Relaxe pour les colleuses féministes

 À Nantes, quatre militantes risquaient de la prison avec sursis pour « rébellion » lors d’un contrôle policier. Rien n’a pu être retenu contre elles.

Le procès a eu lieu au lendemain des premières Assises nationales contre les violences sexistes à Nantes (Loire-Atlantique). Un signe ? Le 28 novembre, jour de convocation au tribunal correctionnel, ainsi que la semaine suivante au moment du délibéré, les militants et citoyens sont venus en nombre soutenir quatre colleuses dénonçant les féminicides. Elles risquaient jusqu’à quatre mois de prison avec sursis. Les policiers, parties civiles, ne se sont jamais présentés. Ni pendant l’audience ni au délibéré.

Le 14 juillet 2020, après avoir affiché sur les murs d’une banque les mots « Liberté, Égalité, Impunité », les quatre femmes, âgées de 26 à 55 ans, s’étaient fait contrôler à quelques pas de là, en raison du seau suspect qu’elles portaient. Refusant d’obtempérer, estimant ne pas avoir été prises en flagrant délit, les militantes avaient sorti un téléphone pour filmer la scène et s’étaient fait violemment interpeller. Juste après avoir reçu leur convocation, elles avaient révélé à l’Humanité leur angoisse ce soir-là, la garde à vue prolongée, les insultes sexistes au commissariat, les conditions de détention dégradées, et la peur de militer qui avait suivi.

Des policiers « traumatisés » absents à l’audience

De report en report, le procès a finalement eu lieu deux ans et demi après les faits. On leur reprochait leur « rébellion » lors du contrôle policier effectué par deux membres d’une brigade canine. À l’audience, relatée par le site actu.fr, l’émotion était toujours aussi forte. Karen, en pleurs, racontait à la barre comment le policier l’avait entraînée contre un mur : « Il est plein de haine et je passe mon temps à appeler au secours, j’ai peur, il me fait mal. (…) Ma voix n’est plus la même, car je suis en train de me faire étrangler. » La présidente de l’audience confirme entendre la voix décliner à travers la vidéo du téléphone retransmise par la cour. Marianne Thion, 55 ans, 34 kilos, vole au secours de sa camarade, craignant une « clé d’étranglement », responsable d’étouffements mortels dans certains cas. Sa réaction lui vaudra 22 heures de garde à vue et 14 jours d’ITT (incapacité totale de travail). Pour le procureur, elle méritait quatre mois de prison avec sursis, comme Karen. La moitié de cette peine était requise pour les deux autres amies présentes aussi ce soir-là.

Devant la cour, le conseil des policiers a nié la clé : Karen « résiste à son interpellation, c’est pour ça qu’elle a mal à ses cervicales, car elle s’est débattue », a tenté d’expliquer l’avocate des parties civiles. Elle précise que si les policiers ne l’ont pas accompagnée, c’est qu’ils sont encore « traumatisés ». Que dire de celles qu’on accuse, venues témoigner la voix tremblante, les yeux mouillés ? Depuis ce collage collectif, les quatre femmes n’osent plus militer et craignent les uniformes. L’une a perdu son travail et a déménagé en Auvergne, l’autre a fait une dépression, une troisième s’est fait soigner de longs mois pour stress post-traumatique. Pendant deux ans, elles ont attendu une décision qui pouvait mettre en péril leur profession, comme cette éducatrice spécialisée qui ne pouvait travailler sans casier judiciaire vierge.

un étranglement pour un pot de colle

La relaxe totale a été accueillie avec soulagement. « Merci beaucoup », ont murmuré les colleuses à l’issue du délibéré. Mais difficile pour autant de repartir avec assurance après avoir été traitées de « menteuses, malhonnêtes, militantes nulles ». Face à une parole policière rarement contrariée et une criminalisation des actes militants, l’avocat de l’une des quatre colleuses estime la décision « courageuse ». « J’aimerais pouvoir apprécier simplement cette relaxe, explique Me Huriet. Il n’y avait pas assez de preuves pour la condamnation. Mais dans le contexte actuel et au regard du poids de la parole des policiers dans la justice pénale, comme le démontrent les décisions prises dans d’autres juridictions, je trouve cette décision courageuse. La magistrate a su faire la part des choses. Elle a repris la parole des policiers, la confrontant aux éléments objectifs du dossier, mettant en doute la fiabilité des déclarations et des souvenirs de ceux-ci face aux déclarations des prévenues en cohérence avec les vidéos. Les policiers auraient dû réagir de façon proportionnée, travailler à la désescalade. On parle tout de même d’un étranglement pour un contrôle de pot de colle… »

Pour l’instant, aucune demande d’appel n’a été formulée. Les policiers ont jusqu’au jeudi 22 décembre pour contester la décision. Les militantes féministes, elles, espèrent enfin passer Noël sereines.


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