Centre névralgique de l’extrême droite en France, la capitale des Gaules est le théâtre de multiples agressions de militants de gauche, migrants ou syndicalistes. Une situation qui prospère via les locaux, avec pignon sur rue, de ces groupuscules.
Lyon (Rhône), envoyé spécial.
Elles portent bien leur nom, les pentes de la Croix-Rousse. Tout comme la montée de la Grande-Côte, une de ces nombreuses voies piétonnes pittoresques qui relient la « colline qui travaille » au quartier des Terreaux, un des cœurs du centre-ville de la capitale des Gaules. À Lyon, il y a deux collines, « celle qui travaille », donc, et « celle qui prie, Fourvière », détaille malicieusement Aline Guitard, la secrétaire départementale du PCF, qui nous attend devant son local. Situé au croisement de cette fameuse montée et de la rue Imbert-Colomès, celui-ci est en piteux état : ouvert aux quatre vents, les fenêtres brisées. À l’intérieur, encore des éclats de verre et un petit radiateur électrique qui serait bien en peine de chauffer les lieux. Mieux vaut garder son manteau. « On attend les réparations, le feu vert de l’assurance », explique Aline Guitard, qui fait contre mauvaise fortune bon cœur. La mauvaise fortune, ce sont « sept attaques en dix-huit mois, dont trois fois les fenêtres cassées », précise-t-elle. Des actes de vandalisme qui portent une marque évidente, malgré l’absence de revendication officielle : celle de l’extrême droite.
Une seule fois, la police a mis la main sur les auteurs d’une de ces violentes dégradations, celle de 2018 : trois jeunes issus de la grande bourgeoisie lyonnaise, Aubert Michon du Marais, Octave Ferrand et Henri de La Chapelle, tous trois proches de l’Action française, condamnés en 2019. « Ils n’ont pas été bien malins, ils avaient volé une barre de fer sur un chantier à côté, se remémore Aline Guitard. C’est ça qui a permis à la police de les retrouver. Mais, le reste du temps, les enquêtes n’aboutissent presque jamais. »
Car, à Lyon, les agressions des fascistes sont incessantes. Et ça dure depuis des années. Les groupuscules sont légion, ciblant tout ce qui attise leur haine : la gauche, les syndicats, les migrants. Mais, le 12 décembre 2020, c’est une nouvelle étape qui a été franchie, toujours à la Croix-Rousse : la librairie anarchiste la Plume noire, de la rue Diderot, a été le théâtre d’une agression physique. Julien, l’un de ses fondateurs, raconte : « C’était après une journée de collecte solidaire de vêtements et de jouets pour Noël, organisée par une association amie, le Pese (Pour l’égalité sociale et l’écologie). Deux jeunes membres de l’association étaient en train de ranger, en fin de journée. Ils sont arrivés à sept ou huit, ils sont passés plusieurs fois devant… Donc, c’était prémédité. » Le bilan des coups est lourd : deux jours d’ITT pour la première personne et, pour la seconde, trois fractures au visage. Une enquête a été ouverte.
Les autorités semblent faire peu de cas de ce climat délétère
Le problème, c’est que les enquêtes aboutissent rarement. Après l’agression de la Plume noire, un rassemblement s’est tenu le 20 décembre pour protester contre les violences de ces groupuscules qui sont aujourd’hui incessantes tant leur sentiment d’impunité est grand. Depuis plusieurs années, un collectif contre l’extrême droite réunit organisations politiques, associations, syndicats… Mais les autorités, elles, semblent faire peu de cas de ce climat pourtant délétère. Contactée, la direction départementale de la sécurité publique n’a pas souhaité communiquer sur ce sujet pourtant brûlant. Pourtant « la Croix-Rousse est une cible », analyse Marion Athiel, militante au Planning familial et au sein du Collectif de vigilance et de lutte contre l’extrême droite. « Ils font des attaques ciblées, dans les manifestations, les locaux. » La CNT en a aussi été victime, tout comme, non loin de là, place Colbert, un bar qui accueillait souvent des réunions ou des conférences de militants progressistes. « Il s’appelait la Fourmi, puis la Pinte douce, détaille Marion Athiel. Il a été saccagé et attaqué plusieurs fois. Les propriétaires ont jeté l’éponge… » Même topo pour la Plume noire, qui « existe depuis trente ans », selon Julien, qui rappelle qu’ « elle a été brûlée en 1997 ; vandalisée par 25 personnes en 2016 ». Pour lui, « il y a des cycles de violence, et ça correspond à l’ouverture de leurs locaux ».
Le 12 septembre 2020, le maire écologiste Grégory Doucet n’a pas eu d’autre choix que d’autoriser la réouverture du fameux local des identitaires nommé la Traboule.
Le fief de ces groupuscules fascistes, c’est le Vieux-Lyon, au pied de la colline de Fourvière. C’est là qu’ils ont leur « territoire » et leurs lieux d’implantation. Le 12 septembre 2020, le nouveau maire écologiste Grégory Doucet n’a pas eu d’autre choix que d’autoriser la réouverture du fameux local des identitaires nommé la Traboule : la mairie n’a pas le pouvoir de fermer un lieu, en dehors des seules conditions de sécurité. Et ses occupants ont effectué des travaux de mise aux normes… Depuis, la réouverture coïncide précisément avec la recrudescence des attaques. « Ce sont les locaux qui posent problème, on le sait, pointe Julien. Ça leur permet d’avoir une dynamique de rencontres. » Pour Aline Guitard également, ce sont ces lieux qui permettent aux militants extrémistes de « se retrouver, boire, se chauffer », avant d’aller commettre leurs agressions. Il y a également l’Agogé, une salle de boxe… réservée aux Blancs. « Il y a six ou sept ans, il avait jusqu’à sept locaux », se remémore la militante communiste.
Un nombre de militants estimé à « environ 400 personnes »
Les groupuscules sont très divers : néofascistes du Bastion social ou de Génération identitaire, souvent passés par le GUD, les royalistes de l’Action française ou les cathos traditionalistes de Civitas… « C’est un microcosme, beaucoup sont issus de la bourgeoisie des monts du Lyonnais, ils ont beaucoup d’argent », détaille Marion Athiel. « Le Bastion social est parti d’ici, il y a Benedetti (Yvan Benedetti, président du mouvement néopétainiste l’Œuvre française – NDLR), Alexandre Gabriac avec Civitas, l’Alliance française, GI, Audace, Lyon pop… » Une liste loin d’être exhaustive. Un personnage central est Damien Rieu, un des fondateurs de Génération identitaire, figure de la fachosphère et assistant parlementaire de l’eurodéputé RN Philippe Olivier. Récemment, un nouveau groupe a été créé : « C’est un collectif de filles qui s’appelle Nemesis. Elles se revendiquent comme féministes. Ça, c’est nouveau et inquiétant », témoigne Marion Athiel. Une nébuleuse qui préoccupe au-delà des simples cercles militants : en 2019, les députés insoumis avaient obtenu la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les groupuscules d’extrême droite. Le rapport est sans appel : Lyon y est décrit comme le « berceau » des groupes de « l’ultradroite française », et estime le nombre de ces militants à « environ 400 personnes ».
Récemment, le Collectif de vigilance et de lutte contre l’extrême droite a changé de dénomination pour s’appeler « collectif pour la fermeture des locaux fascistes ». Car c’est bien l’objectif des militants, qui attendent une réponse réelle de la part de l’État – la préfecture, donc, qui ne s’est jamais exprimée sur le sujet –, mais également de la mairie. Pour tous les militants qui se battent contre l’extrême droite, le laisser-faire des autorités est en cause. « Pendant des années, la municipalité ne s’est pas positionnée, déplore Marion Athiel. Elle renvoyait dos à dos “les extrêmes”, pendant l’ère Collomb, mais avant aussi. » Avec la nouvelle équipe municipale, cela pourrait changer : la maire du 1er arrondissement, l’insoumise Nathalie Perrin-Gilbert, est venue lors du rassemblement contre l’extrême droite, le 20 décembre. Et, selon Julien, le collectif a été reçu par un adjoint à la mairie lyonnaise. Peut-être le début d’une réelle prise en compte par les autorités. Mais, même avec la meilleure volonté du monde, c’est à l’État de prendre ses responsabilités. Car, à Lyon, l’extrême droite est une gangrène.
De Lyon-III à l’Issep, l’école des identitaires
Quand on interroge les Lyonnais sur le début de l’implantation moderne de l’extrême droite, un nom revient rapidement : Bruno Gollnisch. Dans les années 1980, ce dirigeant historique du FN est arrivé à la faculté de Lyon-III en temps qu’enseignant en langue et civilisation japonaises. « Depuis ce temps, Lyon-III est le point d’ancrage, beaucoup de fachos s’y inscrivaient », se souvient Aline Guitard, secrétaire départementale du PCF, qui a elle aussi fréquenté cette université : « C’était pas facile de militer à gauche… le président de l’université les soutenait… » Presque quarante ans plus tard, Marion Maréchal a choisi Lyon pour implanter son école, l’Issep, ouverte en 2018. Avec le même objectif : faire de la ville le laboratoire intellectuel, former des cadres, et donner « une image “plus propres sur eux” » des identitaires, analyse Marion Athiel, militante associative contre l’extrême droite.
En savoir plus sur Moissac Au Coeur
Subscribe to get the latest posts sent to your email.