Il y a 232 ans, les députés de l’Assemblée nationale constituante, sous la pression populaire, proclamaient l’abolition des droits féodaux et de divers privilèges.
Une nuit qui bouleversa l’histoire et instaura un monde nouveau. Celle du 4 au 5 août 1789, lorsque, entre 8 heures du soir et 2 heures du matin, le système féodal qui corsetait la France depuis les Carolingiens s’effondre en quelques heures.
Cette rupture fondamentale, marquant la fin inattendue de la société d’ordres, n’aurait pas eu lieu sans la Grande Peur, période qui suit la prise de la Bastille. Dans toute la France, les paysans craignent les conséquences des événements du 14 juillet, une réaction nobiliaire comme il s’en est déjà produit des années plus tôt, avec la réactivation de vieux droits féodaux tombés en désuétude. Dans de nombreuses campagnes, des rumeurs se répandent, laissant croire que des attaques et pillages ordonnés par les aristocrates se préparent. Des paysans s’arment et se rendent dans les châteaux seigneuriaux, parfois avec violence. La grande peur des paysans est devenue celle des possédants, qui craignent désormais l’insurrection.
Une décision révolutionnaire
Face à cette situation, les députés doivent réagir, deux stratégies s’offrent à eux : écraser les révoltes par la force, ce que réclament plusieurs députés bourgeois du tiers état, ou céder à la pression populaire en renonçant à certains privilèges de la noblesse et du clergé. Le soir du 3 août, une centaine de députés se réunissent au sein du Club breton, qui deviendra ensuite le club des Jacobins. Ils prennent la résolution de détruire tous les privilèges des classes, des provinces, des villes et des corporations.
Dès l’ouverture de cette séance de l’Assemblée nationale constituante, le 4 août 1789 à 20 heures, le duc d’Aiguillon, deuxième fortune de France, propose d’offrir aux paysans de racheter les droits seigneuriaux – ensemble des avantages attribués aux seigneurs – à des conditions modérées. Une décision révolutionnaire qui provoque une inattendue surenchère. Le vicomte de Noailles prend à son tour la parole, se montrant plus ambitieux. Également député de la noblesse, il propose d’en finir avec les droits seigneuriaux, « restes odieux de la féodalité » selon ses termes, et suggère rien moins que d’ « abolir sans rachat » les privilèges devant l’impôt, faisant de chaque Français un citoyen égal à tous les autres. Dans les premières heures de débat, une partie des députés du tiers état, qui craignent les instabilités que créerait ce nouvel ordre social issu de l’abolition de certains privilèges, demandent des mesures de rigueur contre la paysannerie. Mais il est déjà trop tard, les nobles et le clergé sont décidés.
Dans une nuit d’euphorie, les prises de parole s’enchaînent, les renoncements avec. Le clergé abandonne la dîme, redevance portant principalement sur les revenus agricoles et suscitant de grandes crispations dans le royaume. Le vicomte de Beauharnais demande l’égalité des peines, soit l’égalité de tous les citoyens devant la justice. Les évêques La Fare et Lubersac suppriment les pensions sans titre, les juridictions seigneuriales, le droit de chasse et les privilèges ecclésiastiques. L’effervescence est telle qu’au-delà des privilèges des nobles et des religieux, les provinces en font autant, faisant de la France un tout égal et uni.
Au milieu de la nuit, le duc de La Rochefoucauld, qui préside la séance, reprend la parole. Dans une sorte de compte rendu des débats, il va jusqu’à évoquer l’abolition de l’esclavage sans pour autant l’acter. En revanche, à 2 heures, au moment de clore les discussions, il acte la décision des députés : l’abolition des privilèges de classe et des particularismes est proclamée.
Maintien des droits sur la terre
Les jours suivants, l’euphorie retombée, des députés tentent de revenir en arrière. Les droits sur les personnes sont bien abolis mais pas les droits sur la terre, une déception pour les paysans, qui devront continuer à payer l’exploitation de leurs lopins. Le clergé tente aussi de revenir sur la suppression de la dîme, mais le président de l’Assemblée, Isaac Le Chapelier, n’ayant accepté que des discussions sur la forme, les décrets du 4 août sont définitivement rédigés le 11. L’Ancien Régime est mort, n’en déplaise à Louis XVI, qui écrit à l’archevêque d’Arles dès le 12 août : « Je ne consentirai jamais à dépouiller mon clergé, ma noblesse. Je ne donnerai pas ma sanction à des décrets qui les dépouilleraient. » Il ne le fera que contraint, le 5 octobre. Dans l’histoire, cette nuit du 4 août restera comme un des sommets de la Révolution française avec la fin de nombreux avantages, décidée par les privilégiés eux-mêmes, bien que certains demeurent jusqu’en 1793. « L’imaginaire privilégiant 1789 à 1793, on a tendance à oublier le fait que certains privilèges ont été finalement conservés, relate l’historienne Mathilde Larrère. Et ce au profit d’une nuit magnifique qui fait tomber ce château qu’on croyait de pierre mais qui est de cartes et qui emporte la société féodale avec lui. Parce que l’image est porteuse d’espoir contre tous les systèmes injustes. »
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