Le polémiste, qui n’est pas encore candidat, s’est installé dans la campagne présidentielle et multiplie les conférences. Son public, comme son électorat potentiel, est à la croisée des droites les plus réactionnaires. Nous sommes allés à la rencontre de ses sympathisants.
Pleurtuit (Ille-et-Vilaine), envoyé spécial.
Il tient sans discontinuer des propos racistes, misogynes, défend Pétain et Vichy, tord l’histoire et parle ouvertement de « grand remplacement ». Pourtant, Éric Zemmour, omniprésent dans les médias, multiplie les conférences qui font salle comble et est crédité de 15 à 17 % d’intentions de vote par les enquêtes d’opinion, tutoyant le seuil de qualification au second tour.
Ce vendredi-là, il n’est pas attendu avant 15 heures, mais les 700 places de l’espace Delta de la petite commune de Pleurtuit, au sud de Dinard (Ille-et-Vilaine), sont déjà toutes occupées. Dehors aussi, c’est l’effervescence : un face-à-face tendu, de part et d’autre d’un cordon de gendarmes mobiles, oppose les 300 manifestants qui protestent contre la présence du polémiste d’extrême droite et le public venu l’écouter parler « patrimoine et identité », à l’invitation de deux associations locales, l’Alliance souverainiste de l’estuaire de la Rance et Mémoire du futur, axée sur la défense du patrimoine bâti chrétien.
Nicole, vêtue et maquillée de façon très chic, arrive de la ville voisine cossue de Saint-Briac et annonce fièrement ses 82 printemps. Elle n’a pas déboursé les 10 euros, mais voudrait bien entrer entendre Éric Zemmour, et donne le ton d’emblée : « Je trouve que la France décline, qu’il y a du laxisme partout », lâche-t-elle. Elle se définit d’abord comme « chrétienne, donc en désaccord avec la PMA et toutes ces choses qui détruisent la jeunesse et la société ». Un profil raccord avec les réseaux de la Manif pour tous, à l’instar de l’un de ses fondateurs, Albéric Dumont, que parvient à mobiliser l’ex-éditorialiste. Cependant, bien que « prête à voter pour lui », l’hypothèse Zemmour président, Nicole « n’y croi(t) pas ».
C’est également le cas, en réalité, de nombre de ses électeurs potentiels. Selon une étude publiée fin octobre par la Fondation Jean-Jaurès, seules 26 % des personnes votant pour lui estiment qu’il a « l’étoffe d’un président ». Mais s’il est bien une créature médiatique, il n’est plus seulement une « bulle » vouée à éclater. « Quoi qu’il advienne, la secousse Zemmour laissera des traces sur le ton de la campagne, le positionnement des autres candidats, peut-être sur la façon même de faire de la politique à l’avenir », estime ainsi le philosophe du langage Raphaël Lorca, l’un des auteurs de l’étude.
Des sympathisants obnubilés par l’immigration
À un peu plus de 15 heures à Pleurtuit : Éric Zemmour arrive, hué d’abord par les manifestants, applaudi en réponse par ses supporters, plus nombreux que les sièges. On se colle debout le long des murs pour l’entendre. Trois jeunes hommes, affichant un air de bonne famille, s’apprêtent à gagner la salle : ils s’appellent Mathieu, Aymeric et Antoine, ont 27 et 28 ans. Ils sont « venus soutenir Zemmour, montrer que la jeunesse est derrière lui », admirent « ses valeurs et ses idées ». Lesquelles ? « L’amour de la France, de son histoire, ses valeurs nationalistes qui (les) intéressent. » Comprendre : la France blanche, catholique et contre-révolutionnaire.
Si ses jeunes soutiens veulent se donner à voir, notamment via le mouvement Génération Z, ils sont loin d’être les plus nombreux dans le public. D’ailleurs, selon l’étude de la Fondation Jean-Jaurès, l’écart d’intentions de vote est de 4 points entre les moins de 35 ans et les plus de 60 ans (13 %, contre 17 %). Surtout, sans surprise, ses sympathisants sont obnubilés par l’immigration : 75 % la placent comme priorité, 46 points de plus que l’ensemble des Français. Et 96 % considèrent que « l’islam est une menace pour la République ». Des propos que l’on retrouve tantôt à mots couverts, tantôt ouvertement dans le public venu l’écouter à Pleurtuit. « Les gens qu’on reçoit doivent s’adapter à notre pays », préfère insister Nicole, tandis qu’Aymeric et Mathieu se présentent sans barguigner comme des défenseurs des « racines chrétiennes de la France ».
Dans la salle, la conférence débute. « Ce n’est pas un meeting », répète trois fois Reynald Secher, hôte du jour et président de l’Aser, qui provoque alors quelques rires entendus. « Zemmour président ! » éructent une poignée d’excités – des hommes –, tandis que le reste du public a plutôt tendance à rester sagement assis. Précisément, la majorité des présents est plutôt âgée et visiblement issue de la bourgeoisie locale. Yann et Madeleine ont parcouru près de 200 kilomètres « exprès pour l’écouter » depuis une petite ville bretonne dont ils taisent le nom, préférant éviter qu’on puisse les reconnaître. Ils ont « voté Fillon en 2017 », revendiquent des valeurs « conservatrices mais pas d’extrême droite » et se disent « ouverts sur l’immigration, mais là, c’est trop » ! Ils ne sont pas sûrs de voter pour le polémiste, mais ils trouvent qu’il « élève le débat ».
Il s’en prend à l’« assistanat » et à la « folie bureaucratique »
Ils correspondent à ce panel représentatif d’une « union des droites » que l’extrême droite appelle de ses vœux de longue date. Près de 25 % de ses électeurs potentiels disent avoir voté Fillon en 2017, 34,8 % Marine Le Pen et 19,1 % s’être abstenus. Antoine Diers, le porte-parole de l’association les Amis d’Éric Zemmour, sa structure de campagne, ne manque pas de s’en satisfaire : « Un tiers de militants LR, un tiers de gens qui viennent d’associations de type Manif pour tous, gilets jaunes, un tiers du RN », assure-t-il. « Éric Zemmour apporte à l’extrême droite ce qui lui faisait défaut jusqu’alors : une capacité à parler aux retraités et aux cadres », estime pour sa part Mathieu Souquière, un autre des auteurs de l’étude de la Fondation Jean-Jaurès. Le polémiste, lui, prétend « allier la sociologie de la Manif pour tous et celle des gilets jaunes ». En réalité, Éric Zemmour parle surtout à la bourgeoisie. En témoigne son « programme » économique qui se résume à une litanie de mesures ultralibérales. Il prévoit notamment de repousser l’âge de la retraite à 64 ans et estime qu’il faut rembourser la dette en s’en prenant à l’ « État obèse », l’ « assistanat » et la « folie bureaucratique ».
Un programme économique confié à un ancien banquier d’affaires
De quoi rassurer cet électorat de droite traditionnelle apeuré par la sortie de l’euro ( « l’entrée dans l’euro était une mauvaise idée, en sortir serait pire », plaide Zemmour) ou la retraite à 60 ans prônées par sa concurrente Marine Le Pen. Il répète qu’il est « pour l’économie de marché » et, surtout, a confié son programme économique à un ancien banquier d’affaires, Jonathan Nadler. Le polémiste peine ainsi à parler aux catégories populaires, notamment aux ouvriers : selon un sondage Ifop publié lundi, 9 % d’entre eux seulement se disent prêts à voter pour lui.
En revanche, Éric Zemmour apparaît bien comme le catalyseur de cette « union des droites » qui gagne du terrain depuis une dizaine d’années par la convergence d’une partie de la bourgeoisie catholique, structurée par le mouvement de la Manif pour tous, de la droite identitaire, qui gravitent autour de Marion Maréchal, et d’une partie de l’électorat de LR, notamment filloniste. Toutes trois grenouillent dans cette mare fangeuse où se tient l’extrême droite la plus dure, radicale, venue de toute la fachosphère, séduite par Éric Zemmour. Papacito, le youtubeur qui avait mis en scène un meurtre d’un « militant gauchiste », voit en lui « la panacée », celui qui « va guérir la France ». Le pétainiste Thomas Joly le soutient, de même que le suprémaciste blanc Daniel Conversano, qui se réjouit de ce qu’Éric Zemmour « assume l’héritage de Pétain, déjeune avec la fille de Ribbentrop : c’est un vent de liberté ». Ceux-là ne viennent pas aux meetings, ni à Pleurtuit, ni ailleurs. Ils restent tapis dans l’ombre, attendant leur heure. À l’ombre de Zemmour.
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