en faisant bloc, pied à pied. Elle véhicule un imaginaire du collectif, de la soudure, de l’être-ensemble. C’est cela le véritable accomplissement.
Il y a une pression phénoménale sur l’utilisation des mots. Cela devient presque un marqueur social de rectitude langagière.
« La Zone du dehors » se déroule en 2084. On pense forcément à la société orwellienne de « 1984 » et à sa novlangue, très utilisée dans nos vies…
Alain Damasio La perversion du langage me tue. Macron dit l’inverse de ce qu’il fait. L’effet collatéral, c’est que plus aucune parole n’est crédible. Pour savoir le contenu d’une loi, il faut inverser le sens de son appellation… Mais dans les milieux militants de gauche et d’extrême gauche, je vois se développer une forme de conservatisme du langage. Des mots deviennent interdits : il ne faudrait plus dire femme, mais personne sexisée, plus dire black ou beur mais personne racisée. Il y a une pression phénoménale sur l’utilisation des mots. Cela devient presque un marqueur social de rectitude langagière. C’est une catastrophe car le langage se fige. La gauche ne devrait jamais mettre les mots en cage. Laissez-les libres et ouverts !
Vous avez qualifié le mouvement des gilets jaunes de « divine surprise ».
Alain Damasio On était sous un rouleau compresseur libéral absolu. Et, d’un coup, ceux qui bossent se sont rendu compte qu’ils ne s’en sortaient plus et qu’ils étaient abusés. Il y a eu une conscientisation incroyable ! Ils ont renouvelé les formes de lutte : l’occupation des ronds-points, le gilet jaune, les manifs tous les samedis. En face, la violence de la répression a été terrible. Mais on ne peut pas dire que ce mouvement n’a servi à rien : un terreau s’est constitué. Tous les gens qui se sont politisés au moment des gilets jaunes sont disponibles pour les luttes futures : ils savent, ils sont prêts.
Que souhaitez-vous en 2021 à nos lecteurs et aux habitants de cette planète ?
Alain Damasio Un nouveau Mai 68 ! Que tout le terreau se mette en action ! Je souhaite qu’on enlève les masques dans un carnaval des fous et des foules, qu’on se roule des pelles, fasse la fête, squatte des cafés. Et des grandes manifs, des actions directes !
Entretien réalisé par Aurélien Soucheyre
BIBLIOGRAPHIE
« Les Furtifs », 2019.
« Aucun souvenir assez solide », 2012.
« La Horde du contrevent », 2004.
« La Zone du dehors », 1999.
Tous les ouvrages d’Alain Damasio sont disponibles aux éditions la Volte et en Folio SF (sauf « les Furtifs », à paraître en février).
Parcours d’un funambule
Il faut voir les yeux des lecteurs d’Alain Damasio briller pour le croire. « Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir lire après ça ? » s’interrogent-ils souvent. Tout a commencé en 1999 avec « la Zone du dehors », son premier roman de science-fiction. L’intrigue prend place sur Cerclon, un satellite de Saturne sur lequel les citoyens se surveillent et se classent les uns les autres en permanence. La Volte, un groupuscule contestataire, viendra mettre un bordel stellaire dans cette société de l’obéissance et du spectacle. Mais c’est en 2004 qu’Alain Damasio va rencontrer un immense public, avec « la Horde du contrevent », récit polyphonique novateur et époustouflant, qui raconte le sublime dépassement collectif d’un groupe chargé de remonter le vent jusqu’à sa source. En lui faisant face, sans cesse, même quand Éole souffle sur les hommes comme on fait tourbillonner les pissenlits.
Quinze ans plus tard, nouveau coup de maître, nouvelle claque avec « les Furtifs », êtres invisibles à force de vivre dans les angles morts, que l’armée traque sans relâche. Dans ce roman d’une vitalité surprenante, les villes sont privatisées par les multinationales et transformées en dédales numériques et commerciaux qui analysent et sollicitent sans cesse les citoyens-clients. Mais comment résumer « les Furtifs », qui narre aussi l’histoire d’un père cherchant, avec un espoir lumineux en bandoulière, sa fille disparue ? Et comment résumer Alain Damasio, également cofondateur du studio de jeux vidéo Dontnod en 2008, salué pour la qualité des expériences narratives proposées, notamment dans « Remember Me » et la série « Life is Strange » ? L’écrivain, très engagé, est aussi musicien. Depuis 2019, il fait vivre « Entrer dans la couleur », l’album musical des Furtifs avec le compositeur et guitariste Yan Péchin. Deux fois grand prix de l’imaginaire, Alain Damasio est né en 1969 à Lyon et vit à Marseille. Ce qui le place dans une situation footballistique très délicate. Mais nul doute que son art des mots, son sourire, son enthousiasme permanent et sa capacité à s’envoler pour faire des saltos dingues lui permettent de faire le pont entre les deux Olympiques.
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