Sacré Coco: méditation sur la relation entre artistes, intellectuels et classe ouvrière… et leur parti “gentrifié”

Le 15 aout 2011, un grand chanteur Leprest, se suicidait à Antraigue dans le village de son ami Ferrat, il était communiste et je vous conseille d’aller sur la page Wikipedia qui lui est consacré et vous retrouverez l’esprit d’un temps où le parti communiste représentait cette “alliance” entre intellectuels et créateurs. En entendant écoutez-le et lisez cette manière dont notre pays, la France dans toutes ses composantes a été privé à la fois de son potentiel révolutionnaire et d’unité, le laissant la proie de violences, de divisions et de mépris.

illustration de Françoise la Rouge qui nous interroge: sommes-nous simplement devenus une sorte de brocante qui recueille les vestiges du passé ou comme elle ne cesse d’un regard acéré de le révéler, y a-t-il dans ces restes un monde enchanté qui invente le passé pour mieux rendre l’avenir plein de vie et de joie…

Le parti communiste que nous avons connu c’est celui qui foisonnait d’artistes et d’intellectuels qui trouvaient dans la sève ouvrière de quoi nourrir leur talent et même parfois leur génie. Ils arrivaient à ce qui parait impossible aujourd’hui former des groupes unis et assurant la promotion de jeunes talents. Tout ce monde se retrouvait à la fête de l’Humanité et plongeait ses racines dans l’inventivité truculente populaire que décrit Alain Girard en nous parlant de femmes communistes, de recettes de haricots (il faudra que je vous décrive mon plat de haricots frais avec “l’araignée” de porc (un morceau exquis).

Je voudrais vous faire comprendre deux choses, ce parti nous a été volé par une bande de bobos conformistes, petits bourgeois. Il a été volé à la classe ouvrière, aux couches populaires mais aussi aux intellectuels et créateurs qui se sont nourris de cette sève. Même si l’on isole le fait qu’incontestablement certains “dirigeants” sont des vendus et que beaucoup ont trouvé leur intérêt dans cette mutation, le gros de la troupe se conduit comme dans le cas de la gentrification des quartiers populaires : ce sont des gens qui n’ont pas de gros moyens et qui vont acheter dans les quartiers les plus défavorisés. Ils disent sincèrement aimer cette cohabitation souvent “ethnique” avec les couches populaires, ils aiment la mixité en subissent les avantages et les inconvénients, mais en fait ils ne sont que l’avant-garde du mouvement de déprolétarisation, ils livrent la ville aux bourgeois de plus en plus invivables. Le parti a subi et continue comme nos villes à subir ce phénomène de gentrification et d’exclusion de fait des couches populaires. Peu à peu ils ne savent même plus comment communiquer.

Mais ces gens-là souvent bourrés de talents et de bons sentiments ne savent plus innover et regarder ce monde de la créativité et de la transgression populaire qui est celui de la rupture avec l’ordre bourgeois, on demande à ces gens-là de l’illustrer, de le vendre et on espère faire de toute cette capacité créative, de l’ingénieur au graphiste une marchandise à bon marché, celle de l’auto-exploitation et d’un épuisement digne de celle imposée à l’OS. Oserai-je vous avouer que ces gens toujours à la recherche d’une position morale pour justifier leur monstrueux égoïsme et qui n’aiment parfois le peuple que quand il confirme leur propre vertu de tolérance à la manière de la case de l’oncle Tom sont quelquefois insupportables et très ennuyeux. Les verts atteignent des sommets indépassables dans le genre… mais il est rare que les autres échappent à cette malédiction. Imaginer que ces gens-là peuvent engendrer autre chose que le pire des académismes me paraît ne pas comprendre ce qui est réellement créatif. La transgression, l’invention d’un espace et d’un temps qui dise formellement le nouveau, le dépassement, l’abolition et la conservation comme a su le faire Picasso, cette cordée héroïque née avec Cezanne et qui a révélé passé et avenir dans sa rupture, n’est pas de l’ordre du touche pipi dans les limites de l’autocensure du politiquement correct.

C’est mal comprendre ce qu’est l’art et la richesse d’une civilisation, et pour moi le nœud de l’affaire réside dans cette trivialité, cette brutalité populaire assumée (ce que Kontchalovsky a si bien décrit dans son Michel Ange et il s’agit d’une source vitale matérialiste dans laquelle Aragon et tant d’autres puisaient).

Je vais faire un détour que certains ne suivront pas en me demandant si pour comprendre cette transmutation de l’art et de la civilisation humaine n’est pas illustré par le messianisme juif qui n’est pas lui-même sans relation avec l’idéalisme russe, cubain et tous ces peuples qui ont fait la révolution, une révolution de masse et de classe avec l’alliance entre le savoir, les arts, la nation, l’internationalisme, un facteur d’unité qui matérialiste intègre transcendance et transgression. Une des questions de l’idéalisme religieux est la manière dont intervient la correspondance entre le divin et l’humain et le sens de la prière. Ce que l’on retrouve chez Spinoza quand il affirme que la connaissance est le seule prière ou que la joie vient de l’harmonie ainsi retrouvée par une connaissance qui se plie à la nature. Il ne s’agit plus d’exiger mais de se conformer à l’ordre de l’univers et la relation entre ces rites qui sont autre chose que la prière, dans laquelle il ne s’agit pas de convoquer l’esprit pour qu’il réalise votre demande, il s’agit par le rite d’assumer une partie du divin de la totalité de la création et de s’y identifier. Un kabbaliste, Ezra de Gérone, a expliqué comment se réalisait “l’accomplissement” du commandement. C’est plus proche du chamanisme que de la prière telle que l’église la conçoit et on voit bien le lien entre ce mode d’accès à la création, l’univers, la nature et la nature humaine chez des gens comme Lukacs, Bloch, et même des marxistes comme Marx lui-même. Ce rabbin EZRA affirme qu’il faut savoir passer d’un ordre très complexe de la pensée rabbinique à l’audace d’affirmations vulgaires dirions-nous. Cette transcription d’une terminologie savante dans un vocabulaire plus populaire n’est pas gratuite. Elle vise à provoquer un choc -dit-il-, à lui faire violence afin que se révèlent à lui “de façon foudroyante” la force de la doctrine théurgique de la Kabbale. Au risque de heurter ses convictions de le scandaliser.

Marx ne dit pas autre chose et insiste sur la nécessité d’une polémique qui irait jusqu’à la grossièreté et ferait tomber les masques de la charité petite-bourgeoise. Il y a une violence créative à assumer celle qui poussait le bandit qu’était le Caravage à chercher ses modèles de tableaux religieux dans les bas-fonds. Il y a cette pétrification de Michel Ange devant cet immense morceau de marbre, qu’une troupe d’ouvriers prêts à mourir par défi pour l’arracher à la montagne sont les seuls avec lui à en savoir le prix réel, et le pouvoir de lui arracher forme de titan. Il y cette espérance de siècles accumulés de labeur et de gestes sans lesquels rien n’aurait existé dans lequel Walter Benjamin voit l’ange de l’histoire qui avance à reculons en prenant à pleine brassée les espérances non réalisées. Tout cela a besoin pour ne pas rester de l’ordre du rêve de s’incarner : “la vérité du pudding c’est qu’on le mange”…

C’est ça le panier de la ménagère, la cuisine comme l’opéra ne vaut pas plus de quatre sous… Le temps où Yves saint Laurent ne défilait pas avec des stocks de climatiseurs et des piscines artificielles dans le désert pour une bande de snobs très cons, mais trouvait son public à la fête de l’Humanité.

Cela comme l’a esquissé Gramsci était la force du parti communiste français tels que nous l’avons connu et qui réalisait cette transmutation, cette pierre philosophale du mouvement historique, celui qui effectivement change l’ordre des choses existantes parce qu’il est facteur de rupture et d’unité et dont la société française est désormais orpheline. Après cette désindustrialisation, cette gentrification des couches moyennes qui se sont emparées non seulement de la gauche mais du centre même du mouvement la rencontre entre une avant-garde politique mais aussi intellectuelle et artistique et la classe ouvrière pour déposséder cette dernière.

Nous sommes désormais, selon le mot de Blaise Pascal, nostalgique de notre enfance, nous sommes des souverains dépossédés de cette part de transcendance qui accompagne les révolutions.

 


A l’ouvrière du textile roubaisien, Valentine DEBAES

Mais écoutons Alain Girard qui souvent si bien dire cette dépossession, cette amputation… et qui rebondit sur mes recettes, sur le panier de la ménagère…

Ah les ménagères et l’Agit prop…. Les tracts jetés à la volée et la mort possible au bout de la chose… Cette pratique qui mettra les files de femmes en réaction face à l’occupant nazi et aux collabos devant une quasi famine, souvent ignorée d’ailleurs.

Alors ici un souvenir, celui d’une ouvrière du textile roubaisien, Valentine Debaes.
C’est une femme immense que j’ai rencontré en devenant membre du PCF à Roubaix.

J’ai eu pour dirigeants de cellule Valentine mais aussi Marcel, tous deux issus des FTPF, dur de trahir après ça… Au fait la cellule est à prendre au bon sens, lieu de vie et de développement, ça vit, ça meurt une cellule et ça se reproduit.

Ceci dit, Valentine, d’une élégance rare avait pour pêché mignon de boire son petit canon de blanc au siège du parti, la Prolé, qui fut avant une boulangerie communiste, si si…

Alors Valentine avait comme nombre cette habitude de vendre Liberté au porte à porte, on en a vendu une cinquantaine un dimanche, on avait du déshabiller une autre cellule de son stock pour cela, elle avait ses 70 ans bien tapés.

Une autre coutume, celle des Ducasses à Pierrot, traduisez, banquets du parti dans le cadre des remises de cartes.
C’est le Nord, alors c’est la bière et parfois du vin mais la bière… C’est aussi en moins visible, un coup de genièvre, de Loos, il y en a du Pas de Calais mais eux… Comme une rivalité, une animosité politique entretenue par une direction fédérale …

La Ducasse à Pierrot, quelle vacherie pour les JC qui tournent partout pour recueillir les adhésions, imaginez, saucisses haricote en plat principal, le samedi suivant haricots saucisses et tenez-vous bien des fois samedi et dimanche.

Cela se couplait avec , naturellement, le discours du dirigeant, celui du JC qui avait le moins abusé du genièvre et soirée dansante.

Jusque là tout allait bien mais les haricots, quels ravages parfois.

Donc Valentine était de tous les coups mais sans doute pour revenir à ces femmes qui avaient osé affronter le pire, il y eu un évènement souvent passé sous silence;

Le conseil municipal de Roubaix se met en place, le maire pressenti, Victor Provo, est un SFIO d’un anti-communisme bon teint, il l’a prouvé de plus sordide des manières.

La SFIO c’est le parti de Jean Lebas, l’ancien maire SFIO, mort en déportation et qui aurait dit avant de périr qu’il regrettait la non intervention en Espagne, pas de preuve de ses mots, les témoins ne seront jamais mis en avant.

Alors notre Valentine, élue conseillère municipale monte à nouveau au front, elle accuse le Victor Provo de collaboration, lui qui a été mis en place par les autorités d’occupation nazies, lui qui a succédé à deux autres maires SFIO dans le même contexte.

Elle affronte cet ennemi et non adversaire et exige son départ et c’est elle qui se verra déchue de son mandat me dira t’elle, rien ne subsiste de ce moment, mais elle était une FTPF, le mensonge pas sa tasse de thé, nombre en ont fait les frais.

Tout cela pour vous dire que les saucisses haricots n’étaient quand même rien quand on est confrontés à une telle dame, une ouvrière, du textile, une militante.

Rarement je remets ce plat à table et certes amélioré et n’en doutez pas les Ducasses à Pierrot, celles et ceux qui gravitez autour de ces tables, et qui ont tant et tout donné à leur classe, à leur parti de classe, ne compteront jamais pour des haricots, ils ont forgé l’acier.

Valentine, sa silhouette fine, son élégance, son parler ch’ti, son, notre parti communiste, son petit coup de blanc, le dimanche midi sur le zinc de la Prolé.

C’est gravé, là.

 

 


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