Porté par un climat social et politique délétère, dédiabolisé et promu par la machine médiatique, l’ex-FN, devenu Rassemblement national, poursuit son ascension. La fille Le Pen, qui se voit déjà élue en 2022, a lancé une stratégie de ratissage tous azimuts, fluctuant sur une « ligne de crête » entre radicalité et normalisation, outrance et respectabilité. Que fait la gauche face à une extrême droite plus que jamais dangereuse ?
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Dans les périodes de grande confusion, il arrive que les loups tentent de se faire passer pour des agneaux. Convaincue de pouvoir remporter l’élection présidentielle de 2022, cinq ans après avoir hissé le FN au deuxième tour pour la seconde fois dans l’histoire de la Ve République, Marine Le Pen sent des vents porteurs. Et la possibilité d’une accession à la présidence « n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui », claironnait-elle, début avril, dans un entretien au mensuel d’extrême droite « l’Incorrect ».
Terreau favorable
Le parti extrême droite est plus que jamais banalisé, dix ans après que Marine Le Pen en a pris la présidence, puis changé le nom en Rassemblement National. Pire, ses thématiques sont au centre des débats, comme l’analyse Bruno Cautrès, politologue au CNRS et au Cevipof : « La thématique de l’islamo-gauchisme, les thèmes identitaires et sur la laïcité, cette obsession française, créent un climat d’opinion qui lui est favorable », un point de vue corroboré par Florent Gougou, maître de conférences à Sciences-Po Grenoble : « Tant qu’il y aura des questions d’immigration, d’identité nationale, des terreaux pour le vote RN vont se créer, en particulier au sein des milieux ouvriers. »
À un peu plus d’un an de l’élection, plusieurs sondages montrent un niveau particulièrement inquiétant d’intentions de vote : le dernier en date, réalisé par l’Ifop et paru dans « le JDD » du 11 avril, donne Marine Le Pen en tête au 1er tour avec 25 à 27 % des voix selon les candidats en présence, et 24 % au chef de l’État. Surtout, son score augmenterait sensiblement au second tour, avec 46 % face à Emmanuel Macron ; en 2017, elle avait été battue plus largement, ne recueillant que 33,9 % des suffrages.
Tous ces chiffres sont, bien entendu et selon l’expression consacrée, à prendre avec des pincettes. Cependant, pour Bruno Cautrès, « même s’il manque beaucoup de paramètres, il faut prendre les sondages pour ce qu’ils sont : un climat de l’opinion ». Pour le chercheur au CNRS, deux points sont marquants : sa position en tête du 1er tour, « parfois nettement, ce qui est inédit », et son score présumé au second tour, « très haut, avec des scénarios autour de 50 % : cela traduit quelque chose ».
La candidate entend rassurer. Sa base électorale élargie, il s’agit d’aller chercher les voix qui manquent… à droite. 35 % des électeurs de la droite « classique » ont une bonne opinion à son sujet.
Radiographie d’un vote
Ce quelque chose, c’est sans aucun doute la capacité de Marine Le Pen à s’être imposée comme première opposante et à avoir su élargir sa base électorale. Pour Florent Gougou, « de fait, en arrivant à 25 %, le RN a séduit au sein de nouveaux groupes sociaux, dans des catégories jusque-là rétives à sa politique. On voit désormais des cadres de la fonction publique, des bourgeois, des enseignants, qui votent pour le RN ». Selon l’étude de l’Ifop, 35 % des sondés déclarent avoir voté au moins une fois pour le RN, et 23 % plusieurs fois. Et si 21 % d’entre eux déclarent ne pas savoir pourquoi, les raisons d’un tel vote sont toujours marquées par la volonté d’exprimer le rejet des autres partis (65 %, contre 35 % de votes par adhésion) et le sentiment d’un déclin du pays, pour 91 % des électeurs du RN. Ce qui fait dire à Frédéric Dabi, le directeur de l’institut de sondage, que cet électorat a le « sentiment de vivre dans une citadelle assiégée ».
Ce n’est pas un hasard si cinq des treize têtes de liste pour les prochaines régionales sont des anciens de LR et de la droite.
Si Marine Le Pen a élargi la base électorale sociologique de son parti, il demeure soutenu d’abord par un vote ouvrier et employé, deux catégories en première ligne face aux politiques libérales menées par Macron et ses prédécesseurs. Autre évolution majeure, en termes de classes d’âge : le vote RN s’est répandu au sein de la jeunesse. Même si elle demeure largement abstentionniste, la part du vote RN des 25-34 ans est passée de 23 % en 2017 à 29 % d’intentions pour 2022.
Marine Le Pen joue d’ailleurs fortement la carte de la jeunesse, notamment avec Jordan Bardella, bombardé n° 2 du parti, et promettant des aides aux jeunes agriculteurs et une hausse de 25 % des aides au logement pour les moins de 27 ans. Quant aux 18-24 ans, dont les intentions de vote sont comparables à celles de l’ensemble de la population (21 %), la nouveauté réside dans « un vote d’adhésion qui atteint désormais 60 % », pointe Frédéric Dabi.
Rejet de l’immigration, des musulmans et discours sécuritaire
Pourtant, si la stratégie de Marine Le Pen, depuis dix ans, est de « normaliser » le vote RN et de séduire de nouveaux pans de l’électorat, le parti d’extrême droite reste perçu comme tel pour 74 % des Français, et raciste pour 62 %. « Oui, nous sommes toujours antisystème », répondait récemment David Rachline, le maire de Fréjus (Var). Les points cardinaux du RN demeurent le rejet de l’immigration, des musulmans et les discours sécuritaires. Le programme du RN prévoit l’interdiction du voile dans l’espace public, quitte à interdire aussi d’autres signes comme la kippa… « D’autres religions doivent faire des sacrifices pour renforcer la laïcité menacée », a osé le trésorier du RN, Wallerand de Saint-Just. Et les identitaires sont toujours aussi nombreux, y compris au sein de l’appareil : ainsi Damien Rieu, cofondateur de Génération identitaire et militant fasciste historique, a été investi pour les prochaines départementales dans la Somme. Pourtant, le discours médiatique de façade se veut rassurant, Marine Le Pen affirmant que « l’islam est compatible avec la République ».
Allégeance aux marchés
Rassurer, c’est d’ailleurs désormais le credo de la candidate de l’extrême droite. Sa base électorale établie, il s’agit d’aller chercher les voix qui manquent… à droite. Pour le RN, la défaite de 2017 est due à la réticence de la bourgeoisie sur son programme économique et anti-européen. Selon une étude ViaVoice, 35 % des électeurs de la droite « classique » ont aujourd’hui une bonne opinion de Marine Le Pen : « C’est là que réside l’essentiel de nos réserves d’électeurs », précise Thierry Mariani, lui-même venu de LR. Pour Bruno Cautrès, il est clair que « Marine Le Pen a changé de communication, elle veut faire passer le message qu’elle veut gagner et s’en donne les moyens, sur l’Europe, l’économie, l’euro. Que conservera-t-elle de la période Philippot et du discours social mêlant État providence et chauvinisme ? Je demande à voir ».
Tenir en même temps un vote de colère, antisystème, et séduire un électorat bourgeois plus frileux, c’est désormais le « en même temps » du RN. Un objectif énoncé crûment par Nicolas Bay, député européen et vice-président du RN : « Il y a une ligne de crête à tenir. Il faut à la fois rassurer sur un certain nombre de thèmes (…) et être capable de catalyser une colère profonde en étant suffisamment transgressif. » Fini le Frexit ou la sortie de l’euro, abandonnés entre 2017 et les européennes de 2019, et retour aux fondamentaux économiques de la droite classique : dans une tribune au journal « l’Opinion » datée du 21 février – un choix loin d’être anodin –, Marine Le Pen défend une certaine orthodoxie budgétaire : « Une dette doit être remboursée, il y a là un aspect moral essentiel », écrit-elle.
Dans sa volonté de ratisser chez les chefs d’entreprise, les artisans et les milieux d’affaires, Marine Le Pen montre patte blanche. « Il y a des signes évidents d’évolution sur la question européenne et économique, qui était un obstacle infranchissable pour un électorat de droite bourgeoise plus classique », corrobore Bruno Cautrès. Alimentée en notes par un groupe de hauts fonctionnaires anonymes, les Horaces, la cheffe du RN « a compris que c’était sur ce sujet qu’elle était le plus attendue. Cette fois, ce n’est pas une campagne pour arriver au second tour », détaille Thierry Mariani. Mais, pour l’heure, le RN n’a toujours pas de programme économique, en dépit de la communication tous azimuts pour séduire la droite. Et ce n’est pas un hasard si cinq des treize têtes de liste pour les prochaines régionales sont des anciens de LR et de la droite.
« Gouvernement d’union nationale »
Cette volonté de ratisser large s’incarne également dans un autre thème : l’écologie. Le RN a présenté un ensemble de mesures qui seraient soumises à référendum, avec des questions telles que : « Souhaitez-vous développer les espaces verts en milieu urbain ? » Sous l’influence d’Hervé Juvin, devenu proche conseiller, Marine Le Pen a développé plusieurs petits mouvements satellites, comme « les Localistes », fondé par Juvin et le transfuge de la FI, Andréa Kotarac, chargé de mettre en avant la conception identitaire de l’écologie à la sauce RN. Kotarac avait également été missionné fin 2019 pour débaucher des cadres de la gauche, notamment radicale et souverainiste. Peine perdue, faute de candidats…
Marine Le Pen veut toutefois donner l’image d’un rassemblement du « meilleur de la droite et de la gauche » au sein d’un « gouvernement d’union nationale » qui irait « d’Arnaud Montebourg à Marion Maréchal ». Et, depuis deux ans, la présidente du RN voudrait se donner une image de « présidentiable » – un mot que répète à tout bout de champ son équipe de communication. Elle a annoncé son intention de quitter la présidence du RN, « sans doute après l’été », le temps d’être réélue à sa présidence lors du congrès de Perpignan en juillet.
Une façon, selon Bruno Cautrès, de « donner le sentiment qu’elle s’adresse aux Français directement ». Dans ce duel mortifère avec Emmanuel Macron que les deux veulent imposer de force au pays, la cheffe du RN, malgré de solides relais médiatiques, peine à convaincre : 26 % des Français seulement en ont une image positive, 16 % lui trouvent une stature présidentielle, et les électeurs la jugent moins compétente et sincère qu’il y a quatre ans. Un des nombreux paradoxes d’une campagne présidentielle de tous les dangers face à une extrême droite plus que jamais aux portes du pouvoir.
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