Dans le cadre des débats que nous avons dans ce blog voici une contribution de Franck Marsal qui résume très bien un certain nombre de points sur lesquels il peut y avoir accord, en particulier en ce qui concerne les illusions gauchistes, et les freins (le mot est faible) de la social démocratie, nous sommes devant un processus historique et il est impossible de revenir en arrière ce qui dénonce le rôle réel des conservatismes, des gesticulations de l’extrême-droite. Si l’on ne peut que partager la conception du rôle joué par la révolution soviétique dans le déclenchement de ce processus révolutionnaire, le fait que ce qu’elle a ouvert est loin d’être terminé, il n’est pas question pour autant de plaquer les conditions et les choix de cette révolution sur ce qu’il en est advenu et qui se joue aujourd’hui. Comme le dit Franck, nous sommes depuis ce moment “face à la première guerre impérialiste dans le stade suprême du capitalisme mais pas dans son stade final”. Dans le monde multipolaire, marqué par l’émergence de rapports sud-sud, nous ne sommes mêmes plus dans le cas de figure des contradictions entre impérialismes concurrents. La chute de l’empire capitaliste occidental derrière les USA né de la deuxième guerre mondiale et qui a paru sortir vainqueur de la guerre froide prend des allures d’apocalypse avec les possibilités d’autodestruction. Il va y avoir des épisodes multiples au cours desquels il est urgent de savoir comment se positionner. Parce que s’il est vrai que le capitalisme a mis six siècles pour se dégager de la féodalité, on peut espérer avec l’apparition du matérialisme historique que le processus vers le socialisme mettra moins de temps et sans tomber dans les illusions de la lutte finale, voire de la grève générale, il serait également dangereux de sous-estimer les possibles, de ne pas voir à quel point ceux-ci surgissent de situations inédites comme l’ont été celles qui ont permis la révolution d’octobre. J’espère que dans le contexte fondamental de la montée des luttes pour le pouvoir d’achat dans un pays la France, dont la vocation impérialiste tend à s’approfondir, nous allons enfin dépasser les querelles de chapelle, les divisions nées de la contrerévolution. Les discussions de Vénissieux vont permettre un approfondissement sur quelques pistes explorées ici dans un choix théorie-pratique d’un parti communiste en pleine évolution: articulation nation, international, paix et mouvements sociaux, conservatismes et socialisme dans un monde multipolaire… (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)
Je souscris à cette réflexion, qui rejoint sur plusieurs points ce que j’ai aussi exprimé sur ce blog. Cela me permet de développer un point, sur la question de savoir si le “stade suprême” de Lénine est le stade final du capitalisme. J’ai déjà remarqué que pour Lénine (cf la préface) le stade suprême est le stade impérialiste d’un monde divisé entre puissances coloniales concurrentes et que la révolution de 1917 marque le début de la révolution socialiste mondiale du prolétariat, donc, le début très net d’un nouveau stade.
Comme on l’a dit également, lorsqu’on mesure avec le recul de l’histoire l’impact de la révolution d’octobre 17 sur le cours de l’histoire mondiale (pas seulement l’histoire russe, vraiment l’histoire mondiale, dont l’URSS est le sujet majeur durant tout le 20ème siècle), on comprend bien qu’on passe à un autre stade historique.
Mais le capitalisme, qui s’est édifié en plusieurs siècles (la naissance des bourgeoisies européennes, c’est la fin du du moyen âge, à partir du 15ème siècle au moins), ne va pas se laisser abattre d’un coup, par une seule révolution. Il y a des stades de transitions, des stades donc de contradictions, et c’est précisément ce que nous vivons depuis un siècle. Ce ne peut plus être le stade suprême du capitalisme, mais ce n’est pas encore le stade final.
C’est déjà un stade où le capitalisme commence à être remplacé par le socialisme, qui va pénétrer d’abord par un puis plusieurs pays isolés, mais aussi par la transformations “de l’intérieur” des vieilles structures sociales. Dans cette phase de transition, le capitalisme est donc déjà en transformation, il n’est plus sous sa forme classique, suprême, atteinte une seule fois, cependant, il va connaître, sous sa forme très partiellement subvertie de nouvelles phases de croissance des forces productives.
La configuration actuelle, d’un large bloc regroupant toutes les économies capitalistes dominantes historiques, sous la férule des USA, principal centre industriel (encore, quoique) et financier du capitalisme mondial marque à la fois une force énorme, jamais vue dans l’histoire et en même temps une grande faiblesse : pour faire face à un pays de second rang industriel et financier, l’occident doit unir toutes ses forces et néanmoins, pour l’instant, est à la peine. L’état héritier de la révolution d’octobre, malgré toutes ses contradictions internes fait mieux que damer le pion à la grande coalition occidentale.
De plus, ce faisant, et c’est probablement la marque de faiblesse la plus importante, pour tenir cette situation, il doit renoncer à tous ses principes, tant économiques que politiques et développer des traits fascistes avérés : interdiction des médias russes, espionnage massif, manipulations et mensonges éhontés développés en grande longueur sur presque tous les sujets, attaques contre le monde sportif, les artistes russes, utilisation du terrorisme d’état, etc etc.
L’intégration de l’ensemble du monde occidental en une puissance rassemblée quoique fragile marque également le fait que le développement des forces productives a accru les formes de socialisation sur un plan international à un niveau qui dépasse largement le cadre offert par les rapports sociaux, tant nationaux qu’internationaux. C’est pourquoi les politiques dites de “sanctions”, en fait de guerre économique, se retournent violemment contre leurs promoteurs. On ne fait pas tourner impunément en arrière la roue de l’histoire économique, même lorsqu’on est la puissance dominante.
Donc, oui, la révolution, un nouveau stade de la révolution socialiste du prolétariat est très certainement à l’ordre du jour pour les prochaines années. Si l’on mesure avec quelle profondeur la révolution d’octobre avait balayé l’ordre social et politique en Europe entre 1917 et 1923 (sans parler de tout ce qui s’est développé ensuite) : la fin de 3 grands empires, l’établissement de partis communistes de masses dans tous les pays, les changements dans toutes les sphères sociales, artistiques, intellectuelles, on pressent ce qui peut advenir dans les temps prochains.
Franck Marsal
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